Chapitre 5

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Le café était exactement comme dans mes souvenirs. La même lumière tamisée, les mêmes tables en bois un peu trop serrées, l’odeur du café et des viennoiseries flottant dans l’air. Un endroit banal, pourtant chargé de tout ce qu’on avait essayé d’oublier.

Et ils étaient là.

Mickey. Eloïse. Antonin. Camille. Sofia. Léo.

Six visages figés entre la nostalgie et l’inconfort. Tous avaient changé. Plus adultes, plus fatigués. Certains souriaient timidement, d’autres détournaient le regard.

Quatre ans.

Quatre ans d’absence.

Kentin, assis à côté de moi, était le seul à ne pas appartenir à ce passé. Il ne savait pas ce que nous avions vécu, ce que nous avions perdu. Mais il était là. Parce qu’il me connaissait. Parce qu’il savait que quelque chose ne tournait pas rond.

Mickey sortit une enveloppe de sa poche et la posa sur la table.

Un silence pesant s’abattit sur nous.

C’est écrit de sa main.

Son ton était bas, presque hésitant.

Personne ne bougeait.

Puis, lentement, il ouvrit l’enveloppe et en sortit la feuille.

Il inspira profondément avant de lire.

"Je ne sais pas depuis combien de temps je suis ici."

"Tout devient flou. J’essaie de compter les jours, mais parfois ils disparaissent. Peut-être qu’ils n’ont jamais existé. Peut-être que c’est moi qui disparais."

"Je pense à vous."

"À tout ce qu’on a vécu avant."

"Je sais que vous êtes partis. Que vous avez essayé d’oublier."

"Mais moi, je n’ai pas pu."

"Je suis resté."

"Je vous ai appelés. Hurlé vos prénoms. Attendu. Espéré que quelqu’un se souvienne. Que quelqu’un revienne."

"Mais vous avez oublié."

"C’est ça, le pire. Ce n’est pas l’abandon. Ce n’est pas la peur. C’est l’oubli."

"C’est sentir que votre absence est un gouffre qui s’agrandit, qui grignote chaque morceau de moi, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien."

"Je suis devenu un fantôme avant même d’être mort."

"Si vous lisez ceci, c’est que quelque chose a fissuré votre mémoire. Que le mensonge s’effrite."

"Alors s’il vous reste un semblant de souvenir, une once de courage… revenez."

"Je suis toujours là."

Un silence glacial tomba sur la table.

J’avais le souffle court.

La gorge nouée.

Cette lettre ne sonnait pas comme un appel à l’aide classique.

Elle avait quelque chose d’irréel. De troublant.

Comme si Jordan n’était pas simplement perdu, mais… piégé.

Je jetai un regard autour de la table.

Tous avaient la même réaction. Le même choc gravé sur leurs visages.

Antonin fut le premier à bouger.

Il se leva brutalement, repoussant sa chaise avec un grincement strident.

Non. Hors de question.

Sa voix était sèche, tranchante.

Eloïse leva aussitôt les yeux vers lui, mais il ne lui laissa pas le temps de parler.

C’est quoi, ce putain de délire ? On reçoit une lettre sortie de nulle part et on est censés croire qu’il est vivant ?!

C’est son écriture, Antonin.

Mickey avait murmuré cette phrase, mais elle frappa comme un coup de poing.

Antonin secoua la tête, exaspéré.

Ça veut rien dire ! Ça peut être une vieille lettre qu’on n’a jamais reçue, ou pire, quelqu’un qui joue avec nous !

Eloïse se leva à son tour, posant une main sur son bras.

Tu sais très bien que ce n’est pas une blague.

Il rit jaune.

Tu veux dire quoi ? Que Jordan nous écrit depuis l’au-delà ?!

Elle ne répondit pas.

Personne ne répondit.

Parce qu’on n’avait pas de réponse.

Antonin soupira, se passa une main sur le visage, puis secoua la tête.

Moi, j’ai tourné la page. J’ai mis quatre ans à enterrer cette histoire. Je vais pas recommencer à chercher un mort.

Il n’est pas mort.

C’était Sofia qui venait de parler.

D’une voix basse, presque tremblante.

Antonin planta ses yeux dans les siens, un mélange de colère et de détresse dans le regard.

Puis il attrapa sa veste et fit demi-tour.

Faites ce que vous voulez. Moi, je me casse.

Eloïse ne réfléchit pas.

Elle s’élança après lui, attrapant son poignet juste avant qu’il ne quitte le café.

Attends !

Lâche-moi.

Tu peux pas partir comme ça.

Il s’arrêta, mais ne se retourna pas.

Je veux juste oublier.

Oublier quoi ?

Il ne répondit pas.

Parce que la vérité, c’était que nous avions déjà oublié.

Tous.

Un silence s’installa entre eux.

Puis, lentement, il ferma les yeux.

Quand il se retourna enfin, son visage n’était plus rempli de colère, mais d’abandon.

Et si on se souvient de rien, ça sert à quoi de chercher ?

Eloïse inspira doucement.

Parce qu’on n’a pas oublié. Pas vraiment.

Il resta immobile un instant.

Puis, sans un mot, il revint à table.

Mickey nous observa un à un.

On fait quoi ?

Personne ne parlait.

Puis Camille brisa le silence.

On commence par la police.

Des hochements de tête.

C’était logique.

L’enquête sur la disparition de Jordan avait été close faute de preuves.

Peut-être qu’ils avaient raté un élément.

  • Peut-être qu’avec cette lettre, on pourrait rouvrir le dossier.

Et si ça mène à rien ? demanda Antonin.

Un silence.

Puis, Mickey prononça les mots que tout le monde redoutait.

Alors il faudra qu’on y retourne.

Les cœurs s’arrêtèrent.

Retourner là-bas.

Retourner à l’endroit où tout s’était brisé.

J’avais l’impression qu’un gouffre s’ouvrait sous mes pieds.

Mais une voix résonna dans ma tête.

"Je suis toujours là."

Et au fond de moi, je savais.

Nous n’avions jamais eu le choix.

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