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Une étrange période de ma vie commença. Chaque matin, il était là à m’attendre. Nous n’échangions que peu de mots, mais il m’était impossible de le quitter, car il me rattrapait avec un froncement de sourcil, comme vexé de ma tentative d’abandon. Je l’accompagnais donc dans la constitution de son groupe de camarades. Il n’hésitait pas à aborder sous un prétexte quelconque un mec, à lui débiter un discours chaleureux qui ravissait chaque victime. Il le retrouvait ensuite, renforçait le lien, créant immédiatement une sympathie. Je suivais, ombre invisible et silencieuse. Pourtant, chaque fois, il prenait soin de me présenter. Après un bref regard, je retournais me terrer dans ma forteresse. Plus tard, quand j’ai entendu par hasard nous nommer « William et Nicolas », comme un ensemble inséparable, je me suis rendu compte de la permanence de notre relation. L’autre l’avait lancé naturellement, pour désigner le couple que nous formions. Cela m’avait amusé et intrigué. Pourtant, avec ce nouveau cercle, nos conversations à deux s’étaient distendues. Je ne les recherchais pas, trop heureux de conserver ma distance.

Avec le début de mon boulot, si bienvenu après cette période de disette grâce à une avance de salaire à utiliser avec parcimonie, mon emploi du temps fut bouleversé. Bien entendu, je n’avais pas soufflé mot de ce changement à William, peu fier et habitué d’avoir à aller gagner ma subsistance.

Le lendemain, son regard interrogateur, légèrement chargé de reproches, m’obligea à lui avouer mes nouvelles obligations. Nous n’étions que tous les deux. Il me prit par surprise, me prenant d’un bras pour me serrer contre lui brièvement, avant de me relâcher avec un immense sourire. Ce fut notre premier contact physique. Ce fut mon premier contact physique. Son intensité fut proportionnelle à sa rapidité. Je lisais un encouragement dans ses yeux. Il était facilement disert avec ses autres camarades, mais parcimonieux avec le taiseux que j’étais. Je ne comprendrais que plus tard l’immense attention qu’il mettait dans nos échanges.

Malgré mes occupations, mon intégration dans le groupe progressa. William veillait à m’associer, me repêchant chaque fois que je me repliais, m’obligeant gentiment à l’ouverture. J’évoluais doucement, trouvant du plaisir à cette camaraderie, découvrant l’inexistence de dangers.

Ma seule angoisse était les propositions d’aller boire un verre, de voir une toile. Mes moyens ne me permettaient pas ce genre de chose. Je n’ai jamais su si William y avait été pour quelque chose, mais à chaque règlement, je sortais une minuscule pièce et le solde était toujours bon. À qui devais-je cette solidarité discrète ? Je n’avais nulle honte de ma pauvreté. Qu’elle m’empêche une vie sociale en deçà du minimum m’aurait achevé.

Je m’ouvrais doucement aux autres. J’étais écouté et respecté comme eux tous. À la fin du premier trimestre, la bande dans son sens large comptait une bonne vingtaine de membres. Parmi eux, il y avait quelques filles qui ne m’étaient pas indifférentes, malgré leur inaccessibilité. Le noyau se composait d’Arthur, un petit mec assez mignon, Romain, un grand blond costaud, Jonathan, un timide aux cheveux longs, Loïc, un intellectuel aux yeux brillants derrière ses lunettes et Florent, qui me ressemblait un peu. Souvent, Guillaume, un ami de William, se joignait à nous.

Les autres étaient.

Mon boulot me prenait beaucoup de temps, m’obligeant à manquer des cours. William me passait ses notes, m’aidant à calfeutrer ces trous. Je ne lui avais rien demandé et je savais qu’un remerciement l’aurait blessé. J’étais obligé de faire passer ma reconnaissance par un sourire, ce qui me valait en retour un éclairement de son visage, très émouvant.

Ces premiers mois de faculté, que je redoutais, s’avéraient faciles et plaisants. La présence permanente d’un ange à mes côtés était une grâce inattendue. Mes parents ne reconnurent pas leur fils unique lors du bref voyage que je leur fis. En effet, les vacances se passaient avec mes nouveaux amis.

Je ne m’étais rendu compte de rien, hermétique aux questions d’amours et de sexe. Juste avant le printemps, William me dit que Guillaume, son colocataire, quittait l’appartement et il me proposait de le remplacer. Ma chambre en cité U me coutait cher, mais un prix dérisoire par rapport à une chambre en ville. Quand il annonça le montant de ma participation, je ne pouvais qu’accepter, me doutant bien que la répartition des charges était trafiquée.

Innocemment, je lui demandais la raison du départ de Guillaume.

— Il va vivre avec son nouveau petit ami.

Un moment de stupeur et d’incompréhension de ma part l’obligea à préciser.

— Oui, Guillaume est gay. Tu ne le savais pas ?

— Ben non ! Tu sais, moi, ces choses… Attends : tu dis qu’il va vivre avec son nouveau copain. Avant, il ne vivait pas avec son ancien copain ?

Il éclata de rire. Je compris alors mon ignorance crasse des choses de la vie.

— Ben si ! Il vivait avec son ancien petit ami !

