Les Limbes
Drago ne perçoit plus les derniers événements que par flashs. Il se souvient à peine des minutes qui suivent l'éclair vert, l'écho du sortilège impardonnable dans l'air... Il se rappelle de la stupéfaction de Weasley. Il se rappelle avoir jeté sa baguette au loin, immédiatement, et levé les mains de part et d'autre de sa tête, comme s'il en avait terminé de sa mission sur cette Terre et que plus rien, désormais, ne dépendait de son ressort. Il se rappelle le corps du garçon étendu sur le sol... Et un défilé de conséquences, qui se perdaient à mesure qu'il plongeait de plus en plus profondément dans un sentiment de plénitude extrême...
Non pas le genre de plénitude qu'il a pu connaître avec Hermione. Ce qu'il a éprouvé dans ces derniers instants de relative lucidité, ce n'était pas du bonheur, ou de la satisfaction vis-à-vis de son geste. Non, uniquement la paix. Comme si un liquide chaud avait soudain rempli toutes les failles de son être, pour le colmater et ne plus rien laisser s'échapper. Drago était devenu aussi lisse et impénétrable que du béton, insensible au monde extérieur, tandis que Weasley reprenait peu à peu ses esprits, se remémorait malgré lui son rôle d'Auror, et le plaçait en état d'arrestation.
Drago n'a pas protesté. A aucun instant, il n'a songé à justifier son acte, à poser des mots sur le surréalisme de cette scène. Tandis que Weasley liait ses poignets dans une entrave magique et convoquait ses collègues pour examiner le lieu du crime, il n'a pas dit un mot, malgré toutes les tentatives de l'Auror pour l'amener à se confier, pour comprendre, pour lui trouver des circonstances atténuantes...
Jamais Drago n'aurait imaginé que Weasley puisse être autant atteint par sa disparition imminente. Mais cela s'ajoute à la longue liste des choses qui ne sont plus en mesure de le toucher. Quelque part au fond de lui, un relent de culpabilité – un de plus – regrette d'avoir commis un meurtre aussi brutal juste sous ses yeux. A défaut de pouvoir être son ami, Drago commençait de plus en plus sincèrement à éprouver une réelle affection pour Weasley... Il ne méritait pas ça. Surtout après leur dernière discussion au sujet d'Hermione. Comment empêcher Weasley de lui en vouloir à présent, alors qu'il vient de commettre l'irréparable ? Sans doute l'une des seules choses au monde capables de le séparer de sa bien-aimée à jamais, la condamnant par conséquent à un nouveau cycle de tourments sans fin...
Hermione. Cela aussi, Drago s'efforce de ne pas y penser. Dans un premier temps, cela lui est facile. Ses sensations se fondent les unes dans les autres comme de la cire perdue ; elles abandonnent toute forme et ne constituent plus qu'un agglomérat monstrueux. A mesure que cette journée interminable s'étire, elle perd en consistance, se dilate telle la pâte distendue d'un chewing-gum, jusqu'à ce qu'il n'en distingue plus rien. Il se souvient vaguement des interrogations des premiers Aurors, débarqués à même sa boutique, du corps du gamin que l'on enlève, de l'attroupement au dehors lorsque la rumeur du meurtre finit par se répandre dans l'Allée des Embrumes, et de sa voix qui répond aux questions des enquêteurs, laconique, sans expression, révélant la vérité crue sans chercher à l'enjoliver, ni y rattacher la moindre émotion.
A un moment donné, sans qu'il soit réellement capable de le situer dans le temps, Potter est présent. Drago voit son visage se décomposer à côté de celui de Weasley lorsqu'il réalise que la petite Pensine posée sur le comptoir contient le souvenir de l'assassinat de Narcissa Malefoy. Personne n'a encore rien dit à Hermione.
Cette pensée transperce la surface de son esprit ; une fois ; deux fois, sans jamais franchir ses lèvres. Il n'en a pas la force. Il se laisse glisser, porter par le flot. Il ne se sent déjà plus la moindre obligation envers tous ces Aurors qui lui demandent des réponses. A quoi peuvent bien servir les réponses, si ce n'est à satisfaire leur curiosité personnelle ? Lui-même a déjà toutes les réponses qu'il lui fallait. Son rôle est terminé ; il s'est scellé lorsqu'il a levé cette baguette et prononcé ces deux mots, ces mots qu'il n'avait jamais osé lancer du temps de la guerre. Avec quelle facilité il les a édictés, pourtant, dans l'atmosphère confinée de sa petite boutique...
Il n'éprouve aucun regret. Il n'éprouve plus rien. Peut-être, plus tard, les remords viendront-ils. La conscience vague et diffuse d'avoir gâché ce jour-là tous ses futurs possibles. Mais pour l'instant, Drago se laisse simplement entraîner dans le tourbillon de cette folie qui l'a possédé, et il ne résiste pas. Après plus d'une décennie à lutter contre ses démons, cela fait du bien de ne plus combattre. De capituler, enfin. Tous ces esprits qui le torturent lui semblent même moins cruels à présent qu'il a décidé de les suivre. Il descend loin, très loin en lui-même, à travers des volées de marches et des chemins tortueux dont lui seul à le secret, qui lui sont devenus bien trop familiers au fil des années, et il se perd volontairement dans ce dédale obscur.
