Sa vie avait toujours été grise, ni noire, ni blanche. Sans saveur, sans hauteur, sans risque, sans cet éclat qui font que le cœur bat violemment, le rouge vous monte aux joues et l'imagination s'emballe.

Elle vivait seule, dans son petit appartement, parfaitement rangé, au milieu de tapis gris souris, d'un canapé foncé, de chaises anthracites, de placards couleur de fumée.

Puis un jour, on frappa à sa porte, elle ouvrit : Personne, mais sur le paillasson presque noir, une rose fuschia éclatante de beauté attendait ! Aveuglée, elle ferma les yeux, puis la regarda encore ; ses joues pâles se teintèrent d'incarnat, ses lèvres, si serrées d'habitude esquissèrent un sourire.

Elle la ramassa, la respira et découvrit qu'elle embaumait.

Elle l'emporta à l'intérieur, se surprit à chanter. Le temps pour elle d'aller chercher un vase dans la cuisine, elle posa ce présent floral sur la table basse. Quand elle revint, elle écarquilla les yeux de stupeur. Le tapis éclatait de rouge sang, le canapé la berçait de son rose délicat, les chaises se déclinaient en camaïeu de violet et ses placards de rose bonbon, et sur la table, la fleur offerte par quelque mystérieux inconnu se déclinait de cendré. Elle la toucha à peine, qu'elle se désagrégea.

La poussière s'envola par la fenêtre en emportant pour toujours sa vie sans couleur, sans saveur, ni noire, ni blanche, en emportant sa vie grise...