Chapitre 64 – Two boys, one card
*Maty
La douleur de la dague la traversa avec une force insoupçonnée. Ce n’était pas une simple blessure, mais une mise à mort directe, fulgurante. Un arrachage de pansement sur une plaie vive. D’où le traversement : la douleur passa comme un tornade, mais elle passa vite. Elle ravagea l’âme de Maty qui n’eut que le temps de cligner des yeux entre la vie où elle se trouvait et la mort.
La mort, qui n’était pas vraiment là ? Elle aurait crût voir la Faucheuse, ou bien quelque chose de plus amusant. Mais ce n’était qu’un couloir avec de nombreuses portes. Sur la première, à sa droite, il y avait écrit « Samlia ». Les distances étaient tombées en dépression et le temps sirotait l’absinthe des jours futurs. La seconde, à sa gauche, était ouverte. Elle entra.
Elle y trouva quelqu’un. Une fille, ou une femme… ou même qu’en fait, ça n’avait pas d’importance. Ici, en tout cas. La personne avait une chevelure de neige et, lorsqu’elle se tourna vers Maty, des yeux de néon. Il y avait de la mort chez cette personne, cette fille, qu’importe. Maty ne voulait pas lui parler, ne pouvait pas rester là. Elle les voyait, maintenant : les Deux Mains Cliquetantes qui décident de tout. Elle tendit la sienne, les effleura à travers les épaisseurs ; les Mains frissonnèrent et s’arrêtèrent un instant.
…
Deux yeux curieux… Un visage. Un sourire ? Un « merci ».
…
Un instant, puis elles revinrent à ce qui devait être écrit. Elles refirent les contours de la chambre, la masse des rideaux, la lumière décrépie qui traversait la vitre, le lit jamais défait pour qui ne dormait pas. Laura Blake eut un sourire ironique en voyant Maty, le regard tourné vers là où les choses s’arrêtent et recommencent sans cesse.
— Tu as de la chance. Le mien ne m’aime pas assez pour faire ça.
* * *
*Ugo
Ugo vit le corps de Maty s'effondrer dans ses bras.
Il avait l'impression d'avoir quitté le sien. Comme si toutes les choses de ce monde n'avaient plus d'importance. Aucune Liqueur, aucune magie n'aurait pu éviter ça. L'improbable. L'impensable. L'illogique Maty qui faisait en sorte qu'aucun plan ne fonctionne comme prévu.
Ugo pensait que, quand quelqu'un mourrait dans vos bras, il disait au moins ses derniers mots à celui qui l’accueillerait dans la mort. Genre un testament, une blague ou une phrase philosophique à dormir debout. Mais rien. Juste un regard vitreux, vide et sans lumière. La chaleur comme la vie qui pulsait jadis, était tarie. Sa poitrine ne se soulevait plus sous sa petite respiration chiante, sous ses rires intempestifs et ses tirades sans forme.
— Non…
Ugo secoua vainement le corps frêle de son amie au sourire heureux. Elle sourit ? Son visage, traversé par un sourire apaisé, un mince filet de sang sur son menton, sang qui ne coulait plus.
— Reviens ! Reviens, espèce de salope ! Mégère ! Grognasse ! P'tite chieuse !
Espèce de… de…
Il versa toutes les larmes de son corps. Même la Liqueur ne pouvait apaiser le flux d'émotions qui le traversaient comme une mer d'épées acérées. Toutes les insultes du monde n'arriveraient plus à l'énerver, à faire gonfler ses joues qui rougissaient sous l'effet de l'agacement.
Soudain, depuis les extérieurs de sa souffrance, il entendit quelqu'un parler :
— Je ne comprends pas… Pourquoi… ? Comment une telle chose… Mon plan était pourtant parfait !
— Tu me retires les mots de la bouche, peine à jouir ambulante !
Ugo se tourna vers le meurtrier de son amie. L'heure n'était pas à la haine, mais celle d'Ugo était désormais intarissable. Respirer. Un coup. Deux coups. Trois coups. Les battements de son coeur stoppèrent leur frénésie, et il ouvrit les yeux.
Du point de vue d'Orbas, Ugo était « Yannis ». Et « Yannis » était Ugo. Il avait eut l'intention de se sacrifier, car il savait que le rituel de son ennemi échouerait s'il visait la mauvaise personne. Ugo sortit ses deux récipients, la fiole et la flasque, et lança un regard discret à Synnaï, qui comprit immédiatement son intention. Puis, dans un élan à la fois fou et désespéré de faire sa dernière tentative d'humour dans cet univers pourri, il lança, en mémoire de celui dont il avait personnifié l’identité pendant dix-sept ans :
— Vous avez commis des crimes contre la Terre et ses habitants ! Et on s’en fout de votre défense !
Orbas ne comprit pas, la confusion régnant un instant sur son visage. Mais ce fut assez ; Ugo profita de l’effet de surprise du Mage et serra fort ses poings, qui brisèrent les contenants, plantant des éclats dans ses mains. Le liquide doré, en contact direct avec son sang, le brûla. Les deux amalgamas d’informations d’une densité infinie cherchèrent à s'affronter au sein de son être, avant de reconnaître la suprématie d'Ugo. Derrière lui, Synnaï hurla en invoquant le pouvoir de l'Outsider, tenant le passe du Tournoi au dessus de sa tête. Une explosion de lumière formidable accompagnée d'un son à la hauteur de la force de cette énergie éclata dans sa main.
— Que la fête commence…, souffla Ugo.
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