Chapitre 23 – Les dessous de tiroir

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Yannis se débattait comme un diable, dans l'espoir de faire céder les liens magiques, mais la puissance de Malkor était trop grande pour être épuisée aussi facilement. Le jeune mage était également incapable de se Déphaser, ses réserves de magie étant taries. Même s'il avait appris que la lumière véhiculait cette énergie, il voyait bien que celle de deux soleils était des centaines de fois plus efficaces que celle d'une simple torche, donc pas de quoi se recharger efficacement. Yannis se débattait tout de même sans perdre du poil de la bête. Malkor pouffa, et dit d'un ton badin :

— Allons, allons... Nos savons tous les deux que, malgré ton grand talent pour la magie, ton inexpérience te fait cruellement défaut. Il te faudrait des années pour apprendre le contre-sort…

— Allez vous faire foutre, cracha hargneusement Yannis.

Le magicien lâcha un petit rire en disant :

— Vous êtes comme lui, c’est presque ironique… Mais j’imagine qu’il vous a choisi à cause de cela.

Yannis ne comprit pas le sens de ses mots, mais il devait à tout prix se libérer de ce sort. Dans ce cas, au lieu de jouer la carte de la force brute, il aurait besoin de finesse. […] Il respira un bon coup, ce qui fit mystérieusement frissonner Yannis, et il dit d'une voix lasse :

— Qu’est-ce qui te fais croire cela ? demanda le magicien replet avec un air si surpris que Yannis le fut tout autant.

— Quoi ? Mais vous… vous détestez les humains, non ?

Malkor soupira et secoua sa tête.

— Bien sûr que je les hais, ils sont d’une bêtise ! Mais toi, c’est différent : qu’on le veuille ou non, tu es un magicien.

Yannis fut presque flatté mais ne tomba pas pour autant dans le panneau et rétorqua :

— Mais bien sûr, je vais vous croire !

— À ton aise. Mais saches que je t’apprécie guère pour une seule et unique raison : tu es le même qu’Archibald à l’époque, qui ne cessait de se croire au dessus de tout ce qui fait notre société, notre culture et de sans arrêt renier les traditions. Il s’est calmé, bien sûr… mais pour mieux planter à tous un couteau dans le dos. Quoi qu’il s’agit d’un acte assez courant par chez nous… Bref ! Je te sais gré de comprendre mon désarroi, Yannis, parce que je te vois déjà sur la mauvaise pente « Parmini », finit Malkor d’une voix implorante.

L’intéressé tendit une oreille attentive à Malkor, qui prit une position assise plus décontractée.

— Je ne veux pas te descendre pour rien. Je veux que ton effraction soit associée à Archibald et que ce gredin de Lenistoler tombe enfin de son piédestal.

— Hein ? Mais je pensais que vous vouliez une promotion ! fut étonné d’apprendre le brun.

— Pitié, ne m’assène pas de ton ignorance, se lamenta le gros mage en s’essuyant le front d’un mouchoir en soie. Les promotions n’existent pas dans notre monde ; nous restons à notre poste jusqu’à que nous ne soyons plus en mesure d’y prouver notre efficacité.

— Alors pourquoi…

Malkor sourit ; il semblait aux anges.

— C’est assez simple : je suis persuadé que votre ami humain qui vous accompagnait a tout gobé et qu’il est allé s’empresser de le raconter à Archibald, lequel va prévenir son cher maître en bon toutou qui va ensuite sérieusement pondérer s’il doit tous vous éliminer ou non.

Yannis blêmit en l’entendant et Malkor se cala dans sa chaise, un petit air satisfait sur le visage.

— Non pas que j’abhorre le fait de tous vous voir englouti par le Grand Serpent, mais voir les plans de Lenistoler se concrétiser m’effraie.

— Il ne nous tuera pas. Nous sommes sous la protection de l’Hakessar ! s’écria le jeune homme.

— Pensez-vous sincèrement qu’un empereur de paille pourra faire quoi que ce soit contre l’une des plus grandes influences de son temps ?

Yannis lui lança un regard acéré, signifiant qu’il pensait franchement que le directeur n’était pas une mauvaise personne. Lenistoler n’était pas ce genre de personnes. Il était de ceux qui ne portait pas de préjugés sur les gens simplement à cause de leur espèce. Et allait-il croire la personne qui l’avait capturé sans la présenter aux autorités ?