C'est seulement à la toute fin, alors que plusieurs heures ont dû s'écouler, sans doute, que les Aurors l'empoignent pour le faire sortir de la boutique. Potter et Weasley se tiennent à son côté. Ils l'agrippent chacun par un bras, et Drago peut ressentir leur présence, non pas comme une agression, mais presque comme un soutien, tandis qu'on l'entraîne à l'extérieur pour le faire transplaner.
Pourquoi est-il nécessaire de le faire sortir ? N'auraient-ils pas pu transplaner depuis l'intérieur de la boutique, mettant ainsi un terme rapide à cette journée de l'absurde ? Mais tandis qu'ils s'engouffrent dans le froid pénétrant du soir, Drago croit apercevoir un flash de journaliste à quelques pas de lui. Bien sûr. Londres aussi a retenu son souffle pendant toutes ces années. Où était passé le fils Malefoy, quand allait-il enfin payer pour ses crimes ? Il paraît de bonne guerre que sa chute ultime se fasse en public... Jusqu'à ce que soit décidé ce que l'on pourra bien faire de lui.
Drago ne se fait pas trop d'illusions à ce sujet. La société sorcière n'a jamais brillé par son indulgence, et il ne la réclame pas, de toute façon. Une fin rapide, désormais, c'est tout ce qui lui importe. Il s'abandonne.
Avant que ses derniers lambeaux de conscience ne lâchent et craquent dans le silence, Drago jette un bref regard autour de lui. L'Allée des Embrumes. Telle est donc la dernière vision qu'il emportera avec lui. Pourtant, dans la lueur du crépuscule, ce n'est ni l'obscurité, ni la crasse, ni l'étroitesse de cette rue sinueuse qu'il retient. Il ne voit que la splendeur écarlate du soleil mourant. Une petite pluie qui lui mordille la peau et plante dans son visage un millier de diamants glacés. Le parfum discret d'encens et d'ancienneté qui s'attache à ses vêtements, à sa boutique et à cette vie qu'il quitte pour toujours. Toutes ces choses qu'il aurait été incapable de remarquer à peine quelques mois plus tôt, toutes ces choses auxquelles il vient de dire adieu sciemment, mais qui lui offrent ici leur prodigieux spectacle, magnifique, pour la toute dernière fois.
Il sait aussi à qui il dit adieu dans cette ultime vision. Hermione. Sa présence résonne partout, en creux, dans tous ces détails qui le submergent de toutes parts avant de s'éteindre pour de bon. Elle brille dans chaque reflet de lumière, chaque fragrance subtile et délicate, chaque éclat.
« Hermione... Pardonne-moi. »
Drago ferme les yeux lorsque Potter et Weasley le font transplaner. Il ne les rouvrira plus. Ou du moins, il n'en aura pas conscience. Le mécanisme complexe de ses iris, de ses paupières, de ses cils et de ses prunelles ne compte plus pour lui. Il s'est enfoncé plus loin que la chair, quelque part entre l'inconscient et l'innommable, dans ces ténèbres qui l'appellent de leurs vœux depuis si longtemps.
Là-bas, il retrouve les monstres qu'il a si souvent tenté de fuir. Dire qu'il a eu tellement peur de finir seul avec eux. Peur de sombrer en lui-même et d'être à leur merci, pour toujours, jusqu'à ce qu'une âme charitable ne le délivre enfin de cette vie. Mais non, à présent que Drago a accepté de les rejoindre, ils se contentent d'évoluer autour de lui, silhouettes fantomatiques qui se précisent rarement aux frontières de sa vision, mais dont il sent la présence froide, humide et triste tout autour de lui. Ils ne le torturent pas, ne le harcèlent pas. Ils se contentent d'être là, comme une partie de lui-même, et Drago en vient à accepter lui aussi ces hôtes étranges, dont il n'a plus l'espoir de se défaire.
Le temps s'étire en lui, impossible à mesurer. Il n'y a plus de jour, plus de nuit, plus d'heures, ni d'années. Parfois, lorsque l'ennui le menace, il se surprend à penser à ce qui peut bien se passer tout là haut, dans le monde extérieur, le monde de la surface. Il visualise une mer agitée par les flots, tandis que lui repose tout au fond, inaccessible aux yeux de tous.
Sans doute a-t-on instruit un procès pour son crime. Son repli au fond de lui-même ne sera pas une excuse. Sans doute a-t-il été condamné à croupir à Azkaban pour le restant de ses jours, à moins qu'il ne doive s'attendre à la visite d'un Détraqueur d'un instant à l'autre, qui viendrait forcer dans sa prison mental un baiser porteur de néant... Cela ne serait probablement pas très différent de sa situation présente. Coupé de tout, y compris de ses émotions, et même de ses tourments, insensible aux moindres stimuli du monde extérieur, retranché dans des limbes de plus en plus profondes...
Peu à peu, Drago sent les frontières mêmes de son esprit céder face à sa reddition. Ses remords ne le préoccupent plus, tout simplement parce qu'ils s'effacent eux aussi de la réalité, à mesure qu'il se laisse disparaître, emporté très loin dans ce qui ne peut plus être.
