Chapitre 66 – Savez-vous qui je suis ? Je suis un événement légendaire !
*Ugo
T = 1
Un cadavre brûlé, méconnaissable. Agenouillé sur un sol noirci, le bras tendu vers les cieux telle une Statue de la Liberté triomphale. Dans sa main fumante et recroquevillée, une boîte tordue, calcinée. Sous le regard du soleil noir, sous les coups du vent hurlant qui gémissait désormais la perte soudaine de la dernière lumière qui s'était éteinte, pour ne laisser qu'un paysage dévasté.
Soudain, une brise légère fit frémir le corps. Il tomba en cendres qui se dispersèrent à travers le ciel déchiré. Un instant plus tard, nulle chose n'aurait pu témoigner de l'existence fugace, brûlante et héroïque d'un homme qui n'en était pas un, d'un mage qui n'en était plus un.
Ugo observa la scène avec l'étonnement passager d'un soldat qui ne comprend pas comment les shrapnel ne l'ont pas touché. Ce tas de cendres volant avait été son ami il y a quelques minutes de cela. Certes, il savait qu'il y avait un prix à payer quand on alliait ces deux pouvoirs. Mais la Vérité ne lui avait pas dit quoi.
C'est vrai que t'as pas fait beaucoup d'effort, à ce niveau.
Hein ?
Bah oui. J'veux dire : t'aurais pu me prévenir que ça allait se passer comme ça.
Tiens donc ! On écoute ce que je raconte, maintenant ?
Si t'es pas content, c'est ton problème. Faillait pas me donner ce genre de pouvoirs. Vas-y, continue ton chariabia.
…
Hmm hmm… Je disais donc…
Quand Ugo observa la scène, il n'en revenait pas. De son côté, Orbas semblait tout aussi estomaqué, mais manifestement pas pour la même raison : son seul billet de sortie s'était fait la malle. Tremblant de fureur, il lâcha un cri si sourd que les oreilles d'Ugo faillirent le lâcher. Sans prévenir, Orbas bondit sur lui pour l'enserrer de son Sable Noir. Il lui cracha :
— Espèce de pathétique insecte ! Te rends-tu compte de ce que tu viens de faire ?
— Je viens de te casser les couilles tellement fort qu'elles sont devenues bleues ? sourit Ugo tandis que le Sable Noir se transformait en serpents aux yeux rougeoyants.
Le démon ancestral resserra sa prise encore plus.
— Je vais te broyer lentement, tout en faisant attention à te laisser en vie…
— Mais oui, mais oui… Dis-moi, mon p'tit Orbas chéri, tu connais le concept de « Deus Ex Machina » ?
Il ne saisit pas tout de suite le ton qu'Ugo avait employé : sûr de lui et terriblement effrayant.
Ugo sentait tous les pores de sa peau suer la liqueur étrange. Désormais, il la synthétisait. Quand le liquide toucha le Sable Noir, la réaction fut si violente qu'il explosa, balayant Orbas jusqu'au bord de la plate-forme. Rayonnant de liquide doré, Ugo marcha tranquillement jusqu'au centre.
— Tu sais, commença-t-il avant de sortir une craie de sa poche, et tracer des cercles ça et là. Je me suis toujours demandé pourquoi j'avais autant de chance. Pourquoi je crevais jamais.
— Hein ?
Ugo finit de tracer une rosace, avant de conclure :
— C'est tout simplement parce que je suis le héros de cette histoire. Laissemoi te dire pourquoi ton plan a foiré : tu te rappelles de la fois où tu as utilisé le Sable Noir pour te créer un avatar assez puissant, afin de lui permettre de se transporter à travers un portail jusqu'à la Terre ? Oui, je vois que tu t'en souviens… De ce temps où les humains te vénéraient comme un dieu, pas comme tes potes mages qui te croyaient juste mort ou enterré. Tu aimais ça, hein ? Mais t'as pas pu rester longtemps. Au moins, tu pensais que l'artéfact que tu avais laissé sur Terre, à la magie surpuissante, ne servirait que de balise lorsque le mage le plus talentueux, le plus sensible… l'Outsider le trouverait. Parce que cet artéfact, selon toi, n'était qu'une boussole permettant de retrouver son jumeau. Comme le Talisman de Gulliber le Caméléon.
