XXI. C'est un ordre
Elle claqua la porte derrière eux et croisa les bras, son regard sévère pointé sur lui. Il choisit de prendre l'initiative.
- Lidwine... J'ai effectivement des explications à te demander. Je vais être très franc avec toi.
- Cela a-t-il un rapport avec le soir des feux d'artifices ?
- Non ! Rien à voir. Cela concerne Liz.
- Oh, dans ce cas, je t'écoute.
Il se laissa tomber sur un banc de la salle.
- Liz s'est souvenue du blason qui ornait le carrosse qui a essayé de l'enlever.
- Le soir où nous t'avons cru mort...
- Exactement. Elle l'a reconnu.
- Mais c'est parfait ! Pourquoi cette tête d'enterrement alors ?
Il releva les yeux vers elle. Il devait avoir exactement la même expression que Liz quelques uchronies plus tôt.
- Parce qu'elle est formelle... C'était ton blason.
Lidwine resta silencieuse une seconde, le visage décomposé par la plus parfaite incompréhension. Elle porta une main à son front, dans un geste qu'il trouva malgré tout gracieux, et se laissa tomber à côté de lui.
- Quoi ?! Le blason des Artanke ? Mais c'est impossible...
- Je t'en prie, Lidwine, je t'en supplie, dis-moi que tu n'y es pour rien.
Elle le regarda, l'air perdu.
- Je... je comprends que tu te poses la question, je ne t'en tiendrais pas rigueur, mais... peux-tu vraiment le croire ?
- Je n'y crois pas, mais j'ai besoin d'en être sûr.
- Regarde-moi en face, Jal. Non, je n'y suis pour rien. Je n'aurais jamais participé à quoi que ce soit de ce genre, jamais je n'ai rien fait qui puisse te porter préjudice. Tu me crois, n'est-ce pas ?
Il se noyait dans ses iris verts de pierre précieuse. Il ne se sentait pas la force de lutter.
- Oui. Bien sûr, je te crois. J'ai confiance. Mais alors, vous êtes-vous fait voler votre carrosse ? L'avez-vous prêté à qui que ce soit ?
- Non, je ne crois pas... Vraiment, je ne comprends pas !
Elle se prit la tête entre les mains. Jal compatissait, il cherchait une explication logique, mais surtout par-delà le désarroi, dominait un immense soulagement. Lidwine était innocente. Il ne pouvait que croire ces yeux, vibrants... Elle n'y était réellement pour rien. Il pouvait compter sur elle pour mener l'enquête.
- Est-ce que quelqu'un d'autre a pu peindre ce blason sur son carrosse pour nous faire accuser ?
- C'est envisageable... Mais non, il faut présenter une preuve d'identité de famille pour apposer son blason.
- Bien... En tout cas, je m'excuse, Jal, pour l'amertume dont j'ai fait preuve.
- Et je te demande pardon pour t'avoir soupçonnée.
- Affaire réglée ?
- Affaire réglée.
Ils se serrèrent la main et rejoignirent Liz dans la salle voisine. Hendiad avait disparu. La magicienne bondit littéralement vers eux.
- Alors ? Qu'est-ce que vous me cachez, tous les deux ?
Il grimaça sous le sens beaucoup trop romantique à son goût.
- J'ai expliqué à Lidwine que tu avais reconnu son blason. Elle est innocente, j'en suis sûr. Mais quelqu'un a utilisé son carrosse.
- Bon... Je veux bien te croire. Mais il faut qu'on sache, ça peut vouloir dire que le commanditaire fait partie de votre famille, sans vouloir vous offenser, messagère Artanke.
- J'avoue ne pas comprendre non plus. Je suis prête à vous aider pour découvrir ce qui s'est passé.
- Cette aide nous sera précieuse, merci.
- Tu n'as rien appris de plus ? demanda Liz à son cousin.
- Ils sont sans doute affiliés à la Chape, mais on ignore le nom de leur employeur. Il n'y a pas d'autre équipe à nos trousses, hormis les deux évadés. Ils me surveillent depuis mon arrivée à Lonn, et ce sont eux qui ont tiré la fléchette empoisonnée sur toi, Lidwine, pour retarder notre retour dans un but inconnu. Ils ont enlevé Vivien sans savoir que c'était mon cousin, afin de l'interroger pour te trouver et t'utiliser comme moyen de pression. En m'espionnant, ils ont remarqué que je tenais à toi et espéraient me faire renoncer au concours. C'est pour ça que Baudoin Ernase surveillait ta maison. Ils ont échoué. Quand aux deux évadés, j'ai une piste. Ils devaient retrouver leur chef en cas de problème dans le château abandonné de Ghyzdal, en dehors de la ville. De plus, Olympe Vorbad les a blessés lors de leur évasion. On peut peut-être leur organiser une embuscade et découvrir leur commanditaire.
