Chapitre 38 – Le Mangeur de Montagnes

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— Baissez vous !

Une voix lointaine hurla , tandis que Yannis, suivant cet ordre, sentit à peine la vague de chaleur laissée par le rayon. En revanche, il sentit que la pression de l'air avait changé. Du plasma.

Yannis se releva, et vit la créature atroce qui se tenait devant eux : Une espèce de lombric à six pattes griffures, entièrement faites de pierre à moitié en fusion. Le monstre en lui-même avait une taille qui aurait pu lui permettre de s'enrouler entièrement autour d'un immeuble de 10 étages. Sa bouche, un trou rempli de dents fulminantes, s'ouvrait et se refermait prestement, dans un bruit de métal contre métal. Une odeur de brûlé émanait de vapeurs sortant des trous dans sa peau, et un bruit persistant faisait vibrer l'atrocité comme le ferait une dynamo.

La créature se redressa au dessus d'eux, prête à tous les engloutir dans une seconde salve destructrice.

— COUREZ !

Yannis ne se fit pas prier. Il inspira profondément tout l'oxygène qu'il put, puis Déphasa. Sans plus attendre, tout son corps fut empli de magie, s'allumait et ressentit tout, et le recouvrit pour le protéger de la chaleur ambiante. Son cerveau, tournant à plein régime, ralentit significativement le temps pour lui permettre d'esquiver le souffle. Cette fois, il fut plus précis et eut juste besoin de se baisser. Le monstre gronda de frustration, levant une de ses six pattes pour les écraser. Yannis se concentra sur ce moment.

La patte s'abattit avec violence, brisant en deux la plate-forme de métal. Cependant, il n'y avait plus rien à écraser: tout le monde s'était subitement retrouvé quelques mètres à côté.

Yannis n'haleta pas, ne s'évanouit pas. Il maîtrisait de mieux en mieux sa puissance, et avait réussi à Transporter tout le monde hors de danger. Il tira son épée, prêt à en découdre sous l'effet adrénalique de la magie, mais Archibald l'attrapa par le poignet:

— Réfléchis, tu n'as aucune chance!

Yannis acquiesça à contrecœur et rangea son épée. Tout le monde se mit à courir, poursuivis par le monstre en colère. Étant encore sur des platesformes, il leur fallait trouver une porte. Un deuxième Voyage serait trop éprouvant pour Yannis, il le savait. Il fallait donc la jouer plus fin. Il s'arrêta devant un mur, et frappa de toutes ses forces physiques et magiques dessus; en conséquence, un pan entier du mur s'effondra sur la créature, qui n'eut d'autre choix que de reculer en hurlant de douleur. Elle tira un autre rayon, sans toucher sa cible.

Épuisé, Yannis resta quand même en Déphasage. Il courait si vite qu'il avait l'impression que ses pieds ne touchaient plus le sol. Il vit une porte, fonça dessus et la défonça d'un coup de pied, sans prendre le temps de voir en quoi elle était faite. Ce dernier effort manqua de l'achever, mais il tint bon. Le contrecoup serait trop fort s'il relâchait, ne serait-ce qu'un seul instant, la pression.

Ils coururent autant qu'ils purent, jusqu'à rejoindre la salle de contrôle. Gary les attendait, inquiet. Il avait sûrement dû entendre les bruits provoqués par la bête.

— Alors ? (Il s'approcha de Yannis) C'était comment là-dessous ?

— Horrible, répondit le jeune homme toujours Déphasé. Vous devriez refaire la déco !

— Oui, je sais, j'en ai déjà parlé au gouverneur, mais il ne veut rien entendre. Et pour le problème ? L'avez-vous réglé ? J'ai entendu des bruits assez bizarres…

— Oh ça ? (Archibald avait prit la parole d'un ton acerbe) Vous parlez du gigantesque élémentaire de lave qui se trouvait dans le complexe ? À savoir si votre patron a un peu jugeote quand il veut construire, parce qu'il devrait vérifier l'endroit d'abord !

— Qu… Quoi? M… Mais comment est-ce possible ? Il n'est pas revenu depuis des lustres !