Il observa alors tous les petits détails susceptibles de le faire sortir d'ici, mais le temps passait, et il n'en aurait bientôt plus : Malkor le dénoncerait aux services de l'Inquisition et il serait incarcéré, pour ensuite être envoyé en centre de redressement. Il n'aimait décidément pas les espaces restreints et… Depuis quand je suis claustrophobe ?

Yannis ne se sentait pas bien, le monde vibrait autour de lui, l'emprisonnant dans un étau déroutant. Il voulait… non, il désirait sortir. Pas seulement de cette salle, mais il souhaitait comme sortir de sa vie, vivre autrement. Le mot hédoniste qu'il considérait comme une insulte prenait maintenant tout son sens, et les autres qui ne le comprenaient pas n'étaient que des raclures sous sa chaussure. Mais c'était comme si ce n'était pas lui qui pensait, mais autre chose. Une pensée insidieuse germa dans son esprit : Malkor était une de ses choses abjectes, et il était sur son chemin. Il ne lui restait qu'une chose à faire…

Il se leva lentement, et Malkor glapit en voyant son regard sombre et sa main tendue vers lui. Il parla alors d'une voix fluette et empreinte d'une peur sans nom :

— Qu'est ce que vous faites ?

Malkor semblait lui aussi avoir compris.

— N'a… N'approche pas... Sale monstre !

Malkor s'ébroua, comme s'il n'en croyait pas ses yeux.

— Je te préviens, il me reste assez de magie pour te sécher, sale gamin !

Mais Yannis n'avait cure de cet avertissement : il débordait de puissance. Le gros plein de soupe prononça une formule d'Emprisonnement Réducteur, mais l'effet qui en résulta était tout sauf ce qu'il attendait : le sortilège, prenant la forme d'une onde de choc vert sombre, se tordit comme de douleur au contact de Yannis, puis disparut dans un murmure. Malkor écarquilla ses yeux de stupeur, assistant à un événement unique en son genre : la manifestation d'un Aspect.

— Vous… Non, c'est impossible… Un… Maegi ? Balbutia Malkor.

La puissance magique de l'Aspect était tellement écrasante qu'une aura lumineuse se forma autour de Yannis, projetant des éclairs autour de lui qui arrachèrent des pans de mur qui éclatèrent au sol, blessant au passage Malkor qui hurlait de terreur. Le déferlement d'énergie balaya toute la pièce, qui, comme sous l'effet d'une tornade, se trouva sans dessus-dessous.

Yannis ressentait une jubilation inexpliquée, comme s'il respirait de l'air pur pour la première fois de sa vie. Il avait tellement besoin de se rebeller contre le système. Il leva la main, paume ouverte, et tous les éclairs se précipitèrent dessus. Une sphère incandescente se forma dans sa main, comme une minuscule étoile. La chaleur qui s'en dégageait était si forte qu'on se serait cru près d'un volcan. Une envie lancinante soufflait à Yannis de jeter à cette ordure ce qu'il tenait au creux de sa main, mais, d'un coup, le lien entre lui et ses émotions se brisa, et il perdit le contrôle. La boule de feu se désagrégea dans sa main dans un chuintement pathétique. Yannis cligna des yeux de stupeur, comme si ce qu'il l'avait fait l'avait également choqué. Malkor s'était fait dessus et, par la même occasion, évanoui. Soudain, Yannis entendit un bruit venant de derrière la porte. Il se retourna, écoutant ce qui semblait être un battement sourd et régulier. La porte s'effondra.

Ugo jaillit de l'entrée poussiéreuse et jeta un œil autour de lui, haussant à peine les sourcils à la vue de Malkor. Il posa son regard sur Yannis, qui se fit violence pour ne pas céder à ce flot d'émotions qui le traversaient quand ce regard le transperçait de part en part. Il détourna la tête tandis que son ami éclata de rire en disant :

— Bah alors, toi ! Tu l'as pas raté, on dirait !

— Oui… Marmonna Yannis en observant sa main couverte de cloques.

