Chapitre 6 - Perte de mémoire, signe nouvelle histoire

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*[ ??? ]

La douleur ramena Yannis à lui.

Les membres endoloris, il se réveilla en sursaut sur le sol poussiéreux d'une masure. Il s'agissait de l'ancienne maison de l'oncle de la fille du maire, surnommé "Baleine Bleue" à cause de son embonpoint et de son teint quand il se mettait en colère. J’ai dormi ici ? se dit le jeune homme. Qu'est-ce que je fiche là ? Mais bizarrement, il n'avait pas l'impression d'être venu ici contre son gré. Bizarre...

Il tenta de se relever, mais sa tête le lançait si fort qu'il se recoucha immédiatement. Il ne savait pas ce qu'il faisait là... Il était en train de... d'aller... où ? Il ne savait plus, comme si ce souvenir n'était pas important.

La douleur s'étiola après quelques minutes, et il put se relever. Il fit rouler ses épaules, tâta ses articulations... Il avait ces tics bizarres depuis... dix-sept ans ? Pourquoi cela lui semblait-il étrange de dire qu'il avait cet âge-là ? Il ne pouvait pas être plus vieux que ça… Il ne put se plonger dans ses pensées plus longtemps : son téléphone sonnait. Il le consulta et vit que l'appel venait d'Edward. Indécis, il appuya sur le bouton « répondre » et écouta ce que lui voulait son ami :

Yannis ! Où est-ce que t'étais passé ? Ça fait une heure qu'on t'attend pour jouer à Super Smash Bros ! On a commencé sans toi !

— Ah... Euh... Oui ?

... Est-ce que ça va ? T'es tombé malade ?

— Non, non... J'ai juste perdu quelque chose... J'étais en train de le chercher... Je ne crois pas que je pourrais venir aujourd'hui : je ne me sens pas très bien.

D'accord, c'est pas grave ! Repose-toi un peu, on se verra demain !

— Oui, c'est ça, à demain !

Il raccrocha, avec l'impression désagréable que quelque chose ne tournait pas rond. Mais plus il se concentrait sur cette impression, plus elle devenait floue. Il décida d'abandonner ses réflexions intérieures et de se concentrer sur la suite des événements : il observa les alentours et sursauta à la vue d'une silhouette déchirant la lumière de l'entrée. Pris de peur ses membres commencèrent à trembler, mais la silhouette ne bougeait pas. Il s'approcha d'elle : c'était une statue qui ressemblait à un homme sans visage, figé dans ce qui semblait être du basalte, coincé dans une posture comme s'il voulait se protéger de quelque chose. Plus Yannis la regardait, plus il éprouvait une sensation de malaise, comme si cette statue était quelque chose qui n'avait rien a faire là.

Il détacha son regard et sortit de la masure : il faisait beau et le soleil était haut, caché par quelque nuages passagers, offrant une ombre fraîche et bienvenue. Yannis regarda l'heure sur son téléphone : il était deux heures de l'après-midi, le samedi. Il tourna la tête autour de lui, cherchant... quelque chose dont il ne se rappelait pas. La même sensation de malaise l'assaillit, alors il s'ébroua, de peur de vomir, et partit vers chez lui.

Arrivé à destination, il ouvrit la porte fermée à clé, entra et la verrouilla derrière lui. Au bout du couloir, il gravit les escaliers biscornus et inégaux, pour arriver dans la cuisine. Il repéra de suite un petit mot posé sur la table.

Il reconnut l'écriture de sa mère :

« Je suis partie en Belgique pour une semaine. Je t'ai laissé de quoi manger dans le frigo, mais pense à faire des courses ! Prends soin de toi, ne te couche pas trop tard et fais tes devoirs (P.S: Si tu trouves le temps entre tes jeux vidéo et tes livres, nettoie la vitre de la cheminée!). Gros bisous !Maman ».

