Chapitre 1 : De l’Âge du Vide à l’Embrasement

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Avant le « commencement » (et par « commencement » j’entends la création du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui), il n’y avait rien. Ce « rien », chers lecteurs, est à envisager avec précaution. Il nous est en effet impossible de dire quels mondes, quelles civilisations ou divinités ont pu exister avant de disparaitre, sans laisser de traces dans l’immensité de l’univers, avant notre ère. Ce que nous savons de cette période pour le moins nébuleuse, nous le tenons de Dieu lui-même et de certains récits circulant parmi les sorcières du Culte de la Déesse. Mais il n’y a, pour ainsi dire, aucune chance de vérifier la véracité de ces informations…

Je suis donc tenu de reprendre les différents récits existant sur cette période, puis de les comparer pour extraire le fil rouge qui les lie entre eux, en me fiant à mon intuition pour tenter de démêler le vrai du faux. Après cette mise en garde nécessaire, plongeons donc de ce pas, chers lecteurs, dans le vif du sujet.

Nous partons donc du postulat qu’à cette période précédant notre ère, l’univers était complètement vide, ou presque. Certains sages ont toutefois émis l’hypothèse que dans ce vide infini, existait une divinité plus ancienne que tout, la personnification de l’univers elle-même : Destin. Cette entité omnisciente aurait passé une éternité à sommeiller dans le néant le plus complet, trop vaste et trop puissante pour se soucier de quoi que ce soit. C’est pourquoi on appelle cette ère avant la nôtre, l’Âge du Vide : une période de néant, figée dans une immobilité absolue.

Il en fut ainsi pendant un temps incommensurable, jusqu’à ce qu’un jour enfin, quelque chose finisse par se produire : Destin, selon les opinions divergentes, se mit à rêver ou à bouger dans son sommeil. Cet acte, le premier dans un univers pétrifié, enclencha les rouages de la destinée qui devaient un jour engendrer notre monde.

Ce geste de Destin fit naître une étincelle de vie dans un océan de ténèbres infinies. Et de cette source de chaleur primordiale, naquirent deux nouvelles entités : Orphis le Dragon du Chaos, et Lohizune la Déesse de l’Ordre, ceux qu’on appellera plus tard les dieux fondateurs. Ces deux nouvelles divinités représentaient les deux faces d’une même pièce… la dualité née de l’unité ; les principes féminins et masculins issus de la neutralité de Destin.

Orphis et Lohizune, qui personnifiaient des principes diamétralement opposés bien qu’intrinsèquement liés, éprouvèrent aussitôt une aversion profonde l’un pour l’autre. Cependant, leur nouveau terrain de jeu avait beau être infini, il demeurait désespérément vide. Orphis et Lohizune finirent par s’en lasser et se murèrent dans un ennui profond. Frustrés par leur existence terne et en manque de stimulation, les deux divinités finirent par se recroiser. Cette nouvelle rencontre raviva sans doute l’aversion profonde qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre, ou éveilla peut-être en eux une lueur d’excitation à l’idée de tuer enfin leur ennui. Toujours est-il que cette seconde rencontre marqua un tournant dans l’Histoire. Décidant qu’il ne pouvait en rester qu’un, Orphis et Lohizune se lancèrent dans un combat titanesque qui allait transformer l’univers à jamais : un évènement que nous appelons aujourd’hui l’Embrasement.

Comme ils possédaient tous les deux des pouvoirs dévastateurs qu’ils n’avaient jusqu’à présent jamais eu l’occasion d’utiliser, leur affrontement provoqua de pures déflagrations de magie qui se répercutèrent aux quatre coins de l’univers. Chacun de ces chocs était si puissant qu’il donnait vie à des étoiles, des planètes ; des galaxies entières naquirent ainsi de leur lutte acharnée. Mais bien que l’univers se remplît au fil du combat entre les dieux fondateurs, il s’agissait toujours d’un gigantesque désert dépourvu de vie.

Le Dragon du Chaos et la Déesse de l’Ordre étant aussi puissants l’un que l’autre, aucun des belligérants ne fut capable de prendre l’ascendant sur son adversaire. Et il en fut ainsi pendant une éternité que je serais bien incapable de quantifier. Mais bien qu’ils soient tous deux immortels et qu’aucun n’était assez puissant pour éliminer l’autre, ils étaient toutefois capables de se blesser mutuellement. Et c’est bien sûr ce qui finit par arriver. C’est ainsi que les dieux fondateurs se rendirent compte qu’ils étaient capables de créer la vie.

