Chapitre 5 : La Première Entente

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Cependant revenons-en, si vous le voulez bien chers lecteurs, à ce premier face à face entre anges et démons. Les immortels s’apprêtaient à s’entredéchirer, quand soudain l’apparition de Dieu fit cesser les hostilités, du moins momentanément. Le Seigneur, qui méditait alors au centre du soleil pour écouter les échos que lui renvoyait l’univers, avait soudain senti au cœur de ses réflexions divines l’hostilité manifestée par les démons et les anges prêts à se battre, et s’était immédiatement matérialisé entre les belligérants pour mettre un terme aux hostilités. Un seul regard lui suffit pour comprendre la situation : la corruption du lac et la contamination menant à la naissance des démons, la fureur des anges ainsi que l’ambition de son frère… Rien ne lui échappa. D’un geste, le Créateur fit signe à ses fidèles anges de s’arrêter, puis il se tourna vers les démons pour confronter leur chef.

Il accusa le Purificateur d’avoir trahi sa parole et abusé de la permission qu’il lui avait accordé pour corrompre sa Création. Pour ces raisons, le Seigneur exigea que son frère divin et ses sujets quittent à cet instant la Terre afin de se faire leur propre place dans l’univers. Mais Satan, galvanisé par l’euphorie de son premier succès, campa sur ses positions et refusa. Maintenant qu’il avait lui aussi des alliés et qu’il était plus expérimenté avec ses propres pouvoirs, il s’estimait capable de tenir tête à Dieu… d’autant plus qu’il avait appris durant son séjour passé à l’Eden que ce dernier avait renoncé à se battre afin de s’assurer que les fondateurs ne puissent plus jamais revenir de leur exil. Un sacrifice honorable, vénéré par les anges comme la preuve ultime de sa sagesse divine… mais dont Satan entendait bien profiter pour lui dérober sa Création.

Il argua que si les anges avaient peuplé l’Eden, ils avaient en revanche délaissé le monde terrestre, le laissant libre à coloniser… Avec l’aide de ses démons il avait été le premier à se l’approprier. En vertu de quoi lui, Satan, Roi-Démon et souverain (autoproclamé) du monde terrestre, exigea que les anges soient confinés à l’Eden et ne franchissent plus jamais la frontière de son royaume.

Bien entendu, ces exigences provoquèrent la colère des anges, qui étaient les gardiens légitimes de ce monde et ne voyaient dans ces démons qu’une simple bande de barbares envahisseurs. Mais ce n’était pas à eux que revenait la décision finale. C’était à Dieu.

Ce dernier comprenait parfaitement que c’étaient l’ambition naturelle de son frère, mais surtout sa jalousie envers Dieu qui l’avaient poussé à agir ainsi ; ne pouvant réalisant une œuvre aussi parfaite que le Créateur, il s’était résolu à corrompre le travail de ce dernier pour le lui dérober.

Dieu savait que les dommages de la corruption pouvaient être fixés, pourvu qu’il empêchât les démons de la propager. Toutefois, il demeurait un problème de taille : le Créateur avait certes le pouvoir de vaincre Satan et ses semblables… néanmoins ces derniers ne se laisseraient pas défaire sans combat, et son frère n’était plus le jeune dieu inexpérimenté de jadis. L’affronter sur Terre risquait de causer de grands dommages à la Création, or Satan savait parfaitement à quel point Dieu tenait à la planète qu’il avait façonnée… sans oublier que s’impliquer personnellement dans la bataille reviendrait à briser son serment et mettre ainsi l’univers en péril. En cela, Satan avait raison.

En revanche, là où il avait tort, c’était en supposant que par amour pour sa Création, Dieu serait prêt à l’abandonner entièrement aux mains des démons. C’eût été condamner son œuvre à la corruption totale et un destin funeste ; car Satan, régnant en maitre sur la Terre, aurait tôt fait de la mener vers la destruction. Entre l’affrontement et la capitulation, Dieu choisit donc la solution qui préserverait la paix et l’équilibre du monde fragile qu’il avait créé.