— Comment ça "il"? (Yannis posa sa main sur son épée pour montrer que Gary risquait gros) Qu'est-ce que vous nous avez caché?

— Le… Le Dan'rak, expliqua le Feurailleur à toute vitesse, est le volcan où nous sommes, abritait auparavant dans son sein une divinité locale que les gens surnommaient Le Mangeur de Montagnes. La légende raconte que… — Abrège, idiot !

— Oui, tout de suite ! Ce n'était qu'une légende, et le Gouverneur, Loué soit son nom, n'a pas vraiment prêté attention à ce qu'il appelait des "balivernes". Il a donc décidé de construire l'usine ici. Nous les Feurailleurs, on croit aux légendes, et on ne voulait pas que ce projet aboutisse. Alors il nous a tous liés à cet endroit pour qu'on y travaille.

— Il a asservi ton peuple ?

— Eh bien…. Oui, si j'ose dire… Mais ici, on est nourri, logé et on a toute le chaleur que l'on veut, et puis…

— Oui, bon ça va, le coupa subitement Ugo. Tu vas pas non plus nous raconter ta vie. Comment on se débarrasse de cette saleté ?

— Je ne sais pas vraiment; la légende dit que le dieu qui sommeille sous la montagne s'endort lorsqu'il est repu...

Tout le monde le regarda d'un air ahuri. Yannis se frotta les yeux, exaspéré.

Il n'avait pas le temps pour ces salades ! Il s'exclama:

— Un plan, quelqu'un ?

Comme pour lui répondre, Yannis entendit un TOUM assourdissant, puis:

— Me regarde pas ! répondit Kara.

— De même, ajouta Archibald.

— Et je vais me coltiner tout le boulot, termina Ugo. Attendez une seconde…

Il sortit sa flasque, en but quelques gorgées. Ses yeux brillèrent brièvement, et il dit:

— Voilà ce qu'on va faire…

Yannis et les autres se penchèrent vers lui.

* * *

Le Kaarnag géant avait réussi à se faufiler dans les couloirs du complexe pour sortir de la salle au pilier. Si son apparence était la même, sa taille avait été réduite à celle d'un gros chien. Donc le bestiau sait aussi changer son volume, pensa Ugo. Comme s'il n'avait pas assez de capacités comme ça… Que peut-il bien être en vérité ? Un dieu, pas vraiment, donc un Kaarnag génétiquement modifié ? Mutation… Magique ? Sans aucun doute, vu la concentration en magie présente dans le volcan. Mais, comme tout Kaarnag, il y a deux choses qu'il doit craindre: l'absence d'énergie ou le trop plein. Seulement, sa charge maximale était assez élevée pour survivre dans la lave.

Impossible de le faire exploser. Heureusement, le plan devrait se dérouler normalement, s'il n'y a pas trop d'accrocs.

Ugo sortit une fusée éclairante de sa poche et l'alluma. La fusée siffla, s'envola vers le haut plafond et explosa dans une gerbe de lumière. Le monstre dut entendre le bruit, car il se retourna pour venir à sa source. Le plan allait commencer.

Le Kaarnag atteignit le point de rendez-vous. Parfait. C'est alors que Yannis sortit de derrière une porte en hurlant, faisant tournoyer son épée, insultant copieusement la mère du monstre. De son côté, Kara lançait des sorts de confusion à profusion. Le lombric brûlant hurla de rage, et cracha son laser pour les désintégrer, mais Yannis se jeta sur le côté, tandis que Kara se réfugia derrière une porte. Putain, c'est vrai qu'il est rapide, ce con ! Yannis se releva en vitesse pour réesquiver le souffle destructeur. Yannis culbutait, sautait, et roulait sans arrêt dans un ballet mortel où un monstre grandissant essayait de le transformer en merguez.

