Chapitre 37 – Les suies du croupion

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— C'est vrai que sur Terre, on utilise du papier pour s'essuyer les fesses ?

Archibald et Ugo fouillaient une salle de stockage quand Archibald avait pris la parole pour poser cette question insolite.

— Pourquoi cette question ? T'as la merde au cul ou quoi ?

— Non, je me demandais si c'était la cause de la plupart de vos maladies. Vous essayez sans arrêt de vous soigner via divers composés chimiques, mais vous finissez toujours par tomber malade. Ça m'étonne que votre système immunitaire ne fonctionne pas aussi bien que le nôtre.

— Écoute, répondit Ugo, agacé. J'ai envie de comprendre pourquoi tu es toujours en colère quand t'es en présence de Yannis. Quoi, c'est juste parce qu'il est tellement idiot qu'il te fait chier, ou c'est pour une autre raison ?

— Cesse de fouiner chez moi et concentre-toi sur la recherche d'indices, comme tu sais si bien le faire.

— Non ! Je refuse de chercher un indice de plus tant que tu ne m'a pas dis ce que tu as en tête. Impossible pour moi de se concentrer dans ces conditions.

Allez, crache le morceau !

— Tu ne sais pas quelles horreurs j'ai vus, jeune homme, tonna Archibald en serrant les poings. Tu n'es même pas capable de les imaginer !

— Bien… Ugo se détourna à contrecœur du magicien et recommença ses fouilles, l'amertume le rongant tout de même moins que la curiosité. Je ne

m'arrêterai pas de creuser, ça tu peux me croire !

Archibald semblait manifestement en colère, mais son teint pâle et ses mains tremblantes trahissaient un certain stress. Le magicien n'avait pas très envie qu'on parle de lui ; un sérieux trouble venant sûrement d'un trauma, et ce trauma, comme tous les autres qu'Ugo avait diagnostiqué chez ces tarés (Isabella, Éléanora, Le Directeur, etc…), trouvait son origine dans ce énième taré de Synnaï, qui pour une raison X ou Y, avait manifestement couché avec toute la population de cette planète. Sinon, pourquoi serait-il aussi connu et apprécié soit au minimum, ou au maximum?

Malheureusement, Ugo n'avait pas le temps de décortiquer cette théorie. Pour l'instant, il suivait le conseil d'Archibald et fouillait les caisses entreposées ça et là. Un détail cependant: si la plupart étaient étiquetées et datées, quelques unes n'avaient pas ce luxe. La dernière date indiquée, c'était il y a 2 jours. Depuis, plus aucune caisse n'avait été classée mais entreposée de manière étrange, comme si…

— Archi! J'ai une question pour toi.

— Pose toujours…

— Peut-on créer un système de boucle thaumaturgique qui entrepose des objets dans une salle dont la signature est d'une certaine nature magique?

— Eh bien… (Il semblait assez surpris) Je ne comprends pas comment tu as eu cette idée saugrenue, mais oui, c'est possible, je pense. Le système me paraît bien complexe, par contre… Je ne pense pas que ce soit le cas ici, non ?

— Regarde ! (Ugo désigna les caisses rangées de manière octogonale, presque en cercle) Aucune personne censée ne range les caisses de cette façon: la précision est trop grande même pour un être vivant non Mage ou non humain. C'est forcément par procédé mathématique. Tu n'aurais pas, par hasard, un sort qui détecte des traces de magie ?

— À votre service, chef…, répliqua Archibald avec un ton sarcastique.

Il traça un cercle magique comme il savait visiblement les maîtriser, et inscrivit les variables "bêta" et "passé/créer", constantes magiques signifiant en partie "répliquer" et "passé". Tandis que les lignes du cercle s'illuminèrent, l'air crépita sous l'effet de l'énergie du Mage et une fumée grise s'éleva du cercle.

La fumée prit la forme d'un humanoïde similaire à Gary, mais sans les antennes. À la place, il avait des cornes qui semblaient faites de pierre, mais l'image était trop brumeuse pour qu'Ugo puisse en déduire la nature. L'image fantôme vibrait à cause de la chaleur, mais finit par se mouvoir. Elle s'approcha des caisses, et en "prit" une. La fumée se rassembla dans ses mains, formant également un spectre brouillé de l'objet. Le fantôme se déplaça à l'autre bout de la pièce, et rangea la caisse à l'endroit où une était déjà présente: la dernière étiquetée.

Soudain, sans un bruit, le spectre se retourna, balayant l'air par des volutes de vapeur. Il ouvrit la bouche, lâchant un cri silencieux. Puis, il disparut.

