Chapitre 11 – Bénis soient les suppliés

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2 heures après "l'incident"

— Yannis… Yannis… Yannis, réveille-toi, bordel de merde ! cria une voix effrayée

Yannis ouvrit ses yeux, et et fut immédiatement assailli par un mal de crâne épouvantable. Il cligna des yeux, et se releva.

Edward était à ses cotés, entouré de Ludwig, Ugo, Hadrian et Sammy. Ils avaient l'air soulagé de le voir s'éveiller.

— On a pensé que t'étais mort ou quelque chose comme ça, soupira Sammy, visiblement soulagée. Tu nous as fait une peur bleue !

Elle le frappa gentiment à la tête, Yannis ressenti une douleur sourde, et plongea son visage dans ses mains, arrachant un à ses amis un regard inquiet. Puis comme la douleur refluait, il releva la tête et observa les alentours.

Il était sur un tapis de mousse humide, dans une clairière encerclée de pins gigantesques. Une brume dense empêchait de distinguer le sous bois, le ciel et même le soleil même si on voyait comme en plein jour. Yannis observa la brume plus attentivement : quelque chose clochait, elle ne se répandait pas dans la clairière, comme l'aurait fait une brume normale. Non, elle semblait refoulée à sa lisière, camouflant la clairière tel un voile surnaturel.

Mais c'était impossible : normalement, selon les lois de la thermodynamique, le liquide devait se répartir uniformément dans l'espace, si la température était la même partout. Or, il faisait assez froid, et… Yannis fut interrompu dans ses réflexions :

— Mais c'est pas vrai ! Il n'y a pas un gramme de réseau ici !

C'était la voix familière de Margarita, la déléguée de sa classe. Elle venait de derrière et semblait assurément furieuse, ce qui ne présageait rien de bon. Yannis se retourna : le "plan" d'Elizabeth n'allait manifestement pas se passer comme prévu.

Toute la classe de Yannis, la Terminale SB, était réunie : certains parlaient, d'autres pleuraient et même tremblaient. Yannis fut étonné que certains d'entre eux, d'ordinaire maîtres d'eux-mêmes, soient complètement paniqués par la situation. Il se leva, se dirigea en claudiquant vers le groupe, et lança d'une voix forte pour se faire entendre :

— Qu'est ce qui ce passe ?

— TOI ! hurla Margarita en se retournant brusquement vers lui, ce qui le fit sursauter. Oui, toi ! Comment se fait-il que tu sois le seul à t'être évanoui ? Pourquoi Elizabeth est absente ? Elle était partie avec toi à l'infirmerie ! C'est à ce moment-là qu'une lumière a jailli du projecteur et nous as entouré. Puis il y a eu… Il y a eu un bruit épouvantable, et on s'est retrouvé ici ! Il n'y a pas de réseau, pas d'adultes, et le seul suspect ici, c'est toi ! TU es le seul à t'être évanoui, TU es le seul à être parti avec Elizabeth ! Alors, explique toi tout de suite !

Yannis restait stupéfait, mais les autres élèves de la classe se rapprochaient, à la fois inquiets et menaçants. Il recula, réfléchissant à ce qu'elle venait de dire : Elizabeth était absente, donc c'était elle la coupable de tout ceci, il n'avait pas rêvé. Avaient-ils été drogués ? Tous ? Non, c'était impossible, à part si elle avait diffusé un gaz dans le lycée… Pourquoi, alors, Elizabeth et de possibles complices n'avaient pas pris la prof en otage ? Comment avaient-ils été amenés dans cet endroit ? Pourquoi eux ? Yannis réfléchissait, mais trop de questions s'imposaient à lui. Il regarda Margarita dans les yeux et lui dit :

— Je ne sais pas ce qui se passe, mais je peux te faire part de mes hypothèses : Supposons qu'Elizabeth soit une terroriste ou juste de mèche, et que pour nous kidnapper, elle nous ait drogué à l'aide d'un gaz, enfin bref. Et pour réussir ce coup, elle a sûrement eu besoin de complices. (Maragarita s'apprêtait à lui couper la parole, mais il continua : ) Pourquoi ? Je pense que c'est pour obtenir une rançon. Mais parlons plutôt de notre situation : tu peux dire que c'est ma faute si nous en sommes arrivés là, mais c'est toi la déléguée de la classe, donc c'est toi qui dois la gérer en absence de professeur… N'ai-je pas raison ? Alors, comment comptes-tu faire pour nous sortir de là ?