Dans ces longues heures de silence, seule la pensée d'Hermione, encore et toujours, surnage de temps à autre. Elle est la dernière à le retenir encore un peu vers la surface. L'ultime élan de vie et de regret qui le rattache à la réalité. Dans ces ténèbres vides au creux de lui-même, il a tout le loisir de songer à elle, à la peine et au mal qu'il a dû lui infliger – encore – alors qu'elle commençait à peine à se remettre du départ de ses parents...
« Comment vas-tu, Hermione ? » songe-t-il lorsqu'il s'adresse en esprit à elle. « T'a-t-on expliqué ce qui m'est arrivé ? Oui, sans aucun doute. Potter et Weasley t'auront tenue au courant. Que penses-tu alors de mon crime ? Je sais que tu le comprends, à défaut de l'approuver. Je sais que tu regrettes ce malheur enraciné si profondément en moi que je n'ai pas su lui résister, que je me suis vautré à l'intérieur pour accomplir ce destin comme tracé d'avance : tuer le meurtrier de ma mère, la venger, et sacrifier ma vie par la même occasion... Sacrifier notre avenir ensemble. »
« Pourras-tu me pardonner, Hermione ? Moi, je ne me le pardonne pas. Mais je suis suffisamment lucide à présent pour savoir que je n'aurais pas pu agir autrement. Et j'ai trop l'habitude de m'en vouloir. Un fardeau de plus ou de moins, finalement, ce n'est plus si lourd à porter pour ma conscience... Surtout lorsque je sais que le voyage touche à sa fin. »
Non, la seule chose qui suscite encore de l'inquiétude en lui, c'est la connaissance qu'il a du caractère d'Hermione. Hermione qui s'est accroché aux corps sans âme de ses parents pendant dix ans. Hermione qui ne baisse jamais les bras, jamais. Hermione qui refuse de renoncer.
Pour lui aussi, surtout pour lui, Drago sait qu'elle n'abandonnera pas. Elle passera sa vie entière à tenter de le ramener des tréfonds de lui-même, tant que son cœur continuera de battre... Que n'a-t-il pas le pouvoir de l'arrêter une bonne fois pour toutes. De la libérer de ce poids qu'il n'aurait jamais dû devenir pour elle. C'était définitivement une erreur, une faiblesse de sa part, que de s'autoriser à devenir important pour elle... Mais malgré cette sévérité à l'égard de lui-même, il n'arrive pas à le regretter. Ce qu'il a vécu avec Hermione était trop beau, trop précieux pour qu'il puisse le renier, surtout dans le désert stérile qu'aura été le reste de sa vie...
Alors oui, tout ce qu'il peut faire en esprit aujourd'hui, c'est prier Hermione de lui pardonner cette unique faiblesse... Et espérer qu'elle n'aura plus très longtemps à s'accrocher.
℘
Il fait nuit noire. Comme toujours dans ce lieu impalpable, sans début, ni fin. Pourtant aujourd'hui – si tant est qu'il s'agisse d'un jour nouveau – quelque chose est différent. Drago évolue dans son petit enfer personnel depuis tellement longtemps à présent qu'il perçoit tout de suite l'intrusion d'un élément étranger dans son monde. Un élément destructeur, car beaucoup trop tangible, vif, flamboyant, dans cet univers qui s'efface peu à peu de la surface du monde comme une aquarelle rincée à l'eau.
Désorienté, Drago regarde autour de lui. Ce n'est qu'une façon de parler, bien sûr. Il n'a pas de corps dans ce vide indéfini qui l'entoure, et les rares fois où quelque chose se matérialise dans son champ de vision, il s'agit d'un squelette de souvenir, avec à peine assez de substance pour qu'il puisse y reconnaître quoi que ce soit. Bientôt, Drago sera seul au fond de lui-même. Vraiment seul. Et cette perspective l'angoisse infiniment plus que tous les tourments que sa culpabilité aurait pu lui inventer.
Mais voilà que Drago n'est plus seul à présent. Une autre conscience se fraie un passage à travers les couches épaisses de son esprit opaque. Ce n'est pas la première fois qu'il décèle de pareilles tentatives : de temps à autre, quelques Aurors du Ministère, sans doute, tentent de forcer ses résistances en ayant recours à la Légilimancie. C'est mal le connaître, car heureusement ou non, il a toujours excellé dans l'art inverse, l'Occlumancie... C'est d'autant plus vrai maintenant qu'un gouffre le sépare du moment présent.
Mais cette fois, les choses sont différentes. Drago ne reconnaît pas l'assaut pénétrant et pointu du sortilège Legilimens. Cette méthode est plus douce, et plus enivrante en même temps. Il se sent tourbillonner au fond de lui-même. Comme si quelque chose avait réussi à l'aspirer temporairement hors de son corps, ce corps qui aura été sa malédiction pendant si longtemps.
Drago reconnaît ces sensations. Ce sont celles qu'il éprouvait lorsqu'il plongeait dans sa Pensine.
Sans surprise, le vide s'habille et prend corps autour de lui. Les premières secondes, il ne reconnaît pas les murs qui viennent combler son horizon, ce plafond bas et voûté, cette lueur chaude et tremblotante qui se reflète sur le sol en terre battue... Puis l'évidence s'impose à lui. C'est la cave de son ancienne boutique. Son refuge, le sous-sol où il avait jeté sa vie et ses maigres possessions comme une pénitence de plus, jusqu'à ce qu'Hermione ne vienne l'éclairer de son amour spectaculaire...
