Chapitre 4 - Petit cadeau de bienvenue
Rien que le fait de respirer cet air lui donnait la nausée ; il y avait trop d'odeurs, trop d'effluves. Et la quantité de sons ambiants était trop importante par rapport à Ru, mais au moins, les cris des marchands ne changeaient pas. Tselel traversa la foule en effervescence, car dans deux jours, le soleil serait à son point le plus haut et là il pourrait… Tiens ? Tselel renifla. Ce sont… des Barfi !
C'était des gâteaux originaires d'Atash, son pays natal ! Et son péché mignon… Se retenant de baver, il suivit le parfum envoûtant de ces divines pâtisseries, jusqu'à arriver à un petit kiosque tenu par une forte femme aux joues roses pleines, tandis que ses habiles préparaient les différents entremets. Elle remarqua le jeune homme aux yeux et aux cheveux corbin, et lui sourit :
— Bonjour, p'tit gars ! Qu'est-ce que ce sera ?
— Des Barfi, s'il-vous-plaît !
La femme opina du chef, et Tselel attendit jusqu'à qu'une main tenant un sac fumant se tende vers lui.
— Ça fera un danar et demi.
— Un… Un et demi ?
— Oui, un, mon bonhomme, rétorqua la femme en ramenant le sac vers elle.
Tselel sortit sa bourse qui ne contenait que trois danars, le reste avait été dépensé pour le voyage en navire. Chez lui, un sac de Bafri ne coûtait que deux den ! Avec dépit, il cassa une pièce en deux et en prit une autre, pour les tendre à la dame, qui les mordit, avant de sourire et de donner le sac à Tselel, non sans ajouter :
— La vie est plus chère par ici. Surveille bien ta bourse !
Surpris du conseil, il acquiesça doucement avant de se retourner pour s'éloigner, toujours irrité… quand il entendit la voix de la femme à travers la foule :
— Tiens ? Sa cape n'était pas rouge…
Merde ! Il jeta un œil à sa cape, qui avait prit une légère teinte rouge. Il paniqua un instant, et sa cape fut traversé par une vague de vert fade. Tselel inspira, puis expira pour calmer ses ardeurs, et petit à petit sa cape reprit sa couleur marron terne. Le pire était passé.
— Tu as eu chaud.
— J'ai encore du mal à la contrôler ! se plaint le jeune homme en cherchant la source de la voix.
Son regard finit par tomber sur un toit ; là, un jeune hermaphrodite chauve au visage gracieux, en tunique simple, assis paresseusement au soleil, le toisait d'un air malicieux. Il sauta du toit et atterit sans un bruit juste devant Tselel, sans que personne ne lui prête attention. Chaque personne qui l'approchait de trop près semblait dévier au dernier moment pour l'éviter.
— Azraël, pourquoi tu en fais toujours des tonnes ?
— Que veux-tu ! Tu es le seul qui puisse me voir, me toucher et me parler, alors j'en profite.
—…tu veux un Barfi ?
— Tu sais que je n'aime pas la nourriture humaine.
Tselel haussa des épaules et mordit dans la pâtisserie. Doux, sucré et chaud ; il mâchonna en souriant puis regarda les gens de la place passer et repasser, transportant sacs et caisses. Tout le monde faisait le plein de victuailles et de cadeaux en prévision du Jour du soleil.
— Tu as pensé à un présent pour ton grand-père ?
— J'imaginais un couteau en acier ; le sien s'est brisé le mois dernier… Mais je ne sais pas s'il en sera content.
— Un cadeau qui part d'une bonne intention est toujours un bon cadeau.
Le jeune homme était d'accord avec son ami invisible, cependant il pouvait penser à quelque chose de plus spectaculaire… Après tout, mère allait enfin rentrer de son voyage ! Tselel s'en voulait toujours qu'elle lui ai confié sa cape, prétextant qu'elle le protégerait des mauvais sorts. Petit, il y croyait, mais désormais il était presque un homme ! Les croque-mitaines ne lui faisaient plus peur, et puis il y avait Azraël à ses côtés.
