Installés dans leur laboratoire, loué à grands frais par la famille Branston, les deux jeunes gens attendaient la réaction du monde des Classes 2, les Scientifiques. Cela faisait quelques jours qu'ils avaient envoyé leur second rapport choc. Cette fois-ci, l'état catastrophique de la station spatiale Némésis était remis en cause. Il se terminait sur une bouteille à la mer quant aux actions à entreprendre pour sauver ce qui pouvait l'être.

— Tu crois qu'ils vont nous croire ? s'inquiéta Zia.

— Notre premier rapport sur l'état actuel de la Terre n'était pas remis en question. Ils l'avaient plutôt enrichi, essaya de la rassurer Logan.

— Oui mais ça pouvait faire écho à des recherches déjà effectuées sur la situation de la Terre ou des thèses déjà alarmantes émises par d'autres géologues. Là, on est dans l'inconnu. Je pense que personne n'a encore fait des recherches avancées sur l'état de Némésis. Elle n'est fonctionnelle que depuis un an.

— Sur Némésis, peut-être. Mais je suis sûr que nous pouvons compter sur tout le savoir de l'industrie spatiale.  Après tout, ils ont envoyé des centaines d'astronautes au fil des décennies dans les différentes stations ! Ces gens saisiront aisément l'importance de la taille des panneaux de protection solaire ou le nombre de poutres de renforts par sous-espace.

— Tu as raison, acquiesça Zia.

Mais cela ne l'empêcha pas de continuer à faire les cent pas dans la pièce. Logan ne put que la suivre des yeux, jusqu'à ce qu'elle ne commençât à lui donner le tournis. Il se tapa les mains sur les genoux et se leva d'un coup.

— Allez, sortons d'ici !

Zia s'interrompit et le regarda, perplexe.

— Allez, on ne sait même pas quand on aura une réponse ! Tu vas rester ici à faire les cent pas pendant des jours ?

La jeune fille hésita, ne sachant que faire un petit moment ; puis elle finit par rendre les armes.

— On va où ?

— Commençons par aller du côté de la Promenade Centrale.

Fidèle à son nom, la Promenade Centrale était une esplanade piétonne traversant les quartiers de la station consacrés au divertissement. Différentes boutiques de tout genre avaient pignon sur rue, des enseignes de restaurants et de pâtisseries attiraient le client avec leurs couleurs vives, cinémas et karaokés se faisaient concurrence. Ici, Logan semblait être le seul Classe 1 à l'horizon. Ces derniers préféraient fréquenter des marques plus prestigieuses dans des zones réservées à leur rang ou même grâce à des créateurs privés faisant le déplacement à domicile.

Au début de sa vie dans la station, Zia avait eu du mal à accepter son nouveau quotidien. Ne sachant pas les code de la vie dans une société classique, elle avait alors toujours peur de froisser quelqu'un ou de mal se comporter. Sur Terre, chez les Rats, se mettre quelqu'un à dos pouvait signer votre arrêt de mort et ce, bien souvent pour des raisons plus que triviales. Grâce à ses nouvelles fréquentations sur Némésis, la jeune fille ne souffrait plus de ses origines. Faire du lèche-vitrine n'était plus si étonnant à présent. 

Dans cet endroit, c'était plutôt Logan qui détonnait. Moins ostentatoires que ceux des autres Classes 1, ses vêtements de qualité supérieure permettaient tout de même de l'identifier facilement, attirant parfois regards étonnés ou crantifs. Se laissant porter, les deux amis déambulaient sans but précis dans les rues, faisant semblant au début mais l'insouciance de la jeunesse les rattrapant ; ils purent véritablement se décontracter.

Après un moment, ils finirent par entrer dans une petite boutique pour prendre quelque chose à manger. Même sur Némésis, les aliments organiques étaient réservés aux plus riches. Alors les cafés et autres points de petite restauration de la Promenade Centrale ne proposait que des boissons simples et des Tubes nutritifs aux goûts de synthèse. De toute façon à part les Classes 1, le reste de la population, né après l'effondrement généralisé de l'agriculture, ne connaissaient que les Tubes. Logan fit signe à Zia de commander en première.

— Un sirop grenadine et un Tube goût cookie, s'il vous plaît, dit-elle après avoir jeté un coup d’œil au menu placardé au dessus du comptoir.

— Un sirop menthe et Tube cookie pour moi, merci. Je vais payer pour nous deux.

Efficace, la serveuse déposait déjà les Tubes et les verres aux sirops chimiques sur un plateau pendant que le jeune homme sortait une carte de crédit. Il ajouta un pourboire qui ravit la serveuse.

— Tu n'étais pas obligé de payer pour moi, remarqua Zia en s'asseyant à une table. J'ai un salaire maintenant, enfin, grâce à toi mais... tu comprends.

— Ça me fait plaisir d'inviter une amie.

Il lui sourit et but une gorgée de son sirop. Il grimaça un peu, le goût menthe ne devait avoir menthe que de nom à ce stade. Avec appréhension, il ouvrit son Tube et suçota une bouchée. Terrible. Les deux amis étaient déjà venus dans ce genre d'endroit mais le palais de Logan n'arrivait pas à se faire à cette alimentation bourrée de conservateurs et agents transformés.

— Pas trop mal ce goût de cookie non ? demanda avec espièglerie la jeune fille. Ça tient la comparaison avec des vrais ?

— C'est ça, moque-toi de moi...

Elle laissa échapper un rire, qui devint peu après communicatif.

— En tout cas, merci. Tu avais raison, ça fait du bien de se changer les idées. 

— Mais oui. Tu as bien vécu des années dans l'espoir d'un jour meilleur sur Terre, encore un peu de patience ! Même si je suis d'accord avec toi, ça n'aurait jamais dû arriver... Mais on trouvera une solution ! J'en suis sûr.

Ils ne s'éternisèrent pas sur le sujet, de peur d'en dire trop et d'éveiller les soupçons et l'inquiétude chez les autres clients du café. Mais ils en étaient persuadés, une fois que les bonnes personnes seraient au courant, la situation s'améliorerait ! Il ne pouvait pas en être autrement, n'est ce pas ?