Ugo inspira calmement, pour reprendre son souffle. Orbas était paralysé, incapable de comprendre où celui qu'il considérait comme un sous être en voulait venir. Ugo continua :
— Mais tu as fais fausse route. Tu a été vaincu sur le terrain dans lequel tu pensais être le meilleur : le Savoir. C'est vrai, tu étais le meilleur dans ce domaine. Personne ne t'arrivait à la cheville. Mais tu as négligé un détail ; une force immense qui ne t'était pas destinée, un monde inconnu dans lequel tes yeux étaient aveugles. Tu n'avais pas compris que cette flasque, que tu avais laissé sur Terre, avait une conscience. Elle n'était pas un bête amalgame de magie, mais la plus puissante des reliques. La Vérité à l'état le plus pur.
Ugo serra ses poings, sentant sa sueur devenir ce liquide si précieux et pourtant impossible à avaler pour quiconque.
— Elle m'a choisi. Moi, le type qui était bien plus retors que toi. Moi, je n'ai pas cherché à sauver des camarades ou à instaurer une paix quelconque en me rebellant contre le système. Moi, je n'avais que faire de ces insectes… Oui, le même sentiment m'envahissait sans arrêt quand je posais mon regard sur eux. Mais elle m'a choisi. Tu n'aurais pas pu prévoir ceci. C'était impossible pour quelqu'un à qui la Vérité n'a pas soufflé ses mots destructeurs et salvateurs. J'ai gagné, je suis maintenant l'être qui possède le plus de connaissances dans l'Univers… Et je ne m'arrêterais pas là : je détruirais toute ton espèce, tous tes congénères qui utilisent la magie. Je ne sais pas si la Liqueur en est, mais, dans tous les cas, je l'utiliserais pour anéantir toute forme de magie en ce monde. Car j'ai été choisi, mais on ne m'a pas doté d'une mission, d'une quête de héros comme dans les vieilles histoires. On m'a donné le pouvoir, et, tant que la flamme qui brûle en moi aura du combustible à brûler, je déchaînerais mon pouvoir sur vous, sales magiciens de merde.
Soudain, il regarda dans une direction que lui seul pouvait voir.
— Toi, là. Oui, toi, la personne qui me lit. Bien sûr que je suis au courant ! Je voulais te demander un service… Tu m'écoutes ? Ok, prépare-toi…
Observe et prends-en de la graine.
Je te laisse faire.
Ugo agita ses mains, et des gouttes de sueur dorées s'écrasèrent sur le sol. Les lignes s'illuminèrent, avant de siffler comme un tison incandescent dans l'eau. La terre trembla de plus belle. Soudain, elle éclata au loin, une montagne entière s'envolant dans le ciel. Derrière les décombres et la poussière, on pouvait apercevoir une forme aussi familière qu'incompréhensible.
Ô Mourn, siffleur de montagnes comme les bières au bar.
Orbas hurla, car son geôlier était enfin sorti de son sommeil éternel. Tous deux entendirent le grondement sourd et mélodieux de la créature de légende. Apeuré, Orbas tenta de s'enfuir, mais des racines blanches, l'Avasanesta, s'enroulèrent autour de lui. Il se débattit, mais en vain : combattre une divinité sous la montagne pouvait être possible, mais vaincre le précurseur de la magie de votre planète était aussi fou que puéril.
Ugo regarda le démon fou qui se battait corps et âme contre les racines.
— Tu vois ça ? dit-il en le désignant, en s'adressant à quelqu'un que lui seul pouvait parler. C'est le genre de choses qui arrive quand on me cherche.
Faut pas s'attendre à s'en sortir quand on s'en prend à moi.
Avant que les dernières racines n'engloutissent l'avatar du dernier Outsider, celui-ci, avec un air de peur qui ne lui connaissait point, demanda :
— Mais qui es-tu donc ?
L'interpellé darda son regard mordoré sur le prisonnier, et partit dans un fou rire à aliéner même les dieux. Autour de lui, le monde se brisait comme une pâte trop cuite. Le Géant Sinueux avait déjà commencé à prendre son envol, à se dérouler. L'atmosphère commençait déjà à disparaître, le ciel se noircissait à vue d’œil, tandis que les dernières réminiscences d'air permettaient d'entendre le cri gargantuesque de la créature démiurgique.
Ugo fouilla dans sa poche, et en sortit un petit objet : une petite boîte pas plus grande qu'un dé à coudre. Celle-ci, en revanche, portait les gravures stylisées caractéristiques à l'original. Répondant à tous ceux qui auraient pu l'écouter, tous ceux qui le lisaient, le petit homme choisi par la Vérité, poing vers le ciel, ricana :
— Moi ? Et bien, je suis…
* * *
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