Chapitre 58 – Gagner sans perdre

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Après quelques minutes de bondissements par dessus les arbres, Yannis arriva enfin au centre névralgique de l'épreuve : l'arène. Bien que simplement construite (un cercle de sable de tout ce qu'il y avait de plus banal), l'arène était entourée de Piliers Abjureurs, en cuivre rouge, qui stopperaient toute éclaboussure magique du fait de leur combat. Une invention datant de la Clause de l'Or Bleu, je crois, se dit Yannis tandis qu'il s'approchait de l'arène. Au centre du cercle se trouvaient ses prochains adversaires, attendant patiemment : Horebea, qui le remarqua immédiatement, mais qui se retint de tirer son épée maintenant, de peur d'être disqualifiée.

De l'autre côté du terrain, il y avait un Feurailleur ; mesurant au bas mot deux mètres cinquante de hauteur, ce dernier n'avait pas la couleur grisâtre de ses congénères, mais plutôt celle du lapis-lazuli. Portant une lourde armure de plates, armé d'une claymore, il était imposant. Mais l'aura tranquille qu'il dégageait était tout à fait opposée à son accoutrement.

Le dernier (sûrement Soma) était directement venu vers lui : un rouquin aux yeux ocre, avec deux cornes qui se torsadaient sur sa tête, comme un bélier. D'ailleurs il n'avait pas un cap, ni une île, ni une péninsule mais un mufle qui se retroussa quand il sourit et lui murmura :

— Ah, tu dois être le Yannis dont Spencer m'a parlé… Ravi de faire ta connaissance ! (Soma se pencha vers lui, l'air inquiet, en laissant cette question en suspens :) Et pour notre arrangement… ?

— Il tient toujours, lui assura Yannis. J'ai d'ailleurs un outil qui te permettra de vaincre le capitaine des M.A.C.H.T avec panache et brio !

— Formidable ! Et, si je puis me permettre… ?

Yannis acquiesça, avant de sortir la petite gemme qu'il avait trouvé dans la forêt brumeuse. Le regard de Soma s'émerveilla quand Yannis lui tendit la pierre iridescente.

— Je ne sais pas si cet artefact est rare ou ancien, mais garde-le précieusement, et fais attention ; il est aussi puissant qu'une centrale nucléaire.

— Je le jure sur le Grand Serpent ! Et… Comment l'active-t-on ?

— Il suffit que tu injectes ta magie à l'intérieur, et le cristal fera le reste : il n'est qu'un amplificateur de kirrhósi… Avec ça, tu pourras simuler le Déphasage, et presque ta Nature, si tu lâches tout !

— Ah…

Soma avait l'air déçu.

— Quoi ?

Il fit « non » de la tête et lui tendit la pierre.

— Je refuse de gagner via un artefact ou un autre objet. Je veux être comme Karmeni Heinzenbald : je veux me reposer que sur ma propre force !

C'était pour ça ; Soma était un digne fan de la Red-Sight, et donc il était impossible pour lui de faire hommage à cette équipe quasi-légendaire en utilisant un tiers-moyen. Yannis soupira. C'est vrai, il a raison en un sens… Il est… Non, il était comme moi quand je ne voulais pas me reposer sur les autres, mais…

— Ne vois pas ça comme un simple objet, lui assura-t-il en lui faisant refermer la paume sur la pierre. Vois ça comme si c'était le travail de plein de gens, dont tes amis, qui se serait concentré dans cette petite chose.

Le regard de Soma s'éclaira, et Yannis put constater en temps réel qu'il voyait la gemme sous un nouvel œil.

— Mes… amis ?

— Oui, soutint Yannis. Ce n'est qu'un outil en attendant que tu ais le niveau académique pour égaler Karmeni, mais à mon sens…

Soma le regarda droit dans les yeux...

—…Tu es un membre digne de la Red-Sight.

Le visage de Soma fut comme traversé par un éclat de lumière, avant de se tordre pour fondre en larmes. Gêné, Yannis le prit dans ses bras et tapota son dos.

— Là, là…

Soma se ressaisit, avant de confirmer :

— Je vais gagner.

Puis il s'écarta.

Le premier combat opposait Yannis et le chef des M.A.C.H.T, qui s'appelait Èl Yakol, surnommé Èl. La première chose dont Yannis était sûr, c'est que ce type n'avait aucun grief contre lui ; si Isabella était derrière tout ça, alors elle n'aurait pas pu rameuter des élèves de la classe personnelle de Bartavius. Yannis en était persuadé. Tandis que les autres se plaçaient hors de la barrière pour éviter toute retombée, Èl et Yannis se firent face. Les yeux globuleux de la créature insectoïde ne trahissaient aucune émotion, et la plasticité de son visage, était, disons… Peu informative. Soudain, Èl prit la parole, sans cliqueter cependant :

— Alors c'est toi, le fameux « Prodige » ? Je te croyais plus grand…

— Et moi je te croyais moins lourd, répliqua aussitôt Yannis.

Pendant un instant, Èl ne répondit pas. Puis, il reprit la parole avec ton légèrement confus :

— Je ne vois pas en quoi ma masse est un facteur important dans cette conversation…

Ah ouais.

