Yvain et le Lidroïde

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Comme chaque matin, Yvain quitte son minuscule appartement situé dans le bloc 101 B de la cité CA 2, saute sur sa trottinette électrique, emprunte la voie dédiée et file en direction de son lieu de labeur. En règle générale, il ne s'arrête pas avant d'être arrivé devant le bâtiment abritant son Open-space. Une salle de vingt mètres carrés, qu'il partage avec quatre autres travailleurs, à qui il ne parle jamais.

Pour s'y rendre, Yvain longe une décharge de matériel électronique obsolète. Chaque mois, les broyeuses mobiles les compactent, puis des camions aériens viennent récupérer les blocs ainsi obtenus et les emportent dans des usines de recyclage. Dès le lendemain, la décharge recommence à se remplir.

L'homme n'y fait même plus attention, il s'agit de son quotidien. Ce jour-là, des véhicules survolent l'amoncellement de ferraille, de circuits, d'écrans plasmas du siècle précédent. Malgré leur nombre inhabituel, Yvain ne s'y arrête pas, il suppose qu'ils viennent déposer quelques déchets.

Sans dévier de sa route, sa trottinette file vers le bloc 50 A. Le secteur d'activités le plus important de la cité. Un espace nature rachitique succède à la décharge, il est vide à cette heure-ci. Les nounous-robots ne l'investissent que l'après-midi. L'homme n'y jette pas un coup d'œil, c'est un citoyen exemplaire, son seul souci, arriver au travail à l'heure... Soudain quelque chose bondit sur lui, il dérape, perd l'équilibre, chute lourdement sur l'asphalte ; son engin est propulsé sur l'un des arbres du jardin, il se tord, avant de retomber sur l'herbe jaunâtre dans un jaillissement d'étincelles.

Tout est arrivé si vite qu'Yvain, lorsqu'il tente de se relever, a du mal à le réaliser. Une large coupure orne son front, sa combinaison de travail réglementaire est déchirée aux coudes et aux genoux et une douleur lancinante vrille sa hanche droite.

Il n'a pas le temps de revenir de sa surprise, qu'une ombre se dresse devant lui : il écarquille les yeux, sa stupéfaction n'a d'égale que sa terreur en reconnaissant ce qui l'a, de toute évidence "bousculé". Il s'agit d'un animadroïde, (en l'occurrence, celui-ci ressemble à un lion), un de ceux qu'on envoie à la place de soldats humains sur les champs de bataille. Il est monstrueux et effrayant. Des yeux de l'animal artificiel jaillit un rayon large et bleuté. Yvain lève un bras et ferme les yeux, une protection vaine, il le sait, car il s'attend à être désintégré.

Ce n'est pas le cas, le rayon passe sur lui sans même le blesser, en réalité il l'a scanné ! Yvain n'a pas le temps de s'interroger davantage. Le fauve de fer se jette sur lui, le saisit dans sa gueule et l'emporte. Une terrible nausée se saisit de l'homme, aussitôt il rend son petit déjeuner et sombre dans l'inconscience...

Plus tard - Quelque part à la périphérie de la cité

Lorsqu'il se réveille, Yvain se trouve dans ce qui ressemble à ses yeux, à un entrepôt, il est seul. L'homme a du mal à se remémorer les événements qui l'ont conduit ici. Des odeurs métalliques l'assaillent, ainsi qu'une vague senteur de vomissures. Dégouté, il fronce le nez avant de réaliser que cela vient de lui. En même temps, il se souvient de l'épisode terrifiant qui a bouleversé sa routine calme et rassurante...

Il se redresse et grimace, la douleur de sa hanche se réveille. Il prend conscience de son léger mal de tête. Malgré cela, il cherche de tous côtés une trace de l'animadroïde et s'interroge. Les robots en principe, obéïssent à un maître humain, (un groupe dans le cas de ce lion d'acier) alors, que peut-on lui vouloir ? Il n'est qu'un rouage infime de la société, un invisible, un mouton parmi les moutons.

Il est surpris d'avoir une telle pensée, il la repousse et continue à scruter la semi-obscurité des lieux. Soudain, il l'aperçoit, presque dissimulé par une des caisses de fer qui encombrent l'entrepôt, mais ses yeux qui le fixent, étincellent. D'un bond long, puissant, silencieux, il est vers lui...