— Tu veux dire que…

— Oui, nous vivions ensemble. Guillaume était mon compagnon. Tu sais, il reste mon ami.

— Et tu veux que je le remplace ? Je ne suis pas homosexuel.

— Mais non ! Je sais bien ! Écoute, Nicolas, je me suis pris d’affection pour toi et j’aimerais que nous partagions notre quotidien. Pas plus ! Maintenant, tu connais mes préférences. Donc si j’invite un garçon dans mon lit, chez nous, il faut que tu saches avant si cela te dérangera.

— Je ne sais pas. Je n’ai jamais réfléchi à tout ça.

— Réfléchis, alors !

L’idée d’imaginer William dans les bras d’un garçon me choquait violemment. Non pas ce qu’ils pouvaient faire, mais le savoir dans les bras d’un autre ! Guillaume était aussi mon ami, c’était moins grave et de toute façon, c’était fini.

— Nicolas, si cela te gêne, je peux éviter de le faire dans notre appartement…

Il me disait qu’il était plus important pour lui de partager sa vie avec moi que de baiser un mec. La déclaration était trop forte pour moi.

— Je vais réfléchir !

— Fais vite ! Il faut que je sache.

— Oui. Je te dis demain.

Pourquoi pas maintenant, puisque j’avais décidé immédiatement !

Cette question de l’homosexualité était toute nouvelle pour moi. Sur mon glacier, il n’y avait aucune fille, encore moins de garçons. Ma vie sexuelle se réduisait à une pratique que je qualifiais d’hygiénique. J’étais intrigué par ce phénomène, d’autant plus qu’il touchait mon ange et que ce dernier était entouré de bien jolies filles.

Durant le dernier mois avant mon déménagement, je le questionnais abondamment, sans me rendre compte que notre intimité me permettait ces interrogations.

— Tu connais beaucoup d’autres gays ?

— Pourquoi cette question ? Cela t’intrigue ? Je t’ai choqué en te disant que j’étais homo ?

— Non. Je n’ai pas d’avis sur cette question. Mais étonné, oui ! Il y a plein de filles dans notre bande et elles t’adorent !

— Comme Clara pour toi ?

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— Oui, tu ne vois rien ! Oui, les filles m’adorent, mais moi, ce sont les garçons que j’adore !

— Dans notre bande, tu as déjà couché avec certains ?

— À ton avis ?

— Tu as dit que je ne voyais rien, alors…

— Non, pas pour l’instant ! Mais il y en a un ou deux qui me plaisent particulièrement…

— Je peux savoir ?

— Certainement pas !

— Et avec Guillaume, cela fait longtemps que vous vous connaissiez ? Je veux dire…

— Sexuellement, amoureusement ?

— Oui…

— Presque deux ans. Guillaume, ce fut mon premier amour, grand amour !

— C’est avec lui que tu as commencé ?

— Non ! J’ai toujours su que les garçons étaient mon plaisir. Ma première aventure, j’avais douze ans. Avec un cousin de dix-sept ans. Tu veux que je te raconte ?

— Non ! C’est dégoutant !

— Oh, non ! Ce fut magique ! Une révélation de ce que je voulais !

— Ben, tu me le raconteras, mais plus tard.

— Et toi, sexuellement, comment tu te situes ?

Je devins cramoisi. C’était la pire chose dans ma vie.

— Nicolas, excuse-moi. Je ne voulais pas…

— Non ! C’est mon problème. Tu sais, William, je n’ai jamais eu d’envies.

— Je sais.

— Tu es si gentil avec moi, tu m’apportes tant ! Mais je suis mal dans ma tête, avec beaucoup trop de questions sur les autres. Alors, le sexe, c’est encore pire !

— Le pire, c’est que tu sois le seul mec à ne pas t’aimer !

Quelle claque ! Quelle bonté dans ses yeux !

Mes yeux se mouillaient. William était trop gentil avec moi et moi j’étais trop nul avec moi, et avec le monde entier.

— Je ne veux pas te gêner, m’imposer… Je ne crois pas que ce soit une bonne solution pour toi.

— La bonne solution pour moi, c’est que tu viennes ! Ce dont je veux être certain, c’est que ce soit aussi la bonne solution pour toi !

— Tu veux coucher avec moi ?

— Mais non ! Je t’ai dit : j’ai beaucoup d’affection pour toi. C’est de l’amitié, pas plus. Du reste, tu n’es pas beau et tu n’es pas mon genre.

— C’est vrai ? Je suis désolé !

— Désolé d’être comme tu es ou désolé de ne pas me plaire ?

— Ne joue pas avec moi, s’il te plait. C’est dur !

— Excuse-moi. Je suis parfois méchant. Écoute, Nicolas : ce n’est pas vrai ! Tu n’es pas si vilain que tu le crois. Tu as un charme que tu ignores. Et, à vrai dire, tu fais partie des garçons qui me tentent. Voilà, je te l’ai dit !

— Tu veux me sauter, alors !

— Non, non et non ! Je t’aime trop pour te forcer. Jamais je ne te ferai une avance ! Tu peux avoir confiance. Tu ne risques rien.

Voilà pourquoi j’ai accepté.

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