Ugo se précipita à l'endroit où l'employé vaporeux s'était effacé. Comment j'ai pas pu le remarquer ? Effectivement, on pouvait voir une longue trace noire, comme si quelque chose ou quelqu'un avait été calciné sur place. Ugo passa son doigt dans le brûlé, et goûta; c'était aigre et ce n'était pas un composé organique simple comme un plante ou un microbe, et la température qui avait formé cette trace avoisinant environ les 20000 °C. La trace avait d'ailleurs, sous un certain angle, la forme vague d'un corps… à six bras.

Levri, pensa Ugo tout en imaginant la scène: le soir, c'est la vérification des machines. Puisque Gary était magiquement lié à la salle des contrôles, c'était Levri qui était parti faire le rangement des caisses de minerais, acheminées par les vecteurs thaumaturges gravés dans la roche. Puis, comme c'est trop compliqué pour des Feurrailleurs de faire un système magique qui range automatiquement les caisses, ils décident de les laisser tomber dans cette salle et de les ranger plus tard dans les étagères, qui soit dit en passant sont mécanisées pour envoyer les caisses à la surface.

Récapitulons: Levri descend en bas jusque dans la salle de stockage. Il commence à ranger les caisses, tranquillement, en pensant à la fin de sa journée. Bref, tout va pour le mieux pour lui jusqu'à qu'il entende un bruit derrière lui. Il se retourne, voit qu'il est dans la mouise, hurle pour appeler à l'aide mais Gary mange un donut. Il ne l'entend donc pas et Levri se fait calciner sur place (Bon, j'ai exagéré: Gary ne mange peut-être pas de donuts).

Mais deux questions s'imposaient à Ugo: s'il y a une trace, c'est que soit il s'est fait désintégré, ce qui est peu probable, soit son corps à été emporté, mais il n'y a pas une trace de traînée montrant qu'il est été effectivement emporté, donc le truc qui l'a tué avait manifestement assez de puissance pour le faire disparaître ?

Mais comment un truc pareil aurait pu passer inaperçu aux yeux de Gary ? Et si c'était…?

— Eh, prof Parmini, il n'y a vraiment qu'une seule entrée pour pénétrer le volcan ?

— Oui, affirma-t-il en étudiant minutieusement la trace sombre. Celle que nous avons utilisé tout à l'heure est la seule. Surveillée par Gary qui plus est.

— Et personne n'aurait pensé à descendre par la cheminée ?

— Une mauvaise idée, objecta Archibald. Les gaz du volcan sont extrêmement nocifs, et même si tu peux t'en protéger magiquement, un champ magique à plusieurs couches empêche toute intrusion.

— Mais comment pourrait-on pénétrer dans cette salle sans être vu par Gary…

— Peut être que personne n'est rentré, et que c'est juste une différence de potentiel magique qui l'a grillé ? Ça arrive souvent quand on vit près de tels dispositifs.

— Peut-être que tu as raison… Mais peut-être que…

Nous les Feurailleurs, sommes des lointains cousins des Kaarnag.

De simples légendes...Vivent le plus souvent sous les volcans…

« Ils ne vont jamais à la surface, sauf s'ils ont assez de chaleur pour y subsister. D'ailleurs, le saviez-vous ? Plus ils sont gros, moins vite ils perdent leur chaleur ! » Bestiaire Mythique, Tome 4, Page 230, paragraphe 9

Nom de dieu, pensa Ugo en lâchant un blêmissement mental. Pourvu que je me sois trompé… Oh non ! Yannis et Kara sont allé dans cette direction !

Il se précipita vers les bas-fonds, suivi de près par un Archibald perplexe.

* * *

Ugo rejoignit l'endroit où tout le monde aurait dû se retrouver. Mais il n'y avait personne à part lui et Archibald. Bordel, cria-t-il mentalement en abattant son poing sur le mur, lui arrachant un cri de douleur. Il n'avait pas réfléchi assez vite, il n'était pas assez intelligent.

Il calma sa colère en respirant profondément, via une technique zen. La situation était désastreuse: le meurtrier était capable de se déplacer sans se faire repérer, et pouvait apparemment tirer des vagues de chaleur à haute température, à haute vitesse. De plus, Yannis et Kara étaient introuvables, ce qui ne présageait rien de bon; ils étaient sûrement déjà à la multi-plateforme centrale, au dessus de la cheminée. Vite, il se retourna et partit à la recherche d'une porte donnant sur la cheminée, suivi encore par Archibald.

Celui-ci ne tenant plus, il lui lança:

— Qu'est qu'il se passe ?! Pourquoi tu es revenu au point de rendez-vous ? Où sont… Où sont les autres ?

— Au centre du volcan, sur la plate-forme qui récolte l'énergie thermique. Il faut faire vite, avant qu'il ne soit trop tard.

— Pourquoi ? Tu as trouvé l'identité du tueur et tu penses qu'il est toujours en liberté ?