Hermione, Drago la voit aussi, à présent. D'une manière totalement inexplicable, quelqu'un a jugé utile d'immerger son visage, là haut à la surface, dans une Pensine, et de le ramener à ce moment lointain, entre l'ivresse et le rêve, où Hermione et lui s'étaient trouvés, unis, pour la toute première fois...
L'intensité du souvenir ne trompe pas. Ils n'étaient que deux ce jour-là dans cette cave. Seules deux personnes sur cette Terre possèdent ce souvenir. Lui-même, bien sûr. Et Hermione...
– Bonjour, Drago, fait sa voix juste derrière lui.
Drago se retourne. Le plongeon dans la Pensine a contraint son esprit à lui susciter un corps à nouveau. Le voilà debout, vêtu de son éternelle chemise blanche sur pantalon noir, ses cheveux blonds lissés en arrière à la hâte, comme pour transcrire sa surprise de se retrouver ici. Mais ce n'est pas ces détails qui retiennent son attention. C'est elle. Hermione.
Elle se tient là juste devant lui, dans l'atmosphère de cette cave humide, les mains croisées devant elle, le regard timide. Elle n'ose pas l'approcher, comme si elle avait peur de le voir disparaître d'un instant à l'autre. Ce qui ne serait pas si surprenant, après tout.
L'espace de quelques secondes, Drago reste totalement incapable de réagir. La cave, la lumière, les sons, les odeurs, c'en est déjà trop pour lui. Un univers entier qui revient soudain à l'existence et qui éclot au fond de lui, là où n'existait auparavant que le vide. Et voilà qu'Hermione se tient devant lui...
Drago s'accroche à chaque trait de son visage. Tout au long de son exil, il a été incapable de l'oublier. Mais la revoir là devant lui, presque comme si elle était réelle, presque comme s'il pouvait la toucher... Cela semble soudain trop incroyable pour lui. Son esprit s'est dépouillé de sa substance depuis trop longtemps ; alors appréhender cette vision à nouveau...
– C'est vraiment toi ? s'entend-il demander, et sa voix résonne à ses oreilles pour la première fois depuis des temps immémoriaux.
Elle risque un petit sourire. Elle est émue ; il peut le voir rien qu'à sa façon de le fixer, mais elle essaye de se contenir. Surtout, ne pas le brusquer. Ne pas se jeter dans ses bras, même si elle en mourrait d'envie. Drago ne peut pas le lui reprocher. Lui-même n'est pas sûr de pouvoir survivre à une telle étreinte, et à la surcharge émotionnelle qu'elle impliquerait.
– C'est moi, déclare-t-elle.
A son tour, le son de sa voix remplit l'espace de la cave, résonne contre les voûtes, illumine le souvenir tout entier de sa texture suave et vibrante. Drago la sent glisser en lui comme du miel. Il redécouvre ces sensations auxquelles il avait renoncées, qu'il croyait enfouies tout au fond de lui-même, et perdues à jamais.
Cela le grise et le terrifie. Parce qu'Hermione ne peut pas le ramener à la surface. C'est impossible. A la surface ne l'attendent que le froid du procès, de la prison, de la solitude dans ce corps maudit et brisé. Tandis qu'au creux de lui-même, il est à l'abri. Plus rien ne peut l'atteindre, si ce n'est lui.
– Que se passe-t-il ? s'enquiert-il à nouveau, avant même d'avoir pu réfléchir. Que fais-tu ici ?
Il y a de multiples réponses à ces questions. Drago le sait. Elles lui font toutes plus peur les unes que les autres, mais à présent qu'Hermione l'a emprisonné dans ce souvenir, il ne peut plus y échapper :
– Nous sommes dans mon souvenir, répond la jeune femme très doucement. Le jour où je me suis rendue compte que je t'aimais...
Elle glisse un regard vers le fond de la pièce. Là où il s'était efforcé de ne pas regarder, jusqu'à présent. Là où leurs deux corps nus se pressent sur le matelas à même le sol, sous la lueur vibrante d'un feu en bocal, dans le silence tranquille de cette intimité savourée...
Tout comme lui, elle ne s'y attarde pas. Elle s'en détourne presque aussitôt, mais le mal est fait. Ils sont dans la mémoire d'Hermione, dans le souvenir d'Hermione. Et à cet instant précis, l'évocation de leur première nuit d'amour ensemble, et de toutes celles qui ont suivi, de tout ce qui les a unis, les brûle tous les deux aussi sûrement qu'une flamme.
Drago réalise véritablement tout ce qu'il a accepté de laisser derrière lui, et Hermione ce qu'il a consenti à abandonner pour lui préférer sa vengeance.
Elle ne dit rien. Les mots sont inutiles. Leur amour gâché se dresse là autour d'eux, au-delà des regrets et de la rancœur, indicible.
– Quant à l'endroit où nous nous trouvons vraiment..., reprend la jeune femme. Nous sommes à Azkaban. Dans ta cellule.
Ainsi, enfin, ils y sont. Drago doit avouer qu'il n'est pas vraiment surpris :
– Je suis désolé de tout ce que tu as encore dû subir à cause de moi, murmure-t-il simplement. Je sais que ces mots ne suffiront pas, mais... je tenais à te le dire.