Des gouttes de sang sacré versées par Lohizune et Orphis, naquit une nouvelle génération de divinités, moins puissantes que leurs parents, mais possédant des qualités qui leur faisaient défaut. Le sang d’Orphis donna naissance à sept enfants qui ressemblaient à leur père : ce sont eux que nous appellerons plus tard les sept Empereurs-Dragons, chacun doté d’un pouvoir qui lui était propre. Cette fratrie devait, plus tard, s’illustrer de la plus sinistre des manières lors de l’Aube Ecarlate (mais nous aurons l’occasion d’aborder leurs caractéristiques en détail dans les chapitres suivants).

L’énergie vitale de Lohizune engendra aussi une lignée d’héritiers. Il est d’ailleurs étonnant de constater à ce sujet combien les informations concernant les héritiers de Lohizune sont infimes, presque inexistants, si l’on excepte les deux plus connus, naturellement. Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’ils auraient plus ou moins disparu de l’Histoire sans y laisser une trace significative. Toutefois je n’ai, très chers lecteurs, pas ménagé mes efforts pour collecter ces précieux renseignements... qui sont malheureusement incomplets car pour la plupart de ces héritiers divins, je n’ai pu retrouver que les titres par lesquels ils sont nommés dans les écrits des sorcières et des prophètes qui les évoquent. Hélas, aucune de ces sources n’était vraiment précise… J’aurais l’occasion d’évoquer plus tard sans doute, mes propres théories sur cette étrange zone d’ombre dans l’Histoire.

Fusse un hasard ou un caprice du destin lui-même, le fait est que la Déesse engendra à son tour pas moins de sept divinités qui naquirent, tout comme les Empereurs-Dragons, par couples jumeaux. Ces nouveaux dieux vinrent au monde dans l’ordre suivant : l’Ombre et le Gardien, l’Eternel et l’Ephémère, la Fortune et le Purificateur (celui que l’on nommera plus tard Satan, premier des démons et Roi des Enfers). Si vous savez compter, très chers lecteurs, vous aurez remarqué que des sept héritiers de Lohizune, je n’en ai nommé que six. Et si vous avez seulement le quart de l’intelligence dont j’estime pouvoir vous créditer, vous aurez très certainement déjà deviné qui est le septième.

Le Créateur, Dieu.

C’est le premier à être né du sang de Lohizune, et le seul à ne pas avoir un jumeau divin. Et j’oserai dire en toute objectivité (étant moi-même mi-ange, mi-démon) qu’il est probablement pour des raisons évidentes la divinité la plus importante. Au cours de l’Histoire, on l’appellera de centaines de façons différentes : le Père, le Seigneur, le Tout-Puissant, le Très-Haut… Cependant personne n’a jamais su quel était son véritable nom, et personne ne le saura probablement jamais. Mais nous en reparlerons un peu plus tard, chers lecteurs. Pour l’instant, revenons au moment où les dieux fondateurs engendrèrent bien malgré eux une descendance inattendue.

Ressentant pour la première fois de leur vie divine la morsure de la douleur. Orphis et Lohizune mirent un moment à réaliser qu’ils n’étaient plus seuls dans l’univers. Quand enfin, ils aperçurent ces jeunes divinités qui venaient d’apparaître, le dieux fondateurs en furent tellement stupéfaits qu’ils en oublièrent leur affrontement. Pour la première fois depuis une éternité ils cessèrent de se battre, et l’univers retrouva un semblant de tranquillité.

L’étonnement passé, Orphis et Lohizune éprouvèrent un mélange de curiosité et d’excitation en rencontrant leur descendance. Ils se haïssaient toujours autant, mais leur affrontement était dans l’impasse depuis des siècles, aucun ne parvenant à prendre l’ascendant sur l’autre. Au bout d’un moment, les dieux fondateurs s’étaient lassés de ce duel sans fin. Mais en examinant leurs héritiers, Orphis et Lohizune eurent une nouvelle idée pour tromper leur ennui. Comprenant que leur combat était voué au statut quo éternel, ils décidèrent de poursuivre leur guerre de façon indirecte, en se servant de leurs héritiers comme de pièces dans un jeu d’échecs.

Pensaient-ils vraiment que cette décision permettrait d’aboutir enfin à un vainqueur ? Je pense, chers lecteurs, que leur motivation était bien plus simple : ils souhaitaient simplement se divertir. Orphis et Lohizune étaient tellement puissants qu’ils ne pouvaient que s’ennuyer dans cet univers vide, dénué du moindre changement, condamnés à répéter éternellement les mêmes gestes. Paradoxalement, ils n’étaient pas aussi puissants que Destin leur géniteur, pour être imperméables à la frustration qui dévorait leur existence. Ils ne pouvaient tout simplement décider de cesser d’être ou de penser, mais il n’y avait rien, absolument rien, susceptible d’éveiller leur intérêt. C’est, je pense, la raison principale qui les a poussés à s’affronter… même si de ce combat, aucun vainqueur ne pourrait ressortir. Car bien qu’ils fussent diamétralement opposés, Orphis et Lohizune savaient au plus profond d’eux-mêmes qu’ils ne pouvaient exister l’un sans l’autre.