Tselel se faufila dans la foule pour atteindre un stand qui vendait diverses breloques, et passa quelques minutes à les observer. Mais aucun objet ne l'intéressait…
— Tu cherches quelque chose ?
Il se retourna ; un homme de haute-stature, en beau costume, le regardait avec un sourire apaisant. Tselel fit de même et opina du chef.
— Un cadeau pour mon grand-père… Oh ! Et un pour ma mère !
— Deux cadeaux, hein ? (l'homme élégant enroula sa barbichette d'un doigt) Ce n'est pas ici que tu vas trouver de beaux présents. Viens, je connais un coin plus fourbi en merveilles.
Heureux qu'il y ait des personnes de bonne foi dans cette ville, Tselel n'hésita pas une seconde et suivit le bel homme en jouant des coudes. Même que ce dernier écartait les passants pour lui laisser la place ! Azraël était parti jouer avec des colombes sur les toits, laissant Tselel s'enfoncer dans une rue sur les traces de l'homme.
Et ce dernier avait raison ; moins de foule, plus de marchands itinérants ! Ils semblaient venir des quatre coins du continent, et Tselel frémit d'excitation à la vue de toutes les babioles qui passaient sous ses yeux ébahis. L'homme à ses côtés sourit.
— Ça te plaît ?
— Oh oui ! Merci mon bon monsieur !
— Si tu veux, je peux te montrer une rue très spéciale…
Tselel ne prêta pas attention au ton mielleux, trop excité par ce que proposaient les marchands. Il hocha de la tête, et suivit l'homme aux beaux habits jusqu'à une ruelle adjacente ; plus sombre, elle était couverte de draps rouges, bleus et oranges. Un ravin à tentures qui craignait que la lumière ne ternisse ses créations.
Personne ne se trouvait dans cette rue, mais Tselel se dit que les secrets se trouvaient au bout, alors il continua à marcher sur les talons de l'homme. Lorsqu'ils furent assez enfoncés, l'autre s'arrêta brusquement, le garçon le heurtant dans sa marche.
— Aïe ! Qu'est-ce que… Pourquoi vous vous êtes arrêté ?
— Je dois m'être trompé de chemin, répondit l'homme d'une voix faussée, en se retournant lentement. Quelle tête en l'air je suis…
Tselel n'eut le temps que de blêmir en voyant le sourire narquois et les yeux de prédateur le fixer avec une envie dévorante ; l'homme l'attrapa par l'épaule pour le jeter au sol, le garçon tombant lourdement sur les pavés. Le souffle coupé l'empêcha de se relever, et l'homme lui tomba dessus, en se léchant les babines.
— Je me demande d'où tu viens, toi… Ton accent ne me revient pas.
— L…Lâchez-moi ! cria Tselel, mais l'homme lui mit la main sur sa bouche. Mmmh… !
— Chut… Tu es jeune, c'est bien… (Tselel lui donna des coups de poings dans le flanc, mais l'homme ne broncha pas ; il rit) Par Orholam, tu es vraiment faible !
Il commença à retirer les vêtements du jeune garçon, qui se mit à pleurer… Par réflexe, il tendit sa volonté vers l'une de ses deux couleurs, sentant la folle énergie qui en émanait, prête à réduire en cendres les organes de ce porc qui tentait d'enlever la cape.
« Arrête. »
Azraël ! Tselel avait entendu la voix de son ami invisible, montrant qu'il savait ce qu'il lui arrivait et était en chemin. Mais s'il n'arrivait pas à temps ? La couleur invisible coula entre ses doigts, serpents fous qui se renflouaient de pouvoir, rongeant jusqu'aux os du jeune homme. L'élégant porc retira son pantalon avec précipitation, vacillant.
