Latence

5 minutes de lecture

 Cela faisait une heure qu'ils regardaient le film mais il avait l'impression du centuple. Il ne voulait pas y penser, il voulait pouvoir faire comme Jack, se plonger dans le film et oublier le reste. Les pensées pourtant se bousculaient dans sa tête qui semblait vouloir se détourner de l'écran. La télévision lui brûlait les yeux comme jamais auparavant et son regard cherchait désespérément un point d'appui, un objet auquel se raccrocher. Il en avais marre de tout ça. Déjà six mois depuis l'incident et ils étaient à peine sortis de chez eux, ils étaient seuls. Il avait bien croisé une personne ou deux en vadrouillant dans la forêt, mais cela remontait à des semaines et ces rencontres s'étaient soldées par un hochement de tête. Le maigre salaire des relations humaines l'attirait désormais plus que tout au monde, il voulait un regard. Même de la pitié, du mépris ou de la colère lui aurait allé, mais pas l'ennui qu'il pouvait percevoir chez Jack. Jack détournait le regard chaque fois qu'ils avaient une discussion sérieuse et cela le ruinait de voir son meilleur ami dans un état pareil. Il se rappelait tout à coup ses cours de philosophie du lycée : le divertissement est ce qui sert à détourner le regard disait Blaise Pascal. Il voyait maintenant que c'était vrai, des mois qu'ils enchaînaient les DVD et les jeux-vidéos mais dans quel but au final ? Il pensait que c'était pour m'amuser, mais il ne prenais plus aucun plaisir à se distraire. « C'est uniquement pour passer à côté de notre vie, pensait-il. Et ce n'est pas juste, parce que l'incident devait changer ça justement, nous éloigner de notre vie pathétique d'avant. » Il écumait intérieurement et chacune de ses idées le rendaient plus fou, il était proche de se transformer en bête sauvage, à moins qu'il ne devienne un mouton. « Nous somme les anciens présidents ! » gueulait la télévision pendant que les deux amis s’acharnaient sur leurs glaces.

 Il regarda Jack qui faisait évidemment mine de ne pas le voir. Jack détestait sa vie dans l'ancien monde et il détestait encore plus sa nouvelle existence. Ça ne devait pas se passer comme ça. Il aurait dû être vraiment optimiste quand à cette catastrophe, d'abord parce que c'est dans sa nature, ensuite parce que cela lui aurait permis de mener une nouvelle vie, plus intéressante que la première. Alors qu'est-ce qui a tout fait rater ? La copine de Jack, dévorée dès le premier soir. C'est probablement ce qui leur avait plombé le moral. « A l'origine nous voulions partir d'ici et laisser notre trace sur ce Novus Mundus mais le départ a été retardé le temps que Jack fasse son deuil. Au final la perte de Jenny l'a tellement miné que nous n'avons jamais vraiment quitté la maison. » C'est ce que Peter pensait et il avait raison. Il voyait que le feu de son ami produisait maintenant une fumée blanche qui au lieu de le réchauffer l'asphyxiait. Il savait quelle était la cause, il savait quel était le remède mais il n'osait pas. Il avait trop peur de son nouvel ami qui avait assassiné l'ancien, il avait l'impression de s'adresser à la haine, à la rancœur, aux cendres et au cadavre de son ami Jack.