Margarita se mordit les lèvres en signe de mécontentement. Elle voulait discréditer Yannis puisqu’elle le considérait depuis la seconde comme un nid à problèmes... Mais, son raisonnement était tout de même très cohérent : il lui serait difficile de le réfuter sans preuves. Si on exclue le côté absurde de cette situation, garda-t-il pour lui. À contrecœur, elle hocha la tête et se tourna vers ses ses camarades de classe, et leur parla de la voix autoritaire qu'elle réservait pour ses discours "officiels" :

— J'ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer : nous sommes seuls, au milieu de nulle part, coupés de toute communication. On doit donc rester soudés et unis dans l'adversité. Ne paniquez pas, on va se débrouiller : on va sortir de cette forêt, retrouver la civilisation et appeler les secours. Mais pour cela, nous devons nous concerter à propos de la marche à suivre afin de nous en sortir avec brio. Coordination et discipline, et rien n'arrêtera la TSB ! Si vous vous sentez mal, confiez vous à Maty ou à moi.

Tous acquiescèrent. Certains se regroupèrent autour de Maty, d'autres autour de Margarita. Seul Yannis et ses 4 amis restaient de marbre : fallait-il choisir un camp ? C'est alors que Margarita lança ses directives :

— Il va tout d'abord falloir trouver de la nourriture et un endroit pour s'abriter. Ensuite, il faut trouver du réseau pour savoir où on est…

— D'accord, répliqua rapidement Maty. On va faire deux groupes : un qui explore la forêt, l'autre qui reste là. Mais il faut dans le groupe qui s'en va quelqu'un qui a le sens de l'orientation, capable de rebrousser chemin et aller ramener les autres dès qu'une sortie sera trouvée. Quelqu'un qui sait courir vite !

— Je me porte volontaire, dit Yannis. Je ne sais pas courir vite, mais j'ai un bon sens de…

— Excuse moi, Yannis, mais qui s'est perdu à Londres l'année dernière ? lança Margarita avec un ton rêveur. Hum ? Ah oui, c'était toi... Donc toi, tu restes ici !

— Pfff…

Yannis se tourna vers ses amis, cherchant leur soutien, mais tous baissèrent leurs têtes en signe d'assentiment. Rageur, Yannis shoota dans un caillou qui alla se perdre dans la brume. Il était furieux. Furieux de ne pas pouvoir participer à l'exploration : à Londres, il ne s'était pas perdu, car être perdu signifie qu'on ne sait pas retrouver son chemin, or lui avait retrouvé le sien, seul, à travers la ville, sans un plan pour se guider, rien qu'à l'aide sa mémoire. Je voulais juste visiter…

Il avait mal aux jambes, et décida de s'asseoir, mais dès qu'il bougea, une chose lui tomba sur la tête. Il lâcha un petit cri de douleur, et vit un caillou à ses pieds. Il le ramassa, et reconnut le caillou dans lequel il venait de shooter. Il leva la tête, regarda le ciel : rien. Il cligna des yeux, indécis et un peu confus. Le même.. caillou ? Il le lança dans la brume. Cette fois, il retomba à quelques mètres de lui. Intrigué, il interpella Maty et, tandis que les plus sportifs de la classe s'apprêtaient à partir, il lui fit part de son expérience :

— C'est vrai, ça ? dit Maty en regardant Yannis avec des yeux ronds, ce à quoi il répondit en opinant du chef. Mais ça change tout ! Eh, les autres, ne partez pas !

— Hein ? répondirent les éclaireurs, un peu inquiets.

— Yannis a lancé un caillou dans le brouillard, et celui-ci est retombé sur sa tête ! Il semblerait qu'il y ait une sorte de… je ne sais quoi qui renvoie les objets ici lorsqu'ils sortent de cette clairière.

— Bah ! lâcha Saefedin, en roulant des yeux (c'était un garçon à lunettes, grand, au teint olivâtre et aux cheveux crépus). C'est pas ça qui va nous arrêter ! Allez, je me lance…

Il s'enfonça dans la brume, mais personne ne le suivit. Une fois à l'intérieur, il lança d'un ton triomphant :

— Vous voyez, il n'y a aucun probl… AAAAAAAAH !!!

Saefedin hurla à s'en arracher les poumons, ce qui pétrifa tout le monde. Après quelques secondes, son cri s'arrêta net. Les autres commencèrent à s'approcher de l'endroit où il était rentré dans la brume, sans la toucher, en essayant de voir au travers. Sarah, une des meilleures amies de Saefedin, n'avait pas l'air d'aller très bien, son teint blafard virait au vert. Elle bredouilla quelques mots incompréhensibles, dont un ressortait plus parmi les autres :

— Saefedin… Réponds, Saef… Saef ?

