Chapitre 1 -Les ennuis arrivent toujours à point à ceux qui savent attendre...

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*Mage

Univers 7655, Voie Lactée, Système Solaire, Terre, France, Aude, Lézignan Corbières.

Ernie Fifrelin…

La sonnerie annonçait depuis déjà plusieurs minutes que le lycée accomplissait sa troisième rentrée des classes. Les élèves étaient prêts à affronter leurs prochaines heures de cours, surexcités à l'idée de savoir où on et qui leur donnerait cours. Ils se "précipitèrent tranquillement" vers l'entrée, accueillis par Roméo, le concierge. Tous regardaient le panneau, le stress montait peu à peu. Soudain, certains sautèrent et crièrent de joie, d'autres semblèrent déconfits. Mais parmi ces élèves, un seul se démarquait par expression.

Pour simplement le décrire, il portait un jean gris, semblable à une peau d'éléphant, et un sweat gris également. C'était une asperge de un mètre soixante-dix-huit, bouche un peu en canard, cheveux drus et bruns, aux yeux profonds et au nez proéminent. Seul signe distinctif : il portait une drôle de tâche sur la joue gauche, semblable à une mouche. Mais parlons plutôt de sa moue : il donnait l'impression d'être ennuyé, mais, en vérité, il réfléchissait…

« Bah dis donc ! On dirait que je vais me retrouver avec la même classe que l'année dernière ! Pfff... Si seulement ils pouvaient offrir plus de diversité, ça m'arrangerait ! Bon, passons ! Essayons de voir s’il n'y a pas de Résidus dans cette foule... »

(Vous l'aurez compris, ce « garçon » ne parlait pas de manière condescendante ! Si ? Eh bien, l'explication est simple : ce « jeune » « homme » n'était décidément pas comme les autres. C'était un Magicien. En doutez-vous ? Mais si vous l'aviez observé dans la pénombre, vous auriez vu un léger halo lumineux autour de lui, comme une irradiation très faible. Malheureusement, il n'est pas là pour le prouver, et de toute façon il ne serait pas ravi de se mettre à nu dans le noir pour que l'observiez).

Et pour tout vois dire, il n'était pas non plus ravi d'être présent aujourd'hui, encore… et cela depuis déjà six ans. Une période minuscule pour quelqu'un qui avait déjà vécu plus de trois millénaires…

Synnaï, nommé Yannis par tous les autres humains, s'avança vers le panneau pour repérer ces « résidus » (comme il aimait à les appeler). En fait, il essayait tout simplement de détecter des traces de magie. Car si nous, les humains, laissons des traces odorantes, les mages laissent derrière eux des résidus magiques, et quiconque aussi talentueux que le magicien dans son domaine peut, comme lui les voir luire comme de petites pierres précieuses au soleil.

Repérer ces Résidus était pour lui un travail quotidien, qu'il aurait aimé troqué contre une chose moins éreintante. Il abhorrait cette sensation d'étirement au niveau des sourcils quand il devait se concentrer pour détendre ses yeux jusque dans le spectre de la magie. Après, il avait des démangeaisons particulièrement insidieuses.

Il remarqua quelques Résidus, scintillant çà et là parmi les chaussures, souliers et baskets. Il y en avait de plus en plus ces temps-ci, et pour cause : depuis qu'il avait commencé à en chercher, ils se multipliaient comme des pâquerettes. Il examina l'un d'entre eux : curieusement, il n'avait pas la forme caractéristique d'un kirrosì altéré symétriquement par un sortilège, mais ressemblait plutôt à une bouillie informe et dégradée.

Un sortilège raté, peut-être ? C'était assez inquiétant… car nul n'avait le droit de pratiquer la magie en ces lieux à part lui, et encore moins rater un sortilège basique…

Saisissant qu'il ne déduirait rien d'autre de l'étude de ce résidu, il s'évertua à éviter les élèves qui se bousculaient joyeusement pour atteindre leurs salles de classe, dans lesquelles des professeurs aigris signeraient l'arrêt de mort de l'engouement matinal juvénile.