Il avertit tout d’abord Satan de ne pas prendre son pacifisme pour de la faiblesse, sous peine d’en subir les conséquences. Dieu déclara ensuite que si son frère poussait plus loin ses prétentions à s’arroger le monde terrestre, lui et son armée seraient défaits ; les démons finiraient exterminés, et leur roi condamné à un emprisonnement éternel… cela même si les dégâts infligés à la Création devaient s’avérer impossibles à réparer.

Satan, qui avait escompté sur le fait que Dieu n’irait pas jusqu’à l’affrontement pour obtenir gain de cause, oscilla entre stupeur et inquiétude devant la détermination de son frère. Il lui avait adressé un ultimatum que Dieu avait balayé ; à ses yeux, l’affrontement était désormais inévitable, et Satan craignait qu’il ne tournât pas en sa faveur. Car confronté à la détermination de Dieu ainsi qu’à la discipline de l’armée angélique, son assurance de pouvoir lutter d’égal à égal avec son frère commençait à fondre. Et pourtant, désormais, il n’avait plus le choix : reculer, eût signifié perdre la face et devoir abandonner la Terre. Satan s’y refusait ; hors de question de faire une croix sur son rêve !

Mais alors qu’il s’apprêtait à ordonner la charge de son armée, quitte à entrainer le monde dans sa chute s’il le fallait, Dieu reprit la parole :

Il annonça que même s’il était prêt à entrer en guerre pour empêcher les démons de détruire sa Création, il ne se résoudrait à utiliser la voie du sang qu’en dernier recours. C’est pourquoi avant d’envisager une telle solution, il offrit aux démon une entente censée garantir la paix et l’équilibre de la Création tout en contentant les deux camps :

Si Satan acceptait de quitter le monde terrestre, Dieu leur offrait à lui et ses démons la souveraineté du monde souterrain pour y vivre aussi longtemps qu’ils le voudraient. En échange, les démons devaient s’engager à ne jamais retourner à la Surface, sauf s’ils désiraient quitter la Terre.

Cependant, cette offre ne satisfaisait complètement aucun des deux camps : les anges les premiers trouvaient cette proposition trop généreuse vis-à-vis des démons qui n’étaient que des envahisseurs. Néanmoins la parole de Dieu était sagesse et loi incarnée à leurs yeux… Les démons, quant à eux, considéraient au contraire que l’offre était trop faible, comparée à leurs prétentions. Toutefois, comme leur créateur, ils avaient estimé trop minces leurs chances de victoire face à l’armée angélique plus disciplinée et expérimentée qu’eux… des immortels à peine nés qui ne maitrisaient pas encore leur potentiel. Une bataille à ce stade présentait donc de grandes probabilités de tourner en leur défaveur, et de ne leur rapporter rien de plus que la mort… tandis qu’avec cette proposition, ils évitaient le conflit et sécurisaient au moins un territoire.

C’est exactement le même raisonnement auquel parvint finalement Satan. Dieu avait refusé son ultimatum et ainsi mis sa crédibilité en jeu… mais il lui offrait tout de même un accord qui, bien qu’insuffisant, lui permettait de garder la tête haute. De plus, Satan avait eu l’occasion d’explorer le monde souterrain, qui lui convenait parfaitement. La Surface était vaste, magnifique et remplie de merveilles ; mais aux yeux de Satan, le monde souterrain n’avait pas grand-chose à lui envier. Cela ne voulait pas dire que le Roi-Démon entendait renoncer à ses prétentions sur le reste de la Terre… Cependant cette solution lui permettrait de construire son propre royaume et de faire des démons une nation puissante, capable de rivaliser avec les anges. Ensuite lorsque le moment serait venu, il repartirait à la conquête du monde terrestre… et dès lors plus rien ne l’arrêterait.