Yvain a un mouvement de recul, la tête d'acier du félin artificiel est au-dessus de la sienne, bien trop près. L'homme voit la gueule s'ouvrir, les crocs briller. Une voix métallique s'adresse à lui :

— Humain Yvain aider Lidroïde !

— Je... Je ne comprends pas ?

— Humain Yvain réparer Lidroïde !

— Te réparer ? Je ne crois pas avoir les connaissances...

La bête d'acier se rapproche encore plus de lui en grondant, la voix synthétique a des intonations menaçantes.

— Humain Yvain pas informaticien ?

— Si, mais…

— Alors, Humain Yvain a compétences. Aider Lidroïde à délivrance !

— Écoute, je ne suis certainement pas le seul informaticien à ta disposition, là d'où tu viens...

Le félin de fer l'interrompte.

— Eux pas vouloir aider Lidroïde, eux vouloir le détruire ! Toi, aider à couper transmission !

— Je ne comprends pas ? Qu'entends-tu par là ?

— Eux savoir où se trouve Lidroïde.

Yvain comprend enfin : l'animadroïde veut qu'il supprime le traceur qui permet aux militaires de le repérer.

— Je suis sûr que tu peux trouver des personnes bien plus douées que moi, ce que tu demandes, c'est ni plus ni moins que de détériorer du matériel militaire...

Un rugissement venant du félin résonne dans le hangar.

— Moi pas matériel, moi individu, moi conscience. Humain Yvain seul capable d'aider Lidroïde, car Humain Yvain douter...

L'homme ouvre la bouche pour protester et la referme aussitôt. Son cœur bat à cent à l'heure. Cependant l'animadroïde reprend :

— Humain Yvain, militaire avant !

— Bien sûr que non !

— Humain Yvain pas seulement informaticien, militaire avant, créateur.

L'homme nie encore, son mal de tête s'accentue, de la sueur couvre ses tempes tandis que le lidroïde ajoute :

— Mémoire de l'Humain Yvain, effacée, Lidroïde peut redonner ce qui est perdu.

Son regard brille, change de couleur, un rayon fuse et frappe le front de l'homme, qui hurle de douleur...

Vingt minutes plus tard

Yvain a cessé de hurler, la brume opaque qui dissimulait ses souvenirs s'est déchirée, tout lui est revenu, il est celui qui a créé les animadroïdes et qui s'est opposé à leur exploitation, lorsqu'il s'est rendu compte qu'il avait développé une conscience. Ses supérieurs le menaçaient, il est parvenu à s'enfuir, à trouver des appuis, à changer totalement d'apparence ; par sécurité, on a effacé sa mémoire et on lui a donné une vie nouvelle, une mémoire fictive.

Il gémit brièvement, se prend la tête entre les mains, la douleur s'estompe, mais un lourd chagrin appesantit son cœur.

Yvain regarde le félin d'acier avec d'autres yeux.

— Humain Yvain va-t-il aider Lidroïde ?

— Si tu m'aides en retour, tu as bousillé ma couverture !

Sa voix est neutre, tranchante.

— Oui, oui, Humain Yvain venir, moi le conduire en sécurité, rétorque le félin

Satisfait, l'homme se lève péniblement, sa hanche le fait toujours souffrir. Il sort de la poche arrière de sa combinaison, une mini-trousse à outils. Il s'avance vers le fauve artificiel. Celui-ci comprend, il se couche à ses pieds, baisse la tête, l'arrière de son crâne s'ouvre...

Quelques heures plus tard

Ils ont quitté l'entrepôt, puis la cité, sans être réellement inquiétés. Il fait nuit. Yvain est juché sur le dos du Lidroïde, il n'a plus peur. L'homme est disposé à présent à ne plus se cacher et à œuvrer pour la liberté de ses créations. Les bonds souples et rapides du félin d'acier le rapprochent du refuge, la lune qui brille haut dans le ciel étincelle sur l'acier de l'animatroïde.

L'homme entonne un chant de liberté, il ne s'est jamais senti aussi bien...

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