— Oh que oui, et c'est pour ça qu'on doit sortir de ce putain de sauna. Sinon on va tous finir en barbeuc. Littéralement.

— Ah… Dans ce cas, je serai dans l'incapacité de vous protéger: si ce meurtrier a pu volatiliser Levri alors qu'il était aussi résistant qu'une peau de Kaarnag, nous n'aurons d'autre choix que de fuir.

Ugo sentit la déception pointer dans son crâne: bien qu'il savait que les mages n'étaient pas tout puissants, Archibald était pour lui le Mage par excellence. En aucun cas il n'aurait cru que ses pouvoirs ne soient pas de taille. Mais Ugo savait très bien à qui ils avaient affaire.

Ils atteignirent en quelques minutes une des portes blindées qui menaient à la plate-forme. La porte était déjà ouverte, et on sentait déjà la chaleur du magma en sortir. L'air bouillonnait presque. Ugo resserra sa peau de Kaarnag autour de ses épaules et passa la porte.

Derrière elle, Ugo ne put rien dire ou faire à part être époustouflé.

Un gigantesque pilier de métal inconnu jaillissait des profondeurs de la lave en fusion pour terminer sa cime en sortant de la cheminée, tout en étant en constante rotation. Des plates-formes étaient reliées à celui-ci, ainsi que des fils et tubes qui transportaient sans aucun doute les minerais et la chaleur. Des glyphes en fractales parcouraient leurs surfaces, brillant sous l'effet de la magie. Et même si Ugo était incapable de sentir l'énergie thaumaturgique, ses cheveux se dressaient tout de même sur sa tête, et des minuscules arcs électriques apparaissent ça et là, ionisant continuellement le dioxygène en ozone.

On doit faire vite, pensa Ugo tendit qu'il passait son turban sur sa bouche. L'air risque vite de manquer

— Je m'en occupe, lança Archibald comme s'il lisait dans les pensées de Ugo.

Il sortit une bulle de verre de sa poche et souffla dessus. La boule fit briller un sigle sur sa surface, et format une sphère cristalline autour d'eux. Si la chaleur était toujours présente, l'air était devenu respirable.

Ugo put donc oxygéner son cerveau, et remarqua que le pilier s'était arrêté de tourner. En cadeau, il tomba sur Yannis et Laura qui se trouvaient devant un panneau de contrôle apparemment hors-service, protégés par la même peau de Kaarnag. Son pote avait l’air mal en point, mais tenait toujours debout, et ses yeux était exorbités comme s’il était défoncé.

— Mais qu'est ce que vous faites ? Vous vous croyez vraiment dans Mr.Robot , bande d'abrutis ?

— C'est bon, pas la peine de s'énerver, lui rétorqua Kara. Yannis essaie juste de comprendre le système d'exploitation.

— C'est vraiment fascinant ! (Tout le monde tourna la tête vers Yannis tandis que celui-ci était penché, en train de taper sur le clavier d'un ordinateur) Le programme en charge s'appelle "Paradygme" et il est totalement autonome ! Mais là, on dirait que sa conscience s'est éteinte ou je ne sais quoi, et j'ai du aller dans le BIOS pour vérifier qu'il était toujours opérationnel.

— Depuis quand tu sais aussi bien te servir d'un ordinateur, toi ?

— Pas le temps de t'expliquer, Ugo, répliqua le jeune homme en se redressant. J'ai découvert la source du problème, on a plus qu'à…

— RAAAAAAGH !!!

Tout le monde se pétrifia en entendant un hurlement guturral, qui semblait venir des profondeurs. Et une onde, pas de la chaleur, se propagea dans l’air et rendit Ugo légèrement nauséeux. Une odeur d’œuf pourri. Une odeur de souffre.

De magie.

TOUM

Une secousse les jeta au sol, et le sol trembla si fort que leurs dents et leurs os s'entrechoquèrent. Ugo remarqua que les glyphes jadis lumineux s'étaient éteints, comme si on les avait vidés de toute énergie.

TOUM

...

TOUM

TOUM

— Oh oh...

C'est que Yannis ne fit que résumer la pensée de tous ceux qui furent présents. Une griffe de pierre de la taille d'une voiture apparut dans leur champ de vision. Ugo vit que des veines de lave en fusion cimentaient l'ensemble.

Une tête, ou plutôt une gueule qui aurait pu manger le pilier lui-même les regarda de ses yeux de rubis flamboyants. Elle ouvrit sa bouche circulaire remplie de dents en métal tranchantes, couvertes de runes. Le fond s'illumina.

Un Kaarnag… Bien sûr… Se dit Ugo en regardant le jet de flammes qui allait bientôt le réduire en cendres.

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