Synnaï arriva, la mine fatiguée, devant la salle de physique-chimie. Sa professeure l'attendait déjà, le regard interrogateur. Mme Créabat était une femme d'âge mûr, au chignon serré et au nez aquilin, juchés de deux yeux englués d'ennui. Il passa en lâchant un vague « bonjour... » et entra dans la salle de classe, où tous les élèves étaient déjà installés.

En plus de ses amis et connaissances, quelques nouvelles têtes étaient présentes. Il n'y prêta nulle attention, s'installa à une des tables du fond... Et, surprise ! Il y avait une forte odeur de magie brute qui flottait dans la classe. Elle attaqua violemment ses sinus jusqu'à le faire tousser et réprimer un haut-le-cœur (le problème avec la magie dite « sauvage », c'est qu'elle a une forte fragrance de soufre, vous savez, celle des œufs pourris). Après avoir repris le contrôle de son système nasal et respiratoire sous les regards intrigués de ses voisins, Synnaï se concentra sur le cours, seulement à 1 %.

Dans 99% de son cerveau, une myriade de questions et de théories surgissaient à tout va : comment une telle quantité de magie avait pu s'accumuler dans cette classe ? D'où venait-elle ? Une faille ? Non... Il savait que la plupart des failles provoquaient des explosions d'une taille si grande qu'elles pouvaient détruire tout un système stellaire. Il essaya de se pencher sur un cas moins catastrophique : une bataille magique ? Mais elles étaient interdites sur Terre depuis la Clause de L'Or Bleu. Il lui fallait donc trouver une autre explication…

Pendant ce temps, le cours continuait. Synnaï regarda distraitement les élèves qui s'affairaient à gribouiller des notes sur leurs cahiers de cours. Pourquoi se donnaient-ils autant de mal à rester assis sur une chaise à écouter des inepties à longueur de journée ? C'était bien plus intéressant d'aller chercher les informations à la source avec des expériences ou via des archives ! Encore un manque évident d'intelligence de la part de ces primates à la peau glabre… Synnaï soupira de dépit.

À ce moment précis, la professeure de physique-chimie eut une idée de génie : elle décida de questionner les élèves sur un sujet qu'ils ne connaissaient point, pour voir s'ils étaient capables d'établir des liens entre le thème qu'elle choisirait et ce qu'ils étaient en train de faire. Tout en parlant, elle jeta un regard sur la salle, et repéra un élève qui semblait, au premier abord, en train d'écouter son cours, mais qui était, de toute évidence, encore dans un autre monde. Elle prit la parole avec sa voix atone et exaspérée :

— Yannis..., soupira-t-elle, peux-tu me dire comment savoir si un observateur voit de manière similaire ou différente la lumière lorsqu'il se déplace vite ? Et comment, d'après toi, cela peut-il fonctionner ?

« Yannis », plongé dans ses pensées, n'écoutait pas Mme Créabat. Il marmonnait dans sa barbe, écrivant et dessinant des formules bizarres et inconnues du langage humain, accompagnées de schémas arborescents. La professeure soupira et dit d'une voix un peu enjouée :

— Apparemment, Yannis a oublié qu'il était en cours de physique. Pourvu que cet événement ne se reproduise pas le jour du contrôle !

Des rires fusèrent de part et d'autre de la classe, « Yannis » lâcha un faible sourire, comme pour s'excuser. Il décida de détendre l'atmosphère et d'éviter de s'attirer plus de problèmes en répondant à la question, avec un ton blagueur :

— Bah, écoutez, je suis pas une lumière, donc je pense pas pouvoir arriver assez vite à la bonne réponse !