Toutefois, quelque chose le surprenait : sa mère n'avait pas précisé qu'il pouvait l'appeler, ce qu'elle faisait pourtant à chaque fois... Elle devait sûrement être fatiguée au moment d'écrire ce mot, et n'y avait pas pensé. Elle l'appellerait certainement plus tard pour prendre de ses nouvelles, dans trois jours selon lui. Il jeta le papier sur la table pour éviter d'oublier les infos & consignes, et se souvint qu'il avait encore quelques exercices de mathématiques à faire. Il décida de s'en occuper maintenant, prit son livre et son cahier, et commença.

Il savait qu'il avait du mal avec les maths, même si elles lui plaisaient beaucoup. La plupart des fois où il avait une évaluation dans cette matière, sa note était passable, voire déplorable. Il prenait des cours particuliers depuis un an, ce qui l'avait un peu aidé, mais il n'arrivait toujours pas à atteindre un niveau convenable.

Un jour son ami Ugo lui avait dit : « Comment je fais pour comprendre les maths ? Pour faire simple, c'est comme une seconde nature ». Sa réponse l’avait profondément agacé : Ugo était pour lui le champion des mathématiques, et il savait qu'il ne lui arriverait jamais à la cheville. Il s'était quand-même dit qu'un jour, il aurait le déclic qui lui permettrait de comprendre cet univers mathématique. Mais il ne s'attendait pas à ce résultat ! Maintenant, il comprit parfaitement ce que son ami avait voulu lui dire, et cela le troubla :

Dès qu'il posa ses yeux sur le premier problème, son esprit s'emballa comme enragé, et devint aussi affamé qu'un chien errant devant un morceau de viande. Dans son cerveau en ébullition explosa une myriade d'idées, de solutions aux problèmes algébriques, logiques et analytiques. Yannis eut soudain si mal au crâne qu'il dut détourner le regard pour juguler son activité cérébrale.

Alors, comme par magie, son subconscient lui envoya la solution parfaite, celle qu'attendait exactement le prof de maths, Yannis en était sûr. Il fit les calculs à une vitesse stupéfiante, et passa au second problème. Chaque fois, il résolvait les équations, étudiait les courbes et trouvait les solutions des polynômes avec un brio à la fois incroyable et terrifiant, et une sensation croissait en lui : le désir insatiable de terminer tous les exercices du livre de mathématiques. Yannis écrivait si vite, changeait de feuille si vite qu'elles n'avaient même pas le temps de tomber au sol avant que d'autres ne soient déjà lancées en l'air, noircies d'exercices résolus. Il sentait ses muscles vibrer comme un moteur, ses mains allaient si vite qu'il ne voyait que du flou.

Après une heure de tempête furieuse, Yannis avait à ses pieds exactement six cent soixante dix-huit pages d'exercices de mathématiques résolus, expliqués de manière simple et concise, aux calculs bien rangées et à l'écriture si bien taillée et pourtant familière, qui semblait à la fois si étrangère à Yannis. Il avait réussi une chose impossible : résoudre entièrement le livre de mathématiques, tout le programme de l'année, en un temps diaboliquement court !

Le bouillonnement de son cortex cérébral s'estompa lentement, et la sensation de faim se transforma en satisfaction. Yannis s'affala sur sa chaise, épuisé. Dans sa tête tournoyaient des formules, des théorèmes et problèmes à l'infini, dont chacun était maîtrisé et compris à la perfection. Il se baissa vers les papiers éparpillés sur le sol, commença à les ramasser et les lut. Cette fois-ci, son esprit se trouvait dans un état de plénitude, et Yannis analysait tranquillement mais rapidement chaque feuille qu'il ramassait, et gravait dans sa mémoire comme dans de la pierre la Langue des... Anciens ?

Pourquoi pensait-il cela ?

Il décida de répéter l'expérience avec toutes les autres matières. Ce fut un succès moins spectaculaire, avec moins de frénésie. Alors Yannis émit une hypothèse : et si son corps s'habituait à ce phénomène ? Peut-être que, progressivement, il se resynchronisait avec son encéphale, dont il avait auparavant perdu le contrôle. Il remarqua la différence, pourtant infime sur ses exercices de physique-chimie par rapport aux maths : les premiers possédaient cette nuance plus douce, plus arrondie, que celle des maths, acharnée, écharpée... presque effrayante. Comme si ses neurones aimaient de manière violente, presque masochiste les sciences des chiffres.