Comme prévu, il ne sait pas contrôler sa taille sous l'effet de la rage. Voyons s'il se rend compte de son erreur… Et, comme pour répondre aux pensées d'Ugo, un "clic" retentit; le monstre grossissant avait touché un mécanisme installé au plafond, une mine magique qui ne tarda pas à exploser, libérant une vague d'air gelé qui refroidit littéralement les ardeurs du monstre. Celuici clignota, et bascula sur le côté pour s'éteindre. Il ne bougea plus du tout

Après quelques minutes, Yannis s'arrêta de courir et Kara sortit de sa cachette. Ils se regardèrent, puis sautèrent de joie. Tandis qu'ils célébraient leur victoire en dansant, Ugo s'approcha de la bête. Dans un état d'immobilité, elle offrait son flanc à toute épée de bonne foi. Il s'approcha, plus près, assez près pour sentir l'odeur de charbon qui émanait de cette abjection. Elle ne bougea pas. Ugo avait la sueur froide de la peur qui s'écoulait lentement dans son dos. Elle ne bougeait…

Archibald bouscula Ugo, avant de prendre un coup de griffe incandescente. Tandis qu'il s'écroulait par terre, le bras en lambeaux, le Kaarnag se releva en hurlant de triomphe. Il inspira profondément, accumulant la chaleur aux alentours. Avant de relâcher un souffle brûlant, écrasant, implacable et mortel. Ugo sentit ses derniers instants arrivés, alors qu'il avait juré de mourir la bouteille à la main. Il vit une forme apparaître devant lui.

Putain, c'est vraiment mon jour de chance aujourd'hui… Un dôme de lumière se forma devant la silhouette de ce sauveur. Un bruit sifflant s'énervait dans les tympans de Ugo, mais il continua tant bien que mal à regarder devant lui. Il tenta de distinguer des détails permettant de savoir qui était ce gars, ou cette meuf. Ah oui, toujours lui… Cependant, Yannis encaissait miraculeusement le coup. On aurait pu dire qu'il nullifiait le laser, mais cet état ne pouvait forcément pas durer. On voyait déjà des étincelles éclater sur sa peau de Kaarnag, la réduisant peu à peu. Soudain, il hurla :

— JE SUIS LE MAGE ! AUCUN ÊTRE NE PEUT ME VAINCRE !

Il commença à prendre le dessus, et s'avança pas à pas sous le regard interloqué de Ugo et celui, terrifié, de la bête. Pendant un instant, on eut cru qu'il allait l'achever.

Mais non.

Pathétique, si on se référait au manuel des "Défaites les plus Inattendues de l'histoire des Combats Épiques". La bête, rusée comme elle l'était, s'était écartée furtivement et plaça un coup de queue qui faucha les jambes de Yannis. Il tomba au sol, assommé sur le coup. Nul sur vingt…

Bon… Ugo regarda autour de lui, en quête d'un bouclier humain ou mage. Personne : Archibald répandait un sang pourpre sur le sol, Kara avait atteint ses limites physiques et magiques en tentant de le soigner, et Yannis, face contre terre, commençait à manger la tige des pissenlits. Ne restait que Ugo, et son cerveau.

Vite, trouve un plan… Manifestement, ce Kaarnag ne craint pas vraiment les refroidissements directs. Comment pourrait-il faire ? Il analysa les particularités de l'adversaire en quelques secondes, repérant les failles potentielles. 272 failles supposées, 261 rejetées, 11 retenues. Réintégration. Utilisation des formules de Feymann. Bohr. Analyse quantique. Résultats retenus: 7. Analyse infinitésimale. Résultats retenus: 5. Analyse motrice.

Calcul… Calcul… Résultats retenus: 1 seul. Fuite autorisée.

Il prit ses jambes à son cou, laissant la créature perplexe quelques instants, avant qu'elle ne hurle après lui pour le poursuivre. Ugo lançait ses jambes en avant comme jamais, et essayait de semer le Kaarnag, en vain: il était bien trop intelligent, bien trop rapide pour qu'il y arrive. À plusieurs reprises, il failli se faire attraper, mais échappait de justesse aux coups de queue, griffes et aux rayons dévastateurs.

Il sortit du volcan en trombe. La chaleur du soleil étant bien plus supportable, il enleva sa peau magique pour éviter qu'elle le ralentisse. Si seulement il était aussi rapide que Yannis sous Déphasage… Mais Ugo ne devait pas perdre une seconde de plus.