La professeure soupira, et les élèves râlèrent, insultant silencieusement cet élève perturbateur, et tous reprirent leur travail en l'ignorant. Synnaï sourit intérieurement : il connaissait évidemment la réponse, au vu de son intelligence dix fois supérieure à celle d'un humain qu'on considérerait comme un « génie ». Mais ce qui le faisait sourire encore plus, c'est que ces génies, soi-disant "humains" étaient tous des mages ! Seuls quelques humains étaient devenus des génies par leurs propres moyens, sans jamais arriver à la cheville de ces êtres « sublimes ». De plus, la connaissance de Synnaï, comme celle de tous ses congénères, était tout bonnement inimaginable pour les humains, même géniaux !

Néanmoins, Synnaï était agacé ; devoir se cacher en permanence, de museler ses compétences les plus prolifiques à cause du Traité. On l'avait chargé de veiller à la bonne marche de ce lycée pour éviter les embrouilles avec le monde des mages, certes ! Mais Synnaï ne trouvait rien d'excitant à passer des heures, aux côtés de ses amis humains, à chercher une solution à un problème de maths qu'il connaissait déjà. Alors qu’il avait déjà permis tant de choses dans l’évolution humaine ! Peut-être devrait-il lui en parler ?

Qu'importe ! pensa-t-il. Je dois accorder tout mon temps pour réussir à réclamer une autorisation pour user de plus de pouvoirs…

Il continua à ruminer sur son problème quand une volée d'étincelles sortit d'une prise murale et les plafonniers s'éteignirent. Certains élèves sursautèrent, d'autres rigolèrent ou sautèrent de joie, mais aucun d'entre eux ne fut autant effrayé que Synnaï. Il savait désormais que ce lycée était bien plus dangereux qu'il n'y paraissait.

La professeure parler pour rassurer les élèves, mais ne l'écoutait pas. Il incanta un sortilège simple d'Acuité Auditive, laissant ses autres sens s'endormir pour affiner son écoute.

Et il l'entendit…

Une chose rampait dans le couloir, sa masse grouillante effritant progressivement les murs. Puis, une respiration rauque, comme un crissement de craie contre un tableau, un craquement de bûche dans un brasier. Synnaï désactiva le sort et retrouva ses autres sens. Il devait faire vite, sortir de la salle avant que l'Autre n'y rentre. « Yannis » prit la parole d’une voix tremblante :

— Euh, madame... Est-ce que je pourrais aller aux toilettes ?

— Vas-y, dit la prof en soupirant. De toute façon vu ton niveau d'attention, tu ne rates jamais grand-chose !

L’élève la remercia et le magicien partit à la recherche de l'Autre. Il y en avait peu ces derniers temps, mais, curieusement, ils étaient plus forts. Il élabora une stratégie. Il savait que l'Autre était une pauvre bête affamée et violente qui ne cherchait qu'à retourner dans son monde, que Maty appelait « l’Invermonde ».

Maty était une des amies de « Yannis » et un peu – 0,05 % – de Synnaï. Elle n'avait de cesse d'inonder ce dernier de questions sur son "métier de mage" et sur son monde, et celui-ci répondait avec plaisir, car il savait qu'il ne bravait pas l'interdit de son école tant qu'il ne prouvait pas ses paroles. Sous sa couverture, il s’amusait à narrer ses plus dangereuses aventures sur Mourn ou d’autres mondes. Quand il terminait, l’adolescente passait le reste de leur conversation à balancer ces infos sur le groupe Messenger de la classe comme une sorte de rubrique journalistique un peu fantaisiste.

C’était son petit plaisir à elle et le magicien n’avait jamais cherché à l’en empêcher ni à lui demander ; raconter des horreurs sur le plan anecdotique était trop amusant pour être gâché par une recherche minutieuse. C’était comme avoir une historienne et une admiratrice en même temps, tout ça gratuitement.

Après une minute et trente-deux de marche (selon son horloge interne), Synnaï arriva dans le couloir du bâtiment C. Il sentait l'odeur de renfermé de la créature, et entendait son grognement. Elle avait manifestement faim. Magnifique ! Il aurait encore plus de mal à la renvoyer dans son monde. Il arma ses bras de charmes de Force Fine, et se prépara au combat.