Hermione incline la tête, sans répondre. Comme si elle n'en était pas capable. Alors même que son image n'est qu'une projection de son esprit, une création virtuelle, sans chair et sans cœur, des larmes apparaissent au coin de ses yeux et dévalent ses joues :
– Je suis tellement désolée pour toi, Drago, articule-t-elle en retour. Désolée que tu aies vu ce qu'il y avait dans ce souvenir. Je n'ose pas imaginer comme cela a dû être difficile pour toi...
Le souvenir. Drago n'y pensait presque plus. Pendant tout ce temps recroquevillé en lui-même, il n'avait que peu évoqué les raisons de son repli. Le gamin, le souvenir, le meurtre de sa mère, et le sortilège impardonnable qui s'en était suivi... Narcissa était venue le voir, une fois. Parmi les fantômes de son esprit. Elle lui avait ouvert ses bras dévorés par la putréfaction, et sur son visage détruit s'était dessiné un pauvre sourire, comme pour lui dire : « Merci, mon fils. Tu n'auras pas tout rattrapé. Mais tu auras au moins accompli cela ».
Le fait d'avoir pu dire adieu à cette culpabilité battante envers sa mère avait convaincu un peu plus Drago dans sa décision de lâcher prise.
– Comment est-ce que tu vas ? demande alors le jeune homme, car il n'a plus le moindre souci pour lui-même, mais seulement envers elle. Comment se fait-il que je puisse te voir ? Pourquoi t'ont-ils laissée me plonger dans la Pensine ?
Hermione se tord les mains. Une multitude de réponses se presse à la barrière de ses lèvres, et elle ne sait visiblement pas par où commencer :
– Tout a été un peu confus après... ton arrestation, commence-t-elle. Ça a fait les gros titres pendant des semaines, comme tu peux l'imaginer... Il y a eu un énorme débat pour décider de si tu devais être jugé ou non, étant donné ton état. Harry et Ron ne s'en sont pas rendus compte tout de suite, mais dès votre arrivée au Ministère, tu étais... complètement ailleurs. Le temps qu'ils me préviennent, et il était déjà trop tard. Tu étais irrécupérable.
Elle s'interrompt quelques instants, et Drago voit bien qu'elle tente de se maîtriser. D'empêcher de nouvelles larmes de couler. Elle y parvient :
– Finalement, le procès a bien eu lieu, poursuit-elle. Ça a replongé tout le pays dans un passé douloureux, comme tu t'en doutes... Mais ça a été salvateur, je crois. Cela faisait trop longtemps que plus personne n'osait parler de la guerre en affrontant vraiment en face tout ce qu'il s'y était déroulé. Ton cas a déchaîné les passions, c'est le cas de le dire...
Elle s'accorde un petit rire un peu nerveux, avant de planter gravement ses pupilles dans les siennes :
– J'aurais tellement voulu que tu sois là pour entendre tout cela, Drago, énonce-t-elle. Toutes ces questions que tu t'es interminablement posé en esprit... Tout ce pour quoi tu t'es torturé toutes ces années, toutes les choses que tu t'es toujours reprochées... Tout cela a été discuté au grand-jour, enfin, par toute la population. Chacun y est allé de son argument, de son opinion. Ton rôle dans cette guerre, et tout ce que tu étais devenu depuis, tout cela a été décortiqué jusque dans les moindres détails, plus encore que si on avait autopsié ton corps directement dans le tribunal.
On sent que c'est une comparaison qui lui est souvent venue à l'esprit. Drago ne s'en formalise pas. Il n'ose imaginer ce que ce spectacle a dû être pour elle, elle qui était devenue une part si importante de sa vie dans ces derniers mois, et qui n'avait certainement pas dû être épargnée par la tempête :
– On m'a demandé de témoigner, bien sûr, confirme-t-elle comme si elle avait pu lire dans ses pensées. Harry et Ron ont tenu à le faire aussi. Beaucoup de monde, en fait. Tes anciens clients. Les traumatisés de guerre que tu as aidé à se reconstruire, en apaisant leurs souvenirs... Même mes parents.
Drago ne manque pas cette occasion :
– Comment vont-ils ? demande-t-il avec une réelle préoccupation dans la voix.
Hermione l'apaise tout de suite :
– Ils vont bien, répond-elle avec un petit sourire effacé. Ils sont revenus aussitôt d'Australie quand ils ont appris ce qu'il s'était passé... Ils sont revenus pour moi. Ils ne sont pas repartis depuis.
On sent que cet événement lui a donné du courage : celui de lui raconter ce qu'il est advenu ensuite :
– Le souvenir du meurtrier de ta mère a été diffusé aux yeux de tous, aussi. Cela n'a laissé personne indifférent. Même ceux qui n'en avaient rien à faire de la vie de Narcissa Malefoy. Et ton père... Ton père est venu témoigner, lui aussi.
Lucius... Qu'avait-il pu dire, dans de pareilles circonstances ? Avait-il défendu le fils qu'il avait maudit lors de leur dernière entrevue ?
– Son témoignage, ainsi que les visages qui apparaissaient dans le souvenir que tu as vu, ont aussi permis d'arrêter les deux autres meurtriers responsables de la mort de ta mère. Ils ont été condamnés à trente ans de prison, pour actes de barbarie ayant entraîné la mort.