Il trouva une cachette viable, lui permettant d'être dans l'ombre sans être vu ou senti. Pendant ce temps-là, le lombric cauchemardesque sortit de l'entrée, et s'arrêta net; comme l'avait prévu Ugo, il n'avait jamais vu la lumière du soleil, et devait être assez choqué pour donner le temps dont son génie avait besoin.

Il fouilla dans ses poches, et en sortit une boîte pas plus grande que celle d'une bague de mariée. Scellée, la boîte était d'un bleu profond, avec des reflets chatoyant sur le dessus. La matière dont elle était faite ne semblait ni solide, ni liquide ou même gazeuse, mais semblable à l'état du point triple. Il ne l'ouvrit pas tout de suite, pas maintenant. Mais le plus tôt sera le mieux. Il attendit que son ennemi s'approche assez, et lança la boîte.

Non, la boîte ne contenait point une matière capable de refroidir le Kaarnag. Non, il n'y avait pas d'explosif à l'intérieur. C'était un objet bien plus dangereux qu'Ugo avait créé en étudiant les travaux du LHC : des particules à haute vitesse qui s'entrechoquent peuvent recréer les conditions initiales de l'univers à sa formation, et parfois créer de minuscules trous noirs très instables et totalement inexistants.

Mais le génie de cet énergumène n'avait aucune limite, aussi sur Terre il avait réglé le problème: c'était le manque de masse du trou noir qui le faisait disparaître, à cause bien sûr du rayonnement de Hawking. Les radiations dégagées n'étaient même pas suffisantes pour faire fondre du métal, mais si on comprenait comment synthétiser de l'anti-masse, et bien…

La gravitation ne l'emporterait plus, et l'anti-masse empêcherait le trou noir de s'entasser sur lui-même. Encore une fois, inutile, mais Ugo avait découvert que cette anti-masse ne pouvait exister que plus de quelques secondes sans apport constant d'énergie. Mais si cette énergie était renvoyée au centre du trou noir, on créerait un effet en boucle de contractionexpansion, jusqu'à que le trou noir soit assez massif pour détruire une zone autour de lui. Ensuite il explose.

Ugo ne voulait pas qu'il puisse exploser, donc il avait réglé son appareil pour que le souffle soit redirigé… Eh bien, dans la "boule de géométrie" du trou noir, une autre dimension où le temps n'existe plus, donc les phénomènes comme les explosions… n'existaient pas. C'était donc une implosion contrôlée, qui annihilait tout ce qu'il y avait dans un rayon donné. Une arme de destruction très efficace.

Il régla l'appareil sur un volume de 50 m3, suffisamment pour effacer une bonne partie du corps de cette saleté. Il alluma le générateur de Hawking (il l'avait appelé comme ça en son honneur, un grand théoricien) et le lança le plus proche d'elle.

Il attendit

Mais rien ne se passa, et Ugo jura quand il comprit: la planète elle-même ne devait pas tolérer de tels agencements de la physique, et avait donc supprimé les effets de sa Super Dark Intra Bomb (Hawking, sois maudit! Pourquoi tu n'avais pas prévu ça dans tes calculs sur les singularités ?). Ugo soupira quand la bête s'approcha de lui pour le dévorer. Elle se dressa dans un ultime assaut, prête pour le coup final, l'avènement de dame Victoire.

Pas question de mourir ici !

Ugo se jeta sur le côté, évitant la gueule vorace. Le monstre percuta la pierre ce qui le sonna quelque peu. Les jambes du jeune génie lui firent souffrir le martyr, et il ne pouvait plus bouger.

Un craquement sonore retentit, et le rocher massif s'effondra sur le monstre, l'ecrasant avec une force suffisante pour le réduire en morceaux. La magie de feu s'échappa du corps du brûlant, démontrant son état de mort permanente.

Ugo retint sa respiration quelques instants, conscient de la peur qui le paralaysait. Son cœur battait à un rythme effréné. Soudain, il recommença à respirer petit à petit, par à coups. Adossé au restant du rocher, il se laissa glisser pour s'assoir, épuisé ; avoir combattu une telle créature et l'avoir vaincu, c'était un exploit digne d'un poème épique, mais aucun barde n'était là pour chanter ses mérites et louanges. Il soupira.

Ugo se releva et repartit à l'intérieur de l'antre héphaïstoïcienne.

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