La magicienne accéléra sa grimpe de l'escalier. Elle leur indiqua une porte verte, que Liz poussa sans la moindre hésitation. Jana était assise, la tête basse, au chevet de son ami. Le regard qu'elle posa sur l'arrivante ne comportait plus une once d'agressivité, seulement une certaine lassitude et un peu, un tout petit peu d'espoir. Elle ne bougea pas quand l'ex-étudiante pencha son oreille sur la bouche d'Anselme, parut écouter, puis posa une main sur son front et une autre sur son cœur. Puis elle ferma les yeux et la surface de contact s'illumina. Des filaments de magie serpentèrent sur la peau du convalescent ; il ne se passa rien pendant une seconde, puis brutalement toute la surface de son corps émit une lumière aveuglante. Un cri échappa à la majeure partie des assistants, ils se couvrirent les yeux de leur bras. Le flash s'éteignit brusquement, un bourdonnement léger s'élevait d'Anselme. Liz fronçait le front, mais n'avait pas relevé les paupières. Enfin, un frisson secoua l'élève inconscient de haut en bas, la magie disparut et Liz enleva ses mains. Il y eut un instant de flottement et d'intense silence, puis le blessé prit une profonde inspiration et ouvrit les yeux.

• Anselme !

 Il papillota des cils et tourna son regard vers la voix de Jana.

• Où... que s'est-il passé ?

 Liz avait les larmes aux yeux.

• C'est de ma faute. Tu as perdu connaissance en heurtant la barrière. Tu as failli mourir.
• Je suis vivant.

 Ces mots semblèrent détendre d'un seul coup les épaules de la magicienne.

• Tu te sens bien ? Tu ne souffres pas ?
• Non, je n'ai pas mal, mais je me sens un peu faible et... anesthésié.
• Tu peux bouger ?

 Il se redressa sur le lit, la couverture glissa. Il leva les bras, plia les doigts, comme émerveillé de redécouvrir ses mains.

• Oui, je crois.

Jana, émue, parut hésiter une seconde et enfin se décida à le serrer dans ses bras.

• J'ai eu si peur. Vraiment.

 Il sourit et répondit à son étreinte.

• Calme-toi, Jana ! Je me sens tout à fait bien, maintenant.

 Elle le lâcha, les yeux brillants.

• Combien de temps suis-je resté inconscient ?
• Quelques uchronies. Le tournoi est terminé, mais tu pourras dans doute le repasser.
• Je suis tellement désolée ! Pourras-tu ne pas trop m'en vouloir ? Je t'ai fait tant de mal...
• Tu as failli le tuer ! Disparais !

 La haine de Jana venait de resurgir et flambait dans ses pupilles dorées.

• Non !

 La puissance du cri d'Anselme figea la scène.

• C'est toi qui m'a soigné, Liz, n'est-ce pas ?
• Oui...
• Alors nous sommes quittes. Tu m'as blessé, tu m'as sauvé. Et je te connais assez pour savoir que tu ne l'as pas fait intentionnellement. Jana, ne lui en veux plus, je t'en prie. La fin de cette année serait un enfer...

 Il essaya de rire mais une grimace de douleur l'interrompit.

• Oups ! Ne bouge pas, intima Liz avec une autorité soudaine.

 Elle posa une main sur le flanc qu'il tenait et il se calma aussitôt.

• Oah, ça fait du bien !
• Et pour répondre à ta crainte, je viens d'être exclue de l'académie pour t'avoir agressé.
• Exclue ?!
• Oui. Le jugement vient de tomber. Heureusement, mon frère, mon cousin et Lénaïc ont réussi à m'éviter la prison.
• La prison ! J'en suis heureux pour toi. Mais comment tu vas t'en sortir ?
• Anselme, tu es extraordinaire ! Tu viens de frôler la mort par ma faute et tu t'inquiète pour moi ! Je vais trouver une solution. Jal restera sur place exprès pour m'aider.
• Je peux me lever ?
• Seulement si tu t'en sens la force.

 Jana le soutint pour qu'il quitte la couchette ; il tenait vaguement sur ses jambes.

• Parfait, je vais pouvoir en référer à mes collègues, dit Irina. Mademoiselle Bertili... je suis à présent au regret de devoir vous demander de quitter les bâtiments de l'académie. Vous n'êtes plus élève ici. Vous... vous allez nous manquer. J'espère que vous aurez l'occasion d'exprimer votre immense potentiel.
• Merci, mage.

 Liz et ses amis s’apprêtèrent à quitter la salle, mais Anselme lança :

• Au revoir, Liz. Je te souhaite toutes les réussites. Ce fut un plaisir.
• Pour moi aussi, laissa-t-elle tomber sans grande conviction par-dessus son épaule, tu vas me manquer. Et adieu, Jana... Sans rancune ?

 La jeune étudiante, enfin, sourit réellement à Liz avec chaleur.

• Sans rancune.

 Liz se retourna vers Lénaïc juste avant de passer la porte de l'académie. La pluie dégoulinait sur ses cheveux.

• Lénaïc...
• Je déteste les adieux.
• Ce n'est pas un adieu. Nous nous reverrons, compte sur moi pour ça.
• Tant mieux. Je... Tes prouesses vont énormément me manquer. Les cours me paraîtront tellement vides sans toi...
• Allons, allons, sorcier Fauxoll, tu te ramollis ? se moqua-t-elle. Si une seule chose devait me rattacher à cette académie, ce serait toi.

 Elle avança et le serra contre elle. Sans emportement cette fois, parfaitement réfléchie, avec beaucoup de douceur. Quelques gouttes d'eau tachèrent les épaules du jeune homme. Impossible de savoir s'il s'agissait de pluie ou de larmes.

• Je tiens à toi. Ne fais pas de bêtises.
• Moi ? Jamais, répliqua Liz, essayant de masquer la boule d'émotion dans sa gorge.
• Au revoir, chère magicienne.
• Au revoir, mon ami sorcier.

 Les deux cousins sentirent très distinctement l'émotion circuler et leurs regards se croisèrent, la même pensée leur traversait l'esprit. Liz se tourna, mit la capuche de sa robe et descendit les marches d'un pas de princesse, son ami la suivant du regard, jusqu'à ce qu'elle disparaisse. Au dernier moment, elle jeta un œil par-dessus son épaule et croisa le regard de Lénaïc. Poussée par une bouffée de hardiesse, elle expédia un baiser en l'air dans sa direction.

 De loin, le jeune homme crut à une vue de son esprit, mais, comme tous les bons scientifiques, Lénaïc adorait le doute...