Hermione inspire profondément pour conclure :
– Au final, je crois que tu as eu ce que tu voulais, Drago, dit-elle. Le pays s'est prononcé sur ton sort. Pas aussi sévèrement que tu l'aurais redouté, sans doute... Tu as bénéficié de circonstances atténuantes.
– Dis-moi.
– Tu as été condamné à cinq ans de prison. Dont deux avec sursis.
Cette peine tombe sur Drago comme un couperet. Un peu abasourdi tout d'abord, puis absurdement soulagé. Cinq ans ? Qu'est-ce que cinq ans, pour toute la vie qu'il a menée ? Et pour le calvaire qu'il a connu pendant toutes ces années ?
Hermione semble deviner sans peine ses pensées :
– Tu as été placé en détention à Azkaban, même si dans ton état, ça ne faisait pas vraiment de différence avec la cellule du Ministère où tu résidais pendant ton procès... Je t'ai rendu visite, bien sûr. J'ai tout essayé. Tu me connais.
Elle dit cela avec un nouveau petit sourire triste. Et tout à coup, Drago se rend compte à quel point elle a changé. Ses cheveux sont plus courts ; son visage plus mince. Même si elle n'a plus l'aspect maladif et négligé qu'il lui avait connu la première fois qu'elle avait franchi sa porte, à la recherche d'un remède pour ses parents, elle projette encore l'image d'une femme plongée dans le travail et l'inquiétude. Avec quelque chose de dur, également. Une flamme au fond de ses yeux qu'elle ne possédait pas la première fois. L'envie de s'en sortir, telle une promesse envers elle-même.
– Mais on ne m'avait encore jamais laissée tester la Pensine..., poursuit-elle. Jusqu'à maintenant.
Quelque chose, dans la façon dont elle prononce ces mots, allume une sirène d'alarme dans l'esprit de Drago :
– Depuis combien de temps suis-je... dans cet état ? murmure-t-il.
Elle le dévisage avec une clairvoyance douloureuse :
– Deux ans, souffle-t-elle.
Deux ans... Même si Drago se doutait bien que du temps s'était écoulé en surface, pendant que lui-même demeurait au fond de ses limbes, il ne peut contenir le choc. Deux années réduites en poussière... Deux années qu'Hermione a passées sans lui. Abandonnée. Condamnée à rendre visite à son corps inanimé dans le lieu le plus sordide de la Terre. Rien ne l'y obligeait, bien sûr, mais elle l'a fait quand même. Parce qu'elle est comme ça. Parce qu'elle l'aime, et que la vie a eu une cruelle tendance à la punir pour ses amours.
– Hermione, je suis tellement désolé...
Ce sont les premiers mots qu'il trouve à dire. Ils sont entièrement pour elle. Elle les reçoit avec de nouvelles larmes, mais elle attend que le sous-entendu le frappe de plein fouet :
– Pourquoi..., demande-t-il alors. Pourquoi maintenant ? Tu as dit qu'on ne t'avait pas laissé tester la Pensine avant aujourd'hui. Qu'est-ce qui a changé ?
Hermione secoue la tête :
– Comme tout prisonnier à Azkaban, tu es soumis à des conditions de sécurité strictes, explique-t-elle. Je ne pouvais tester sur toi que des traitements préparés à distance, depuis chez moi, et que l'on t'administrait ensuite. Je n'avais pas le droit d'expérimenter directement sur toi. Tes gardiens jugeaient que la Pensine...
Elle soupire, laissant transparaître son exaspération :
– Ils pensaient que la Pensine n'était pas un remède, mais simplement une source de communication potentielle, sans garantie de succès, et qui ne devait être utilisée qu'en dernier recours. J'ai eu beau leur dire que c'était absurde, que cela constituait sans doute notre meilleur chance d'entrer en contact avec toi et de te ramener, ils n'ont rien voulu savoir... Même si tu es loin d'être considéré comme le plus dangereux prisonnier du pays, même s'il ne te reste plus qu'une année de ta peine à purger... Cela reste Azkaban, après tout.
Elle hausse les épaules, dépitée :
– Résultat, nous en sommes là aujourd'hui... Nous avons attendu que ton état se dégrade, jusqu'à ce que la Pensine devienne effectivement notre dernier recours. Si j'avais su que cela marcherait aussi bien... Si j'avais su que tu étais encore là quelque part, au fond de toi, et qu'il était possible de te contacter de cette manière dès le départ...
Elle regarde autour d'elle, rattrapée par l'émotion, par la douceur de leurs étreintes à quelques mètres à peine :
– Je t'aurais montré tous les merveilleux souvenirs que j'ai avec toi, confie-t-elle. Tous ces moments qui paraissent comme... sublimés par ta présence. Notre soirée au piano. Notre après-midi à Highgate. Déjà à l'époque, je ressentais quelque chose pour toi... Même si j'avais peur de me l'avouer.
Elle essuie ses larmes, comme si toutes ces paroles étaient vaines à présent :
– Mais cela ne sert plus à rien de se complaire dans tout cela. Nous sommes ici, et nous sommes obligés de faire avec la situation présente.