En effet qu’est-ce que le Chaos, sinon le contraire de l’Ordre ? Ils étaient les deux faces d’une même bipolarité, et leur destin était à jamais lié par cette opposition qui donnait sens à leur existence. Cependant même cet affrontement avait fini par devenir lassant pour eux : sans vainqueur, ni changement, les fondateurs étaient condamnés à répéter les mêmes gestes jusqu’à la fin des temps... C’est pourquoi ils accueillirent presque avec soulagement la douleur de leurs premières blessures, et la venue de ces héritiers divins. Ils comprirent en un clin d’œil que leurs enfants détenaient chacun des pouvoirs uniques. S’ils les avaient encouragés à développer leur puissance pour en faire profiter l’univers, la face de ce dernier aurait pu en être changée à jamais. Et ce serait peut-être une infinité de mondes florissants de vie qui auraient vu le jour. Hélas, chers lecteurs, les dieux fondateurs avaient d’autres projets.

Lohizune et Orphis n’éprouvaient aucune considération pour ces enfants imprévus : l’amour, la compassion et la créativité étaient des sentiments inconnus aux dieux fondateurs. Ils considérèrent leur progéniture ni plus ni moins comme des jouets, de commodes moyens de divertissement. Or le seul divertissement qu’ils connaissaient était le combat. Alors même qu’Orphis et Lohizune rencontraient leurs héritiers, ils exigèrent d’eux une obéissance absolue. Des quatorze divinités qui venaient de naître des dieux fondateurs, treize se soumirent sans discuter, encore hébétées par leur soudaine venue au monde et n’ayant pas acquis suffisamment de maturité pour exprimer leur propre opinion.

Un seul refusa.

Le Créateur, Dieu, était de peu l’aîné de la nouvelle génération divine. Mais contrairement aux autres, il possédait déjà des convictions inébranlables qu’il refusa de compromettre, même confronté aux maitres de l’univers. Bien entendu ce refus attira sur lui la colère d’Orphis et de Lohizune qui le foudroyèrent de toute leur puissance combinée. Cette déflagration magique provoqua un trou noir dévastateur qui engloutit instantanément Dieu et traversa l’univers en avalant tout sur son passage : étoiles, planètes, galaxies… Tout ce qui entra en contact avec cette tempête d’énergie divine fut instantanément réduit en cendres. Ayant châtié l’impudent, Orphis et Lohizune purent ainsi asseoir leur domination sur la nouvelle génération de divinités, lesquelles n’osèrent plus songer à défier leurs parents, craignant de subir le même sort.

Les dieux fondateurs forcèrent alors leurs enfants à s’affronter en leur nom afin de se divertir. Dans un premier temps, les nouveaux dieux étaient réticents à se battre. Mais au fur et à mesure que cette guerre se prolongeait, les Empereurs-Dragons et les enfants de Lohizune finirent par hériter de la haine que partageaient leurs parents. Ils se convainquirent qu’ils ne pourraient prospérer tant que les autres ne disparaîtraient pas, et c’est donc volontairement qu’ils poursuivirent un combat devenu pour eux synonyme de survie, pour le plaisir d’Orphis et de Lohizune.

Si les dieux fondateurs avaient été capables d’entrevoir le futur, peut-être se seraient-ils préoccupés davantage de l’équilibre de l’univers plutôt que de leur propre divertissement. Peut-être auraient-ils prit conscience que leur arrogance allait avoir des conséquences…

Et que leur suprématie serait bientôt contestée.

Emporté par le gigantesque trou noir qui avait englouti galaxies et constellations dans sa course folle à travers l’univers, Dieu avait survécu alors même que sa futile rébellion s’était déjà effacée de la mémoire de ses bourreaux. Ces derniers, sûrs de leur puissance, étaient persuadés d’avoir fait disparaître une bonne fois pour toutes l’impudent qui les avaient défiés. Ils étaient, du reste, bien trop accaparés par leurs petits jeux mesquins pour se méfier d’une menace qu’ils pensaient inexistante.