 Il se rappela avoir essayé, tenté d'abandonner Jack. Il avait préparé ses affaires, pris une arme et fait son sac et il commençait à marcher vers l'Ouest, les lueurs de l'Aube lui caressant la nuque, la liberté dans les cheveux. Mais voilà que quelque chose l'arrête, ce n'était pas de l'amour-propre, ce n'était pas de l'altruisme qui l'aurait poussé à vouloir aidé son ami, c'était l'angoisse. Il y avait tant à faire, tant d'endroits où aller, comment pourrait-il choisir sans Jack ? Y prendrait-il du plaisir ? Est-ce qu'il ne devriendrait pas fou, seul dans la nuit ? Il revint en courant chez lui, terrorisé par l'étendue du possible. Est-ce que son ami savait la tristesse de son âme ? Est-ce qu'il percevait la détresse de son regard ? Il avait tout fait pour. Mais c'en était assez. Assez de ces conversations silencieuses qui ne servaient qu'à camoufler leur imagination, assez de de ces films répétés, bandes hurlantes gravant leurs mémoires. Il voulait partir. « Jack. » Il ne l'avait pas appelé par son prénom depuis un mois. Le timbre de sa propre voix lui sembla un son étrange, lointain et iréel. En réalité il n'avait pas dit un mot depuis des jours. L'époque était lointaine où il se parlait à lui-même quand il se sentait seul. Il ne se sentait plus seul désormais, il l'était. « Jack nous devons partir. » La télévision enchaînait les coups de feu mais devenait plus lointaine. Jack se retourna vers lui. Son regard était celui d'un fou, hérissé de poils et les yeux injectés de sang, pendant un instant Peter pris peur mais n'en montra rien.

« -Cela fait trop longtemps que nous sommes ici, il est temps de montrer au monde de quoi nous sommes capables. Je partirais au crépuscule, à toi de décider si tu me suis ou si tu restes ici. Mais si tu restes tu vas devenir fou.

-Je sais.

-Tu sais ?

-Je vais venir avec toi, j'attends depuis si longtemps que tu me le demandes. Je t'ai vu essayé de t'en aller mais tu n'a jamais osé, il est temps maintenant. »

Et voilà, en trois phrases ilressuscitait un ami perdu et en trois heures ils débutaient l'aventure de leur vie. Il est si simple de n'être plus seul. Il redevenait Peter l'Optimiste.
Il avait fait son sac comme lorsqu'il partait en voyage dans son ancienne vie. Des dizaines de semaines qu'il n'avait pas touché à ce vieux sac beige, sac de randonnée léger et pratique. Il sortait de 8 mois de torpeur et il retrouva ce sentiment que l'on a au sortir des maladies. Cette extraordinaire énergie, le dynamisme de ses muscles et la vigueur de son corps, même sa peau semblait indestructible. Il sentait la vie revenir à lui peu à peu, son épiderme était flamboyant et son être tout entier transpirait la joie et la force. Pendant ces 8 mois, tout le sport qu'il avait pratiqué se résumait à couper du bois pour le feu et à se balader pour chercher de la nourriture chez les voisins ou dans la forêt. Il cueillait les châtaignes à l'Automne et les mûres à l’Été comme si rien n'avait changé et pourtant... Tout avait changé dehors, il le savait bien. Même si peu des « gourmands » se trouvaient dans les alentours, il se doutait que cela serait différent sitôt qu'ils se mettraient en route. Le danger rôderait partout, traînant ses jambes durement, de façon saccadée comme un vieillard fatigué. Mais il s'en moquait, « plutôt que d'avoir peur de la mort, l'homme devrait avoir peur de ne jamais commencé à vivre » pensa-t-il en citant Marc Aurèle. « Où irons-nous ? » questionna Jack. En réalité ils savaient tous deux où ils iraient. Vers l'Ouest ! Peter en avait toujours rêvé, le velux de sa chambre lui diffusant les bruits de la route et les arbres de son jardin lui permettant d'apercevoir où se couche chaque soir le Soleil. Ils marcheraient vers le crépuscule de ses rêves. Peter n'était pas le genre d'homme à partir à l'aube, c'était un fils du Soleil qui ne se retrouvait que dans la Nuit. Il se retourna fièrement, bâton à la main, une hache pendant à son sac côtoyant une bouteille d'eau : « Vers L'Ouest ! ». Il avait toujours rêvé de dire ça et dans sa fulgurante émotion, il contamina Jack d'un sourire. Il contracta ses lèvres à son tour et pensa, rien n'est perdu à jamais.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire les 5 Mousquetaires ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0