Mais il ne répondit point. À la place, ils entendirent un sifflement strident, comme celui d'une bouilloire, suivi d'un bruit mat derrière eux ; ils se retournèrent : des masses informes, baignées dans un liquide rouge et fumant. Ils mirent quelques secondes à réaliser qu'une de ces formes ressemblait à une tête étonnée, les traits tirés de stupeur, la bouche béante. Yannis était habitué à la violence dans les jeux-vidéos, mais la voir en vrai, là devant-lui, incarnée par cette tête au regard vide, c'était insoutenable. Il eut un haut-le-cœur, et vomit, suivi de près par quelques camarades de classe.

Le corps de Saefedin était éparpillé devant eux, un étalage d'une boucherie décalée et cruelle, chaque morceau juteux lâchant un flot pourpre dont la couleur semblait se repaître de leur désespoir.

Ils sortirent de leur état de sidération lorsque Sarah enleva sa veste, et l'étendit sur les restes encore chauds de celui qui avait été autrefois son ami. Puis, elle tomba à genoux et pleura devant ce drap mortuaire de fortune. Yannis fut saisi par l'expression de son visage ; lorsqu'il l'avait vu pleurer par le passé, ce qui était rare, elle n'avait jamais eut cette expression de détresse, de peur qui déformait ses traits en lignes inégales et laides. Tout son être dégoulinait de tristesse, et Yannis aurait dû ressentir de la pitié.

Pourtant, il la regardait avec un vague dégoût. Pourquoi ?

Les élèves de la Terminale SB tremblaient de frayeur, n'osant pas regarder Sarah pleurer, et préféraient pointer leur regard vers les arbres ou leurs pieds. Yannis se tourna vers ses amis : Hadrian se rongeait les ongles, stressé à mort. Edward avait l'air mal à l'aise, Ludwig était horrifié et Ugo, les yeux un peu rougis, avait le teint grisâtre. Yannis se doutait que ses amis étaient aussi choqués que lui, et eut un élan de compassion pour eux.

Mais il se dit qu'il n'avait pas le temps de se laisser submerger les émotions. Il renifla, s'essuya la bouche avec sa manche sans aucune gêne, puis se tourna vers la brume : comment Saefedin avait il été découpé ? Une bête ? Non, cela ne pouvait pas être ça : le cisaillage était trop précis pour être l’œuvre d'une créature sauvage. L’odeur métallique du sang dans les narines, il prit un bout de bois par terre et le lança à travers la brume.

Ce qu'il remarqua cette fois, ce fut un éclair lumineux diffus. Il attendit quelques secondes et entendit le bruit mat, caractéristique de la chute d'un objet ; il se retourna, et vit le bois coupé en deux, la césure nette encore incandescente, en train de fumer. Il piétina le bois pour l'éteindre et se tourna vers les autres dont la mine faisaient plusieurs kilomètres de long. Il dit à Hadrian :

— Hadrian, est ce tu peux me dire ce qui s'est passé ? Il montra à son ami les deux morceaus de bois aux extrémités carbonisées .

— Bah, ça a brûlé… Mais, ça vient d'où ?

— De la brume, répondit Yannis en haussant les épaules. Je pense que les choses d'un volume trop grand sont découpées en morceau dès qu'elles essaient de sortir d'ici… C'est ce qui est arrivé à Saefedin, c'est ce qui est arrivé à ce bout bois. C'est pour ça que le caillou n'a pas été affecté : il était trop petit.

Soudain, Yannis entendit une légère mélodie. Il préféra l'ignorer pour écouter la réponse de Hadrian:

— C'est malin, mais comment tu expliques le fait qu'il retombe sur nous après son entrée dans la brume ?

— Un sorte de trou de ver, j'imagine… Ou même plusieurs, ça expliquerait la découpe…

La mélodie devint plus insistante. Yannis tiqua.

— Dans ce cas-là, tu imagines les quantités d'énergie nécessaires ? Hadrian semblait troublé. Je pense que ce sont juste des lasers installés autour de…

— Les lasers auraient touché le caillou, pensa Yannis à voix haute. Mais pas les trous de ver…

Mais impossible de se concentrer, le bruit de fond était trop important ; sans être fort, mais plutôt incisif.

— Mouais… lâcha Hadrian, dubitatif. Mais, comment tu expliques que.. Eh, Yannis ! Tu vas où ?

Yannis se dirigeait vers la brume, malgré la connaissance du danger, car quelque chose de l'autre côté l'appelait inlassablement, comme une chanson douce qu'il aurait voulu écouter plus attentivement. Il entra dans la brume, tandis que derrière lui, ses amis criaient son nom, paniqués, mais trop effrayés pour le suivre. Il s'enfonça dans le brouillard et son corps s'y dissolut, effaçant sa présence dans la "forêt des inquiétantes découvertes".

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