Chasser Une Légende
Dissimulé derrière un bosquet de futaie aux feuilles arborescentes, il était à l'affut depuis des heures, lorsqu'enfin elle se dévoila à lui. Le chasseur contemplait sa proie ; près d'une source limpide qui s'écoulait sur l'herbe tendre d'une clairière verdoyante. Un sourire éclaira le visage ingrat de l'homme. Il était ébloui devant cette beauté. Son regard allait de la robe blanche et virginale, aux jambes fines et musclées, pour finir sur son port de tête altier empli de grâce...
L'homme ne regrettait pas d'avoir jeté ses ultimes économies dans cette chasse. Depuis combien de temps la préparait-il ? Un an, deux ans ? Depuis le jour où son mentor le désigna pour reprendre sa quête. Il lui fit jurer sur son lit de mort de la mener à bien.
À son décès, il hérita de ses maigres possessions ; une besace remplie de cartes incomplètes et souvent incompréhensibles, un carnet de notes et un vieux couteau. Dès le lendemain, il se mit au travail. Il dut faire des sacrifices, affronter la moquerie de ses pairs, la fin de son mariage, l'incompréhension de ses proches. Sans compter tous ceux qui le prenaient pour un fou !
Il avait tenu bon, sans songer une seule fois à abandonner.
Le fruit de ses efforts se tenait là à quelques mètres de lui ; il épaula son fusil, et la visa.
Lorsqu'il fit feu, le bruit de la détonation résonna sous la canopée ; une nuée d'oiseaux s'envola en piaillant, les cris affolés des singes hurleurs emplirent la forêt d'un vacarme assourdissant.
Le calme revint.
Le chasseur baissa son fusil, sortit de sa cachette et s'avança à pas lents vers le corps étendu de sa victime.
Il s'arrêta près d'elle, contempla la plaie ronde due au projectile assassin.
Le sang s'écoulait en un mince flot continu, souillant la robe immaculée. Une flaque commençait à se former sur l'herbe tendre de la clairière, elle s'élargissait jusqu'aux bottes boueuses du chasseur. Il n'en revenait pas lui-même, après tant de temps, d'efforts, de dévouement à sa quête, il réalisait le rêve de son mentor. Le temps d'un souffle, il se sentit dépossédé, puis cela cessa.
Il s'accroupit, posa son fusil à terre et sortit de sa besace, le couteau. Son regard glissa sur la corne spiralée longue d'une vingtaine de centimètres ; elle brillait d'un éclat nacré et argenté.
Sa main gauche se posa sur cet appendice, tandis que la droite se resserrait autour du poignard ; il l'approcha près du front... mais une soudaine lueur irradia de la corne et brûla sa main. De surprise, il la lâcha et se remit debout ; il se recula légèrement. À présent, la spirale crépitait, un arc électrique jaillit soudain et frappa le chasseur stupéfait. Touché au cœur, il s'écroula sans vie sur le sol. L'énergie, quant à elle, vint entourer le corps de la chimère. Le sang cessa de couler, la plaie se referma.
La créature se redressa, se releva et s'ébroua. Puis calmement s'approcha du corps de l'homme. Elle resta quelques secondes à le contempler, baissa la tête, et d'un coup de corne bien ajusté l'éventra. Elle plongea ensuite ses naseaux dans la plaie béante et fouilla les entrailles encore fumantes. Peu à peu, le corps de l'infortuné chasseur se recroquevilla, se fossilisa ; poussière. La créature se détourna, secoua la tête, puis à lentes foulées, quitta la clairière plus resplendissante que jamais. Ne resta sur les lieux, qu'une vieille besace, un couteau rouillé et un fusil solitaire...
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