— Oups… Attends une sec…Argh !
Tselel accomplit deux choses en un mouvement ; il frappa la gorge de son agresseur et renfloua sa couleur, qui traversa son corps comme un éclair. Le garçon se releva, seulement habillé de sa cape et de ses bas. L'homme, au sol, crachotait et s'étouffait en se prenant la gorge ; le coup, bien que faible, avait été si précis qu'il en était mortel.
— Il n'a que quelques minutes à vivre.
— Azraël ! s'écria Tselel en voyant son ami tomber gracieusement du toit ; il se précipita vers le splendide hermaphrodite, et le serra dans ses bras en pleurant : J'ai eu si peur !
— Ça t'apprendra à faire confiance à n'importe qui, le réconforta-t-il en lui rendant l'étreinte, puis s'écarta en montrant le déploré d'un signe de tête : Que veux-tu lui faire ?
Tselel regarda avec effroi le condamné, qui lui rendit son regard ; dans ses yeux se lisait la peur, la haine et la souffrance. Si le garçon le laissait vivre, il était fort possible qu'il s'en prenne à une proie non créatrice ou adepte du combat. Mais en le tuant… Tselel n'était pas assez fort pour tirer un cadavre, et Azraël ne pouvait pas toucher les êtres vivants et morts.
De toute manière, la garde de la ville retrouverait le corps et remonterait jusqu'à moi. Et là, grand-père serait dans de gros ennuis… Soudain, une idée germa dans son esprit ! Il la chuchota à Azraël, qui sourit et opina du chef. Le garçon tendit sa main vers l'étouffé.
— Je t'aiderais dans le chemin. Vas-y.
Tselel se concentra, et atteignit sa deuxième couleur ; si fine, si calme et si tranquille, un souffle de nuage. Il rassembla sa volonté pour créer le morceau adéquat, et le fit sortir de sa paume ; la luxine invisible flotta jusqu'à l'entrejambe de l'homme, et y pénétra. À l'aide d'Azraël, le garçon à la cape trouva le point faible, et scella la luxine. Un hoquet de la part de l'homme et son sexe perdant toute tension lui informa de sa réussite. Il s'avança vers lui, et pressa le point sensé lui rendre son souffle. Complètement désemparé, l'homme inspira une bouffée d'air avant de s'évanouir.
Tselel vérifia qu'il était toujours vivant, avant de se tourner vers Azraël, le pouce en l'air. Ce dernier croisa ses bras avec un regard entendu, recroquevillant le garçon dans la honte.
— Désolé d'être parti sans t'avoir prévenu…
— J'espère que tu l'es ! Tu te rends compte de l'acte abject qu'il s'apprêtait à commettre ?
— Euh… Oui ?
— Question rhétorique, mais néanmoins importante (l'hermaphrodite prit un ton plus doux) S'il-te-plaît, Tselel, ne refais plus jamais ça. J'ai beau ne pas pouvoir mourir d'une attaque, j'ai quand même un cœur.
— Excuse-moi. Je ferais plus attention la prochaine fois.
—…bien, vu que tu as compris, je peux te donner ça (l'invisible sortit un objet de sa poche ; on aurait dit un cadran miniature monté sur un bracelet !) Ne t'inquiète pas pour le paiement, je l'ai mis dans la poche du marchand.
— Oh ! (le corbin prit l'objet et le caressa) Merci mille fois, Azraël !
Il vint ensuite adosser l'homme sur un mur, puis laissa son ami fantastique le porter jusqu'aux toits des maisons, et admirer la ville sous un tout nouveau angle. Avec les Barfi en bouche, Tselel se dit qu'il allait passer une excellente journée.
— Allez, allons voir ce qu'il se trame !
Avec l'agilité d'un chat, le garçon sauta de toit en toit.
— Ta témérité m'effraie quelque peu, déclara Azraël avant de le suivre.
Il avait un mauvais pressentiment…
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