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Campé devant son miroir flatteur, l’enchanteur Euphorbion lissait sa moustache enduite d’onguents parfumés.
– Trop sévère, ce gris-dolmen n’est pas assez vivifiant. Donne-moi la cape à paillettes, dit-il en claquant des doigts en direction de Shaytan, son Fomoïr personnel.
– Permettez-moi d’émettre une objection, nasilla la créature à tête de chien.
– Que nenni.
Shaytan ignora l’injonction et poursuivit :
– Ce gris terne met en valeur le teint couperosé de vos bajoues.
Euphorbion fit une grimace et agita la main comme s’il tentait de chasser une mouche, puis il reporta son attention sur la pelisse en écailles de basilic qu’il avait enfilée.
– Ça me boudine… Et puis ça sent un peu fort, quand-même. Mais ça impressionne. Vertulian passera pour un plouc en comparaison. Et je ne parle pas de cette vieille bique de Phalangstène : ce magico-rigide n’a pas dû changer de toge depuis sa première excommunication.
Satisfait, il s’apprêtait à se servir une rasade d’hydromel quand la clochette de la porte retentit.
– Ah ! Voilà l’émissaire du Conseil ! J’ai failli perdre patien...
La porte révéla la silhouette gracile d’une jeune fille, la chevelure enflammée par les reflets du soleil. Le mage ne put retenir un grognement appréciateur, bouche entrouverte, l’œil glissant de haut en bas puis de bas en haut sur les courbes de la demoiselle. Loin de s’en offusquer, la belle répondit par un sourire mutin. Une tunique légère soulignait les vallonnements de sa poitrine. La maille délicate, toute en semi-transparence, laissait deviner une peau d’albâtre au grain marbré. Juste au-dessus de la hanche, le tissu s’ouvrait pour découvrir une cuisse fuselée qui lançait un appel muet à l’appétit du sybarite.
– Vous êtes le mage Euphorbion ?
L’enchanteur avala sa salive, résista à la tentation de lui jeter un charme de langueur lascive, puis inclina la tête avec un regard enjôleur.
– Euphorbion le Sublime, objet des soupirs inavouables des pucelles, insufflateur d’extase, maître de toute agape et architecte des quarante prodromes orgasmiques ! Si vous voulez vous donner la peine de me précéder…
– Ce ne sera pas utile, Maître Euphorbion, car voici votre convocation devant le Grand Conseil des mages d’Armorique. Votre candidature au titre d’archimage a été retenue pour l’ultime phase de sélection.
Le mage se contenta d’un sourire satisfait. Il lui semblait naturel que ses talents soient enfin récompensés, au point qu’il trouvait même incongru qu’on lui imposât la dernière étape de sélection. Il s’était néanmoins préparé avec soin pour son grand oral devant les douze sages.
– Ne traînons pas davantage mademoiselle, susurra-t-il. Nous pourrions peut-être nous arrêter à l’ombre de la fontaine de Barenton, c’est un lieu idéal pour échanger des expériences éro… ésotériques !
Il ferma la porte de sa demeure et activa son brouillard urticant de protection, puis s’éloigna d’un pas jovial, le regard rivé sur les ondulations des hanches de l’émissaire.
Quelques minutes après le départ de son maître, Shaytan entendit à nouveau la cloche sonner. Intrigué, il ouvrit pour découvrir un vieillard secoué de spasmes et couvert de plaques d’urticaire.
– Bonjour mon brave, fit l’étranger, je suis l’émissaire du… putain de démangeaisons… Concile Extraordinaire, et j’apporte la convocation… c’est quoi ce bordel ? lâcha-t-il en jetant ses savates pour se gratter frénétiquement les orteils.
Shaytan pressentit que le grand oral ne se déroulerait peut-être pas aussi bien qu’Euphorbion l’avait imaginé, si jamais il parvenait effectivement au Concile.
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