Drago reste là à la contempler, sans rien dire. Quel autre malheur s'apprête-t-elle donc à lui raconter ? Que lui a-t-il fait subir d'autre encore ? Comme d'habitude, elle décrypte sa culpabilité sans qu'il n'ait besoin de parler :
– Nous avons mis du temps à nous en rendre compte, déclare-t-elle alors très doucement. Mais ton état s'est dégradé progressivement. Nous t'avons maintenu en vie, bien sûr, à peu près de la même manière qu'avec mes parents, en espérant qu'un jour, tu finirais par revenir à toi... Mais plus les semaines ont passé, plus il est devenu évident que tu t'éloignais de nous. Que tu n'étais pas prêt de remonter à la surface...
Cette analogie entre cette façon de voir les choses et la sienne plonge encore un peu plus Drago dans l'accablement. Mais déjà, Hermione continue :
– Tes fonctions vitales ont décliné peu à peu, inexorablement. Nous avons eu beau tenter les meilleurs traitements possibles, sorciers comme Moldus... Ton corps a l'air de travailler contre nous. Tu maigris, tu t'affaiblis... Comme si tu n'avais plus la volonté de vivre.
Elle pose sur lui ce regard qui le transperce, qui remue tout ce qu'il reste à remuer au fond de lui :
– C'est Ron qui avait raison depuis le début, décrète-t-elle. Même si cela aussi, j'ai longtemps refusé de le voir... Ton esprit a toujours été la source même de ta maladie. Tu souffres de dépression, Drago. Tu t'y es enfoncé si profondément et pendant si longtemps qu'aujourd'hui, tu en meurs... Parce que tu te laisses faire. Parce que tu as renoncé à te battre.
Elle pleure à nouveau, et Drago sait ce que ces mots signifient pour elle. Elle qui a toujours refusé de baisser les bras, même lorsque le monde entier lui criait le contraire...
– Ta maladie a pris une forme très rare, décrit-elle alors, posant enfin des mots sur ce mal terrible qui l'avait poursuivi, et qui avait fini par les séparer. Une dépression magique. Ton propre pouvoir s'est retourné contre toi, pour te couper peu à peu du monde qui t'entourait, de tout ce qui pouvait te toucher... Y compris moi.
Elle expire à fond :
– Le monde sorcier connaît encore très mal ce genre d'affliction. Il y a une sorte de tabou sur les maux de l'esprit. Un tabou complètement absurde...
Tout aura sans doute été finalement absurde dans ce triste conte.. Mais Drago ne le dit pas. Que pourrait-il ajouter à ce compte-rendu navrant qu'Hermione vient de lui faire ? Lui qui, en fin de compte, n'avait pas su triompher de tout ce chagrin qui sommeillait en lui...
– Tu es venue me dire au revoir ? souffle-t-il alors.
Hermione fait non de la tête. A nouveau, la flamme se rallume en elle :
– Je suis convaincue qu'il te reste une chance, proclame-t-elle. Un moyen d'inverser le processus. J'ai tellement réfléchi à ton cas, tellement réfléchi aux mécanismes qui s'étaient joués en toi... La manière dont tu te sentais mieux, dès qu'un fragment de bonheur ensoleillait ta vie... Je suis convaincue que depuis le début, la décision n'appartient qu'à toi, Drago. A toi, et uniquement à toi.
– Qu'est-ce que tu veux dire... ?
Hermione s'approche enfin et lui sourit, de ce sourire grave qui a marqué sa vie :
– Je veux dire que c'est à toi de choisir, Drago. Encore aujourd'hui : il est toujours temps. Tu peux choisir entre la vie et les ténèbres. Choisis la vie. Choisis moi. Choisis nous.
– Si seulement c'était si simple, Hermione...
– C'est si simple ! Je ne dis pas que ce sera facile. Je ne dis pas que cette décision suffira à te guérir en une seconde du jour au lendemain. Personne ne se relève d'une dépression aussi rapidement. Il faudra du temps, et de la patience, et des efforts. Et oui, de nombreux risques, de nombreuses souffrances t'attendent encore tout au long de ce chemin. Mais je t'en prie, Drago... Je t'en supplie ! Cela vaut plus que tout ce que la mort a à t'offrir.
Elle recule d'un pas et écarte les bras, comme pour étreindre tout ce qu'elle a sacrifié durant toutes ces années :
– J'y ai tellement réfléchi, Drago, j'ai tout essayé. Et c'est cela que j'ai compris. J'aurais beau tout tenter, en dépit de tous mes efforts... Au final, ce n'est pas à moi de te sauver. Je ne pourrai jamais y arriver si toi-même, tu en as décidé autrement. C'est à toi de t'en sortir. De trouver la force en toi-même, la volonté de vivre, pour toi. Pas même pour moi, ni pour qui ou quoi que ce soit d'autre. Pour toi. Parce que tu le mérites. Parce que la vie est pleine de possibilités, alors que la mort n'en a aucune. Parce que chaque seconde qui passe est une nouvelle naissance possible. Parce que tout est encore permis pour toi, à l'infini, et que c'est magnifique...
– Qu'est-ce qui m'est permis ? ne peut s'empêcher de répliquer Drago, cynique.
La vérité, c'est que la ferveur et la passion d'Hermione lui font peur...
– De me réveiller dans une cellule à Azkaban ? De passer encore un an de ma vie en prison ?