— Bah, euh… Ta mère est tellement grosse qu'il y a un décalage horaire entre ses deux fesses !

Encore une fois, un blanc.

Ah ouaaais…

— Tu parles encore de manière étrange… Ma génitrice ne possède pas une taille aussi monumentale, sinon il serait impossible à tous de vivre sur Mourn.

Yannis tiqua ; son plan initial était de provoquer suffisamment Èl pour qu'il l'attaque sans retenue, et que Yannis ne puisse le vaincre. Sur le plan de la capacité physique, ils étaient de force égale car chacun d'eux pouvaient faire appel au Déphasage, mais le chef des M.A.C.H.T connaissait bien plus de sorts que lui. Par conséquent, Yannis aurait eu besoin de la gemme pour le vaincre, mais ça n'était pas son but aujourd'hui. Maintenant, il devait tenter de le mettre hors de lui. Mais comment ? Peut-être que… Yannis devait tenter le tout pour le tout :

— Ta mère est tellement laide que je me demande si elle est pas la fille d'un Kaarnag.

Comme il s'en doutait, l'insectoïde réagit : un battement de paupières.

Lentement, il tira sa gigantesque épée et la pointa sur Yannis.

— Elle avait raison : tu es un véritable makhaf.. Te mettre en pièces me donnera double satisfaction.

— Hein ? Qui c’est « elle », et puis… Wah !

Èl fonça sur lui à la vitesse de l'éclair, activant le Déphasage en à peine une demi-seconde, alors que Yannis en mettait bien trois. Mais ce dernier ne devait pas se laisser battre facilement, pour éviter les soupçons ; tant pis s’il ignorait qui était ce « elle » dont Èl parlait.

Un coup en pique, c'est parfait ! pensa Yannis en se baissant, sous le regard insondable de son adversaire. Comme l'a dit Lorkan : ne regarde pas ses yeux, mais ses pieds et ses mains ! Une torsion légère du tendon peroneus brevis lui indiqua que son adversaire allait utiliser la Lune qui Descend sous l'Horizon, une feinte qui laissait croire à un coup circulaire pour cacher un coup de pommeau. Anticipant le mouvement, Yannis para l'attaque avec sa lame, qui tinta comme du cristal. Ils échangèrent quelques passes pendant plusieurs minutes, en se jaugeant surtout du regard. Soudain, le chef perdit patience et fonça sur lui.

Èl balaya Yannis d'un large revers du poing, qui l'envoya se percuter contre la barrière. Le coup fut si puissant que s'il n'avait pas activé le Déphasage à temps, ses côtes seraient brisées. Il cracha un peu de sang. Je dois en avoir quelques unes qui sont fêlées… se dit-il en sentant la douleur dans sa poitrine. Du coin de l’œil, il vit qu'Horebea avait l'air… effrayée ?

Bien sûr ! Si je meurs maintenant, elle n'aura pas sa vengeance ! Ha ha ha… L'ironie de la situation le fit sourire, tandis qu'un mince filet de sang coulait le long de son menton.

— Comment peux-tu trouver ta situation drôle ? lui demanda le géant, tandis qu'il s'avançait vers lui. As-tu la moindre idée de l'écart de force qui nous sépare ?

— Bien entendu, ricana Yannis en s'essuyant le menton. Je suis tout à fait d'accord avec le fait que tu es plus fort que moi.

— Alors pourquoi ris-tu ?

— Tu ne peux pas comprendre ! hurla Yannis en bondissant sur son adversaire, son arme levée.

Il préparait ce coup depuis le début du combat ; Schwarz lui avait enseigné comment la magie non affinée pouvait être contrôlée sans pour autant faire appel à sa Nature. La magie ne répond pas à la volonté, mais à l'intention. Les kirrhósi se rassemblèrent autour de Yannis, siphon irréel de puissance. La plupart d'entre eux étaient déjà réquisitionnés par la barrière, mais il y en avait assez pour déclencher l'attaque.

Le pouvoir fusionna avec son corps, en traversant son cerveau, puis descendant le long de sa colonne vertébrale, provoquant un bouleversement qui se répercuta jusque dans sa main. La magie résonna à travers son Déphasage, et il entra en phase avec son environnement ; il voyait tout, de la plus petite des créatures jusqu'à la respiration de la vallée. Brandissant une lame désormais devenue pure lumière, il rugit de tout son être :

— C'EST CE QUE JE SUIS !

Il envoya la salve de magie, qui prit la forme d'un croissant d'une lueur éclipsant le soleil.

— C'EST CE QUE NOUS SOMMES !

La salve éclata en une myriade de particules multicolores, avec un coup de canon si fort que Yannis sentit ses tympans éclater. La douleur qui parcourait son corps, vestige de l'utilisation d'une énergie trop brute, le faisait souffrir comme si un million d'aiguilles perçaient lentement sa peau. Le souffle du sort avait été si fort qu'un nuage de poussière s'était formé sur tout le terrain.

Au bord de l'évanouissement, il put voir Èl se relever tant bien que mal, blessé mais toujours en course. Yannis, souriant de toutes ses dents rouges à cause du sang, s'effondra. Il avait gagné sans gagner, perdu sans perdre.

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