- Je connais ce château, lâcha Liz pensivement, il est au Ponant de la ville en lisière de la forêt. Il est presque en ruines, mais c'était une demeure magnifique autrefois. On aperçoit sa tour depuis le palais.
Jal se souvenait avoir vu cette silhouette pointue émerger de l'horizon occidental. Il hocha la tête.
- Où est passé Hendiad Londren ?
- Je crois qu'il devait recevoir le rapport des équipes envoyées à la poursuite des évadés.
- Allons-y ! J'espère qu'ils les ont retrouvés !
Il grimpa l'escalier quatre à quatre, elles n'hésitèrent pas une seconde à le suivre.
Dans la cour la pluie s'était calmée ; un ciel de traîne encore hésitant s'étirait paresseusement au-dessus d'eux. Le soleil n'osait pas encore jeter un œil à travers la couverture nuageuse, mais au moins plus aucune goutte ne tombait et Liz et Lidwine purent repousser leur capuche dans leur dos. Olympe poussait devant elle un unique prisonnier silencieux qui gardait la tête droite. Jal reconnut Zack, le déséquilibré de son premier enlèvement, qui lui avait tiré dessus à l'arbalète. Mais pas de trace de Samuel. Il s'éclaircit la gorge pour attirer l'attention du capitaine Londren qui supervisait l'opération.
- Capitaine, vous n'avez pas retrouvé l'autre ?
- Non. C'est le sergent Karl qui a trouvé celui-ci seul en train d'attaquer un apothicaire.
Il boitait bas effectivement et et du sang gouttait de sa nuque jusque sur l'arrière de sa veste. Il braqua un regard haineux sur son ancienne proie, qui se raidit pour retenir le frisson froid qui chatouillait son échine. Il affronta les yeux du tueur avec un air de défi qu'il était loin de ressentir. Il pensait surtout à Samuel, ce pseudo-elfe qui avait montré une envie manifeste de lui passer son épée au travers du corps et qui courait maintenant en liberté. Il se tourna vers Liz.
- Il va falloir nous méfier, il reste l'un des plus dangereux. J'insiste pour que tu ne reste pas seule trop longtemps.
- Tu crois que je ne suis pas capable de repousser un taré ?
- Tes sorts sont assez puissants, c'est un fait, petite sorcière, mais je te connais. Tu risques d'hésiter, trop gentille que tu es, à tuer Samuel s'il t'attaque. Et je te garantis que lui n'aura pas de scrupules. Tu as été un peu traumatisée par l'incident avec Anselme. En fait, j'aimerais charger Lidwine de ta protection. Tu accepterais ?
La dame inclina la tête.
- Certainement ! Je ne vais pas laisser mademoiselle Bertili sans défense, tu as ma parole, Jal.
- Je ne compte pas vous abandonner pour autant, nota le messager, une ombre de sourire voltigeant sur ses lèvres.
Il ne le disait pas, mais cette tactique lui permettait également de garder un œil sur la belle escrimeuse. D'autant qu'il avait laissé passer une remarque quelques minutes plus tôt, sur le fait que l'affection qu'il portait à Lidwine en aurait fait une excellente monnaie d'échange pour les malfrats. Heureusement, elle semblait n'avoir rien relevé.
- Les recherches vont continuer pour retrouver le second évadé, ne vous inquiétez pas, précisa Hendiad, et la garde sera doublée.
- Merci, capitaine.
Il l'écoutait à peine ; il réfléchissait. Il fallait agir dès ce soir, car Samuel allait sans doute retrouver son commanditaire au plus tôt au château de Ghyzdal. Pas dans la journée, il était blessé, mais cette nuit sans nul doute. Il ne voulait pas leur laisser la possibilité de se réorganiser pour leur faire courir de nouveaux dangers.
Ils nous ont harcelés. Nous n'allons pas non plus leur laisser le moindre répit.
- Capitaine !