— Qu'est-ce qui c'est passé ici ? Y a eu la Seconde Guerre Mondiale ou quoi ?

Ugo marcha jusqu'à Malkor et pris son pouls, puis soupira. Yannis, de son côté, ressentait beaucoup trop intensément, au point de ne plus bouger d'un cil.

— …

— Bah quoi, tu réponds plus ?

Ugo s'approcha du stupéfié, mais celui-ci l'arrêta en levant les mains devant lui.

— Je ne préfère pas en parler, rétorqua Yannis avant de changer de sujet. Tu sais où est le livre ?

— Je l'ai laissé à Ludwig et les autres. Ils l'ont peut-être lu, qui sait.

Yannis hocha la tête, puis se tourna vers Malkor ; le pauvre homme semblait avoir traversé les vents de Jupiter, tellement il avait l'air choqué. Même si ses yeux étaient ouverts, ceux-ci ne fixaien que le vide. De plus, Yannis ressentait un certain dégoût en le regardant, comme si sa faiblesse faisait de lui une chose qui ne méritait pas son respect.

Non, pensa Yannis en secouant sa tête. Non, je peux pas penser ça... Le lycéen détourna le regard et suivit Ugo qui partait déjà sans plus attendre.

* * *

Quand Yannis et Ugo entrèrent dans leur chambre commune, ils furent accueillis par un Hadrian larmoyant qui s'empressa de serrer dans ses bras l'ancien détenu. Surpris par tant d'audace et d'affection, Yannis se sentit un peu gêné et tapota doucement l'épaule de son ami. Celui-ci s'écarta et balbutia quelques mots dont Yannis ne comprit pas le sens. Derrière lui, Ludwig s'avança, suivi de Edward, et le jeune blond demanda :

— Alors, le séjour spécial chez le vieux plein de soupe ? Pas trop princier ?

— Très drôle, rétorqua Yannis d'un ton sarcastique. Un peu plus, et j'aillais avoir une attaque. Heureusement que Ugo était là pour me tirer d'affaire…

— Je n'ai rien fait, dit l'intéressé en fouillant dans ses affaires. Quand je suis rentré, on avait l'impression que t'avais posé, quoi, du C4 ?

Les autres avaient l'air sceptique, aussi Yannis se sentit coupable et leur raconta son expérience post-schizophrénique. Au fur et à mesure du récit, Hadrian semblait perplexe, Ludwig souriait de plus en plus et l'air blasé de Edward ressemblait de plus en plus à une coulée de goudron en plein hiver. À certains moments, Yannis avait du mal à décrire exactement ce qu'il s'était passé, comme s'il vivait un « black-out ». Quand il eut fini, Hadrian l'assaillit immédiatement de questions :

— Mais comment t'as pu déployer autant d'énergie magique ? On a appris récemment que c'était impossible du point de vue strictement humain. La surcharge aurait dû te brûler sur place !

— Je ne sais pas, Hadri.

Yannis se gratta l'arrière du crâne (une de ses habitudes).

— C'est comme si on avait ouvert un barrage en moi, mais que j'étais assez… heu… « grand » pour le contenir, tu vois ce que je veux dire ?

— Oui, c'est bien compris, mais le problème est là : la sensation de puissance que tu décris, c'est typiquement celle d'un Aspect qui se révèle. Le hic, c'est que on est des homininés, et pas des mages. L'Aspect, c'est la signature des mages.

— Peut-être, dit Ludwig, que Yannis a des gênes de mage dans le corps. Ça expliquerait bien son affinité avec la magie.

— Oui, mais les mages ne peuvent pas se reproduire avec les humains, c'est prouvé scientifiquement et…

— HUM HUM…

Tous se tournèrent vers Ugo, qui leur lança un regard entendu en leur montrant le livre. Ludwig fit clairement entendre que c'était une mauvaise idée, mais la curiosité guidée par témérité supplanta les avertissements. Ugo ouvrit délicatement le livre, et une vague odeur de poussière vint chatouiller leurs narines : il avait l'air si vieux que sa reliure était élimée, ses pages moisies et sa couverture très abîmée. Ugo le feuilleta quelques instants, une moue de dépit naissant sur son visage. Les autres le questionnèrent du regard.