La créature siffla, et chargea Synnaï à la vitesse de l'éclair. Il évita le coup de justesse, surpris par tant de hargne et de violence. Il la frappa avec force, l'onde de choc des charmes fit reculer la créature qui gronda de douleur, un peu sonnée, laissant le temps au magicien de l'observer.

Contrairement à ce qu'il supposait, ce spécimen était inhabituel : il n'avait pas le corps frêle et glabre de ses congénères, mais ressemblait à un athlète dans l'âge d'or. D'un blanc cadavérique, sa bouche s'ouvrit en fleur pour découvrir une rangée de dents aussi pointues que des aiguilles. Le plus étonnant, c'était ses yeux : ils étaient pétris d'intelligence.

L'Autre commença à tourner autour de Synnaï à l'aide de ses quatre membres, à l'affût du moindre de ses mouvements. Il le vrillait de ses yeux acier… Qu'attend-il ? Il a l'avantage de la vitesse et de la force ! Pourquoi n'attaquait-il pas ?

Parce qu'il devinait que Synnaï ne pouvait pas user indéfiniment de sa magie sur Terre. Moins forte que sur son monde natal, son énergie s'épuisait plus vite… Non, se dit le magicien en faisant de même. Il sait qu'il risque gros. D'un instant à l'autre, il va fuir, trouver une proie à dévorer, revenir plus fort pour m'achever.

Un Autre ne pouvait pas être tué. Il s'affaiblissait au bout d'un certain temps, perpétuellement en état de décrépitude, sauf quand il mangeait une certaine partie des cerveaux d'êtres conscients. Et dans ces cas-là, il se renforçait. Le seul moyen, c'était de les renvoyer chez eux… Mais je dois faire en sorte qu'il ne devine pas ce que je suis en train de faire.

Synnaï incanta des sortilèges simples qui laissèrent éclater des lianes d'énergie verte de ses doigts. Il agita ses mains, fouettant le monstre qui hurla lorsque sa peau vibrait sous l'effet néfaste des vibrations qui broyaient ses muscles. Le monstre tourna des yeux haineux vers le mage, qui sourit et marmonna :

— J'ai enfin ton attention ? Parfait…

L'Autre décida d'attaquer de toutes ses forces. Il sauta vers le plafond pour y rebondir et fuser sur Synnaï, mais c'était trop tard. Tout se déroula en l'espace d'une seconde et sept centième.

Il psalmodia des mots inconnus de ce monde. Une lueur bleutée commença à apparaître autour de lui, comme un halo. Ce dernier joignit ses paumes, puis les rouvrit lentement : une sorte de tourbillon se forma entre ses deux mains, comme un minuscule typhon. Brusquement, il écarta les bras. Le tourbillon s'agrandit d'un coup, et émit des éclairs qui éclatèrent murs en béton et vitres. L'Autre hurla. Emporté par son élan, il tomba dans le tourbillon, un vortex sans fond... Son cri persista jusqu'à ce que Synnaï referme ses mains dans un bruit mat.

Le contrecoup survint avec une déferlante qui balaya toute son énergie ; encore une chose que ces humains ne connaîtraient jamais : l'impression qu'on vous avait vidé de toute substance. Synnaï haletait, il était en nage: il avait l'air d'un type qui avait couru des heures. Il s'assit par terre pour se reposer, quand il entendit des cris dans le couloir. Il poussa un juron, puis agita son doigt devant lui, et disparut.

Lorsqu'on découvrit les murs éclatés, les vitres brisées et le sol fendu, on en déduisit étonnamment que le court-circuit avait été d'une rare violence... Ces naïfs... Cependant, personne, ce jour-là, ne se demanda pourquoi « Yannis » avait mis autant de temps à revenir en classe.

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