Hermione marque un petit temps d'arrêt, puis répond :
– Oui.
Très simplement, sans rien ajouter d'autre.
– De vivre avec le souvenir du meurtre de ma mère planté dans le cerveau ?
– Oui.
– D'endurer jour après jour le regard de ceux qui me jugeront ?
– Oui.
Constatant qu'il ne dit plus rien, Hermione force son avantage :
– Est-ce vraiment si terrible, tout cela ? Est-ce vraiment insurmontable pour toi, Drago Malefoy, qui a déjà tellement surmonté ? Est-ce que tu ne pourrais pas surmonter encore un tout petit peu plus, pour une promesse de liberté ? Une promesse d'avenir ?
Drago ne dit plus rien. Ces paroles le troublent au-delà des mots. Elles réveillent en lui des émotions violentes qu'il croyait avoir totalement refoulées : colère, terreur, espoir, et ce mélange incompatible se déchaîne en lui et brûle tout.
– Je dois te laisser, dit soudain Hermione, avec toujours ce même feu dans ses yeux. Je n'ai plus beaucoup de temps. Et de toute façon, je t'ai dit... Tout ce que je pouvais te dire. Le reste ne repose plus que sur toi, désormais.
Elle écarte une fine mèche de cheveux bouclés de son visage, ce qui, inexplicablement, captive l'attention de Drago plus que tout ce qu'elle aurait pu ajouter :
– Tu sais, je me suis battue pour toi, murmure-t-elle. Vraiment. J'y ai mis tout ce qu'il me restait à donner. Mais au final, tout ce qu'il s'est passé avec mes parents m'aura appris une chose... Tu m'auras appris une chose. Parfois, il faut accepter de lâcher prise. Accepter que certaines choses ne dépendent pas de nos décisions, et restent simplement hors de notre contrôle...
Il est là, enfin, ce feu. Cet élan nouveau que Drago a décelé en elle, depuis le début de leur échange. L'envie de s'en sortir. De ne pas se laisser consumer par son chagrin, mais d'en émerger tel un phénix qui renaît de ses cendres :
– Aujourd'hui, vraiment, je considère que j'ai fait tout ce que je pouvais, Drago, déclare-t-elle. Et malgré tout ce que cela me coûte... Aujourd'hui, je peux lâcher prise. J'accepte de te laisser partir, de te dire adieu, si c'est ce que tu souhaites. Je le regrette infiniment, mais je l'accepte.
Elle tend une main, presque pour le toucher, mais renonce au dernier instant. Qu'aurait-elle pu saisir, de toute façon ? Ils ne sont que deux êtres d'esprits, piégés dans un souvenir.
Déjà le monde s'efface autour d'eux. Hermione lui accorde un dernier sourire :
– Je t'aime, dit-elle.
Drago n'a pas le temps de lui répondre. Il se précipite en avant, s'accroche à son visage, à ses cheveux, mais l'univers se dissout en une multitude de filaments colorés, et le voilà de nouveau seul, projeté dans le vide froid et sans vie, dans cet abyme insoluble qu'il a cultivé tout au fond de lui.
Eperdu, Drago tremble dans le froid. Le choc entre ce qu'il vient de vivre et son néant retrouvé le laisse arraché entre deux perspectives, deux futurs aussi terrifiants pour lui l'un que l'autre : la vie, la mort, et entre les deux, la pointe de l'incertitude chauffée à blanc qui l'éviscère...
Les mots d'Hermione résonnent en boucle au fond de son esprit, sans rien pour les arrêter :
« Choisis la vie. C'est à toi de t'en sortir. Parce que chaque seconde qui passe est une seconde naissance possible. »
Drago voudrait se prendre la tête à deux mains et hurler, hurler jusqu'à la fin des temps, hurler jusqu'à ce qu'il n'ait plus de gorge, ni en corps, ni en esprit. Le choix devant lequel Hermione l'a laissé est trop dur, trop impossible. Jamais durant ses deux ans d'exil, il n'avait envisagé la possibilité de vivre, la possibilité de s'accrocher, encore, une toute dernière fois...
Il voulait simplement se laisser sombrer. S'endormir sans bruit, et ne plus rien laisser derrière lui. Mais comme d'habitude, Hermione ne rend pas les choses aussi simples... Hermione existe toujours, là-haut, à la surface. Elle l'attend encore, mais plus pour très longtemps... Il ne tient qu'à lui de la rejoindre. Il ne tient qu'à lui... de tout. Ou de rien.
Drago ne saurait dire combien de temps il attend. Longtemps. Dans cette dimension où le temps et l'espace ne comptent plus. Il ne reste plus que lui. Et le courage qu'il possède encore. Ce qu'il peut toujours craindre, et désirer. Il a passé tellement d'années à endurer sa vie... Aujourd'hui, au seuil d'une autre voie possible, il a peur. Il a oublié comment c'était, d'avoir envie de vivre...
Au final, lorsque tous les fantômes autour de lui ont disparu et qu'il ne reste presque plus rien de lui, peut-être quelques secondes à peine avant qu'il ne soit trop tard, Drago se pose la vraie question. La seule, en fin de compte, qui importe vraiment :
« Veux-tu le faire pour toi ? Pour toi avant tout, envers et contre tout ? »
Et, au cœur des ténèbres, Drago trouve la réponse.
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