Londren, qui allait rentrer dans la caserne de son pas martial, s'interrompit.
- Oui ?
- Avez-vous prévu une opération au château abandonné de Ghyzdal, ce soir, selon les informations des bandits ?
Il braqua le feu glacé de ses yeux sur le jeune messager.
- Non, mais j'ai décidé de conserver une garnison postée autour de ce château pour intercepter toute personne qui tenterait d'y entrer ou d'en sortir. Mais personne n'y entrera tant que je ne l'aurai pas ordonné.
Jal hocha la tête, bien décidé à enfreindre cette règle dès que possible. Il voulait savoir de qui il s'agissait. Car si cette personne qui avait commandité ces enlèvements connaissait son anomalie, alors elle faisait forcément partie de son entourage proche. De plus, il lui semblait que le capitaine sous-estimait Samuel. Par acquit de conscience, il demanda cependant :
- Pourrions-nous y participer ?
La sévérité de son visage s'accentua aux frontières de l'impossible.
- En aucun cas. Mon travail de capitaine de la garde consiste à protéger les civils. Je vous intime même personnellement l'ordre de vous tenir éloigné de cette opération.
Mais aucun de ces mots n'entama le moins du monde la détermination du messager. Il acquiesça et laissa Hendiad s'éloigner. Il prit Liz à part.
- Ordre ou pas ordre, je compte bien y aller ce soir. Tu es avec moi ?
Elle lui sourit de son air le plus malicieux.
- Depuis quand respectons-nous les règles ? Bien sûr !
- Tu ne prendras aucun risque, c'est bien clair, petite folle ? Si Vivien apprends que je t'ai emmenée, il va m'étriper.
- Tu plaisantes ? Tu es encore le plus fragile de nous trois ! Si Vivien trouve quelque chose à redire, c'est à moi qu'il devra s'adresser !
- Nous trois ?
- Tu as fait promettre à Lidwine de ne pas me quitter, nota-t-elle avec un air finaud.
- Liz ! Je ne vais pas l'entraîner dans cette histoire !
- Je t'en prie, réfléchis pour une fois ! Elle a été la première à en souffrir et tu lui a demandé de veiller sur moi. Évidemment qu'elle voudra venir ! Sans compter qu'elle n'est pas plus en danger que moi, penses-tu, la meilleure lame du royaume ! Non, crois-moi, si quelqu'un doit rester à la maison, c'est toi !
Il finit par sourire, vaincu, comme souvent, par les arguments de Liz.
- D'accord, petit monstre. Tu es irrésistible. Tope-là.
Elle obéit, soudain sérieuse, et désigna de la tête l'escrimeuse en robe rouge.
- Demande-lui.
Jal déglutit et fit face à la dame.
- Lidwine... Je sais l'admiration que tu portes au capitaine Londren, mais... Je me propose de lui désobéir dès ce soir. Et, oserais-je te le demander...
- Allons, Jal, chevalier de la Plume et de l’Épée, tu peux à présent dépasser ce genre d'appréhension. Je t'en prie, demande, tu sais que je suis restée en ville pour vous aider.
- J'aurai besoin de ta lame. Loin de moi l'idée de chercher à te mettre en danger, mais j'aimerais m'introduire dans ce fameux château en ruines ce soir. Parce que la personne qui a commandité tout cela me connaît forcément, et je veux savoir de qui il s'agit avant la garde royale. D'autant que Liz compte bien venir, et qu'elle aura besoin de ta protection. Qu'en dis-tu, chevalière ? Encore une fois, il ne s'agit pas de te faire courir le moindre risque !
- Même si tel était le cas, je ne le prendrai pas mal, tu sais. J'aime le danger. Et je déteste recevoir des ordres, fût-ce du capitaine Londren. J'accepte avec joie et impatience. Mais seront-nous assez de trois contre ce brigand évadé et son chef ?
Liz intervint avec force.
- Je t'interdis d'embringuer Lénaïc là-dedans !
Son ton ne souffrait aucune réplique.
- J'aimerais que quelqu'un puisse monter la garde, un bon tireur, qui sache se camoufler et veiller sur nous de loin... Mais j'en suis incapable.
- J'ai, lança le messager.
- Si tu parles de moi, prévint Liz, je ne peux pas non plus.
Mais le sourire de Jal ne s'effaça pas.
- Vous connaissez la place de la Dernière Loi ?
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