— Rien du tout, dit-il en refermant le livre. Juste des pages de comptabilité, rien de spécial ou d'intéressant. Pourquoi Archibald voulait à tout prix ce foutu bouquin ?

— J'sais pas… Ludwig se tourna vers ses autres amis. Peut-être que c'est un maniaque, ou bien il a peur pour ses économies. C'est bien les siennes ?

— Non, dit Ugo en soupirant. C'est le livre de gestion d'économie de l'Académie. Mais je me demande si…

— Quoi ? Questionna Yannis, conscient du fait que Ugo trouvait toujours des pistes sérieuses.

— Bah, y a sûrement un message secret, mais je n'ai pas la moindre idée de comment le prouver ou le montrer…

Ils se creusèrent les méninges durant plusieurs minutes, tournant les pages et le livre dans tous les sens pour en percer le secret. Au bout du compte, il semblait qu’aucun message secret n’avait été dissimulé entre ces pages – et ce malgré les nombreux décodages sous lesquels Ugo avait criblé le livre. Déçus (surtout Ugo), ils partirent en quête du bureau d’Archibald et finirent par le trouver après moult bifurcations. Le magicien était assis sur sa table, en train de feuilleter l’équivalent d’un journal terrien mais au papier de bien meilleure qualité. Il leva ses yeux du texte en les voyant arrivés, penauds, et sourit.

— Eh bien ! Je pensais que vous seriez plus heureux d’avoir accompli votre mission !

— Je refuse catégoriquement de croire que ce fichu bouquin – commença Ugo en balançant l’objet aux pieds d’Archibald – ne dissimule que dalle !

Le magicien regarda tour à tour les cinq garçons dans les yeux avant de se pencher pour prendre le livre. Il l’épousseta, ouvrit à une certaine page et la parcourut rapidement, avant de refermer prestement l’ouvrage pour le poser à ses côtés. Ugo avait observé ce petit manège, les yeux plissés et les lèvres pincées ; il détestait qu’on le roule dans la farine. Bien sûr, de telles prouesses se comptaient sur les doigts de la main, mais avec Archibald, le petit lycéen était persuadé que le décompte allait augmenter.

— Merci pour votre aide. Comme promis, je vais vous donner quelque chose qui vous permettra de retourner sur Terre.

— Un téléporteur ? hasarda Ludwig.

— Non. Il vous faut autre chose pour vous permettre de tous rentrer chez vous (le regard du magicien se durcit) Je dis bien tous, y compris vos camarades emmenés autre part.

— Vous savez où ils sont ? s’écria Edward avec un air affolé.

Ses amis étaient aussi impatients que lui à l’idée de savoir où se trouvaient le reste de la classe, mais Archibald tua leur espoir dans l’œuf en faisant non de la tête.

— Je l’ignore. Je n’ai ni l’autorité du directeur ni celle de l’Inquisitrice pour accéder aux dossiers de ce genre. Sachez-le bien : si vous avez été considérés comme presque-naturalisés en raison de vos dispositions – il laissa son regard traîner – plus ou moins magiques, les autres humains n’ont pas eu cette chance et ont directement été placés sous la juridiction du Conglomérat des Étrangers.

Devant leurs mines confuses, il leur expliqua qu’il s’agissait d’un sous-conseil constitué des planètes assujetties à Mourn et présidé par l’Empire. Il se déroulait rarement ici car, au vu de la sécurité maximale qui régnait en ces lieux, il était presque impensable que des étrangers débarquent au beau milieu de nulle part.

— Ce conseil délibère de la traitance des prisonniers de guerre et politiques. On peut considérer vos camarades dans ce dernier cas.

— Ok, ok… Donc tu vas faire jouer tes relations avec le dirlo ? s’hasarda Ugo.

— Même si je le pouvais, je ne le ferais pas parce que, dès lors que vous avez décidé de libérer des humains, c’est votre vie qui est en jeu. Je ne vais donc pas risquer la mienne et celle du directeur alors que vous pouvez user d’une solution certes plus fastidieuse, mais moins directe et surtout moins mortelle.

— Qui est ? demandèrent à l’unisson le quintet.

Le mage prit un air à la fois grave et amusé.

— Vous allez participer au Tournoi des Roi-Mages.

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