Satan s’apprêtait donc à accepter l’offre, lorsque l’un de ses démons, qui avait reçu de son créateur le nom de Béhémoth, s’avança soudain près de lui pour murmurer à son oreille d’exiger quelque chose de plus : l’engagement des anges de ne pas coloniser la Terre. Séduit par l’idée, le Roi-Démon répéta cette ultime exigence à Dieu. Ce dernier n’avait pas envisagé l’idée que les anges viennent un jour à peupler le monde terrestre : l’Eden leur convenait parfaitement et, contrairement aux démons, ce pacte ne les empêchait pas de parcourir la Création. Il accepta donc cette condition supplémentaire pour obtenir la paix.

C’est ainsi que deux-cents ans après le début de l’Âge d’Or, la Première Entente fut instaurée. Ce pacte divisa le monde en trois : l’Eden aux anges, le monde souterrain aux démons, et au milieu la Création, terrain « neutre » protégé par les anges, mais sans véritable maitre.

Une fois les démons dispersés, emportant avec eux toutes les créatures issues de l’œuvre de corruption de Satan, les anges s’attelèrent à purifier la Création. Ceci fait, ils décidèrent d’accentuer leur surveillance sur le monde terrestre, et en particulier l’antre qui menait au royaume des démons, afin de s’assurer que ces derniers n’en ressortiraient jamais.

De leur côté, Satan et ses démons investirent le royaume souterrain qu’ils baptisèrent les Enfers, en opposition à l’Eden de Dieu. Le peuple démoniaque commença alors à s’approprier son vaste territoire, s’organisant en une nation puissante et structurée afin de rivaliser avec les anges, sous l’impulsion du Roi-Démon. Ce dernier désirait régner en monarque absolu, sans toutefois devoir être sollicité pour résoudre tous les problèmes de ses sujets… qui avaient de plus, à l’image de leur créateur, un comportement bien moins docile que les anges. Aussi comprit-il très vite qu’il allait devoir déléguer une partie de son pouvoir à certains démons anoblis afin de s’assurer que son immense royaume fût diligemment administré. Il décida donc, comme Dieu, de choisir parmi ses sujets des lieutenants fidèles qui feraient respecter sa volonté. Satan fit ainsi son bras droit de Béhémoth, celui qui lui avait soufflé ce judicieux conseil lors des négociations avec Dieu.

Béhémoth, surnommé le Bélier Flamboyant, devint alors l’Archiduc des Enfers : un démon supérieur à tous les autres, à l’exception bien sûr de Satan lui-même. Ce dernier choisit ensuite trois autres démons parmi les plus puissants pour en faire cette fois des Ducs des Enfers : Seth le Chacal Insensible, Loki le Renard Fantôme et Kerberos le Chien de Garde. A chacun d’eux, Satan confia un territoire des Enfers à diriger : Seth reçut le Sud, Loki fut chargé de l’Est, Kerberos assuma l’Ouest, et enfin Béhémoth prit le Nord.

Ensuite Satan choisit de se construire sa propre capitale sur une grande ile émergeant au milieu de l’immense fleuve, baptisé Skaar, qui coupait les Enfers en deux. Idéalement située au centre de son nouveau royaume, la nouvelle cité du nom de Salazar était destinée à devenir ce qu’Asdoréa était pour les anges : le symbole de la puissance démoniaque depuis lequel Satan règnerait sur son royaume, puis sur son futur empire quand il se serait emparé du monde terrestre.

Ainsi donc, tandis que les démons organisaient leur société en Enfer et que les anges veillaient sur la Création depuis l’Eden, la paix sur Terre survécut à la crise entre les deux races immortelles. Grâce à cette Première Entente, fragile certes mais néanmoins durable, l’Âge d’Or perdura pendant plusieurs siècles…

Et peut-être aurait-il duré encore plusieurs millénaires (du moins en supposant que les envies de conquête du Roi-Démon n’aient jamais été concrétisées), si l’apparition d’une nouvelle espèce dans la Création, née encore une fois de la volonté de Dieu… n’avait pas remis en question cet équilibre fragile.

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