Piégé au centre de cette tempête d’énergie, Dieu aurait pu ne jamais parvenir à en sortir, et c’était exactement ce qu’escomptaient Orphis et Lohizune. Le Créateur, cependant, en décida autrement. Cette première épreuve forgea sans aucun doute la divinité qu’il était appelé à devenir. Car malgré sa situation désespérée, Dieu utilisa cette opportunité pour apprendre et développer ses pouvoirs. Il avait bien l’intention de s’en servir pour devenir le maitre de son destin. Or, pour ce faire, il avait en lui une arme dont les fondateurs étaient complètement dépourvus…

Ainsi que je l’ai indiqué précédemment, chacune des nouvelles divinités possédait un pouvoir unique. Celui dont Dieu avait hérité était la Magie de la Création, qui lui permettait de rendre réel tout ce que son esprit imaginait. Et en cela résidait son meilleur avantage : l’imagination du Créateur était infinie, alors que celle des fondateurs était tout simplement inexistante.

De toute leur éternité, Orphis et Lohizune n’avaient jamais ne serait-ce que songé à changer l’univers qui était le leur afin qu’il leur soit plus agréable. Non pas qu’ils ne fussent pas suffisamment puissants pour le réaliser : mais ils étaient tout simplement incapables d’en concevoir l’idée. La preuve en est, chers lecteurs, que les quelques changements qu’ils ont apporté à l’univers (la création d’astres, de planètes, et même la naissance de leurs héritiers) ne sont pas le fruit d’un acte conscient et volontaire, mais les conséquences imprévues de leur affrontement. A bien y réfléchir, le combat auquel ils se sont livrés est probablement le seul acte qu’ils aient jamais vraiment décidé. C’est pourquoi ils ont forcé leur descendance à y prendre part. C’était à la fois leur destinée, leur divertissement, et leur seule préoccupation. Ce qui démontre bien que, malgré leur puissance titanesque, Orphis et Lohizune avaient un esprit très limité : bien qu’ils aient été les maitres d’un univers infini, ils étaient incapables de voir au-delà de l’autre. Ils étaient donc destinés à devenir spectateurs de la destinée plutôt que de la forger.

Emprisonné dans le trou noir créé par Orphis et Lohizune, Dieu s’attela donc à s’en libérer. Et à force de patience, de volonté et d’imagination, il finit par briser sa prison d’énergie. Utilisant sa magie pour faire plier l’univers, il réécrivit les règles de la réalité jusqu’à ce que le trou noir qui le retenait cessât d’exister. Une fois libéré, le Créateur ne perdit pas de temps à jouir de sa liberté retrouvée. Il profita aussitôt de sa solitude pour méditer sur son destin et développer son pouvoir. Il demeura ainsi pendant l’équivalent de sept jours et sept nuits. Quand il émergea de sa transe, Dieu avait acquis la pleine maîtrise de sa magie, et il savait ce qu’il devait accomplir.

Cet instant précis, chers lecteurs, est l’un des moments clés ou un seul choix, une seule décision, vont façonner l’Histoire à jamais.

Le Créateur aurait pu décider de demeurer à l’autre bout de l’univers loin d’Orphis et de Lohizune, en espérant ne pas recroiser le chemin des fondateurs. Ces derniers, occupés à leur divertissement, ne songeaient plus à explorer l’univers. Loin d’eux, il aurait tout de même pu laisser libre cours à sa magie et sa créativité pour créer des mondes entiers. Cependant il aurait toujours dû vivre avec la crainte qu’Orphis et Lohizune ne finissent par le retrouver et détruisent ce qu’il avait bâti. Dieu savait qu’en fuyant les fondateurs, il n’aurait jamais son destin en main. Le défi qu’il s’apprêtait à relever était titanesque, impossible. Mais il ne pourrait être libre autrement.

Alors il décida d’affronter les maitres de l’univers.

Dieu s’engagea donc vers le chemin du retour, en direction de là où il était né. Comment arriva-t-il à retrouver son chemin jusqu’à Orphis et Lohizune à travers un univers infini, alors qu’il avait été emprisonné pendant une éternité ? Nul ne le sait vraiment, hormis lui bien sûr. Certains pensent qu’il a tout simplement utilisé ses pouvoirs pour créer un moyen de retrouver son chemin, une sorte de boussole pointée vers les fondateurs. D’autres pensent que ces derniers étaient si puissants que leur présence laissait des traces que Dieu n’eut qu’à suivre. Pour ma part, je pense qu’il y avait un peu des deux. Cependant il est aussi possible que cette rencontre fatidique bénéficia d’un coup de pouce de Destin lui-même, car c’est bien le destin de l’univers qui se joua à ce moment-là...

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