Il continua toute la journée à travailler sans se lasser, jusqu'à l'épuisement total. Il contempla son œuvre : un classeur plein à craquer pour chaque matière, avec tous les exercices qui étaient demandés dans le programme de terminale. Il en eut le souffle coupé. Il se dit qu'il serait mieux de ne pas montrer ceci à ses professeurs : on pouvait être un génie, c'est vrai, mais à ce point, cela devenait anormal, délirant. On l'accuserait de tricherie, de copiste. Il ne le voulait pas.

Il se leva, terrassé par les crampes, comme s'il avait couru des kilomètres avec des poids, et ouvrit son nouveau classeur de maths et pour y chercher la feuille d'exercices à faire pour demain. Il répéta cette opération avec toutes les autres matières, et glissa ces écrits dans son sac, en plus de la dissertation parfaite de neuf pages sur la question du bonheur, en philosophie. Il fit son sac, cacha ses nouveaux classeurs dans un tiroir sous son lit, dans sa chambre. Même s'il se demandait comment des choses aussi grosses pouvaient rentrer dans un espace aussi petit.

Il sortit de sa chambre et descendit dans la salle de bain. Il commença à se déshabiller quand tout à coup, son téléphone qu'il avait posé sur l'armoire basse vibra ; c'était un numéro inconnu. Un peu curieux à l'idée de qui cela pouvait être (sûrement une pub!), il prit son téléphone et décrocha. Une voix grésillante en jaillit, qui semblait paniquée :

Allô ? Allô ! Synnaï, t'es là ? C'est Archi !

Archi ? Yannis était perplexe. Un type, l'appelant depuis un endroit où le réseau passait mal, dont le nom était un superlatif, le nommait par son prénom en verlan ! Courtois, Yannis répondit d'une voix posée :

— Monsieur, je ne sais pas qui vous êtes, et je pense que vous vous êtes trompé de numéro : il n'y a aucun « Synnaï » que je connaisse.

Pas de temps pour tes blagues, Synnaï, répliqua abruptement l'interlocuteur. Je suis dans une position délicate, alors viens me chercher ! Ta mission sur Terre attendra, ouvre une Porte c'est urgent !

Des bruits, semblables à des coups de feu et à des objets renversés, retentirent de l'autre bout du fil. Il aurait pû appeler la police, les secours, mais… Quelque chose enfla en lui quand, excédé, il comprit que ceci n'était qu'un canular. Yannis parla avec colère :

— Je ne sais pas qui vous êtes monsieur, mais, si vous voulez mon avis (il inhala bruyamment), il faudrait arrêter de prendre les gens pour des cons ! Essayez de faire quelque chose de bien dans votre vie, une fois, au lieu de vous foutre de notre gueule !

Synnaï, je sais pas ce qui t'arrive, mais... Crrr... Qu'est ce que c'est que...Crrr… PAR…Crrr… PENT…, OUVRE TA PORTE SYNNAÏ OU J'TE... Biiiiiiip.

Le signal coupé, l'appel était terminé. Yannis, pensant dur comme fer que c'était une vaste blague, avait des doutes sur la véracité des propos de la personne qui l'avait appelé. Était-ce véritablement une blague, ou était-ce réel ? Non, décidément pas : si cette personne était vraiment en danger, elle aurait prévenu la police, mais là, cet « Archi » s'était adressé à lui par un drôle de prénom, l'avait demandé d'ouvrir une... porte ? Yannis n'était pas serrurier... De plus, le piège avait une faille majeure : une mission sur Terre.

Et puis quoi encore ? Des serpents géants ?

Il prit sa douche, saisi d'un agacement inexpliqué, il s'essuya frénétiquement en pensant à cet appel, pourquoi donc devrait-il s'en soucier autant ? Pourquoi était-il en colère et... inquiet à propos de cet homme ? Il décida de ne pas tergiverser plus sur le sujet. Yannis enfila un pyjama puis se coucha dans son lit, les yeux grands ouverts. Trouver le sommeil fut difficile.

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