Chapitre 6

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L’air était plus lourd que jamais.

Nous étions toujours attablés, mais le café ne réchauffait plus nos mains. La lettre de Jordan, ses mots torturés, continuaient de flotter dans nos esprits comme un poison lent.

Nous avions oublié.

Nous l’avions abandonné.

Et maintenant, nous étions tous là, réunis, à regarder cette foutue enveloppe comme si elle détenait un pouvoir sur nous.

Mickey brisa le silence en se raclant la gorge.

On va au commissariat.

Personne ne discuta.

C’était la seule option.

Mais alors que nous quittions le café et marchions en silence dans les rues grises de la ville, une question s’insinua dans mon esprit.

Et si la police n’avait jamais rien su ?

Le bâtiment se dressait devant nous, aussi froid et impersonnel que dans mes souvenirs.

Le panneau écaillé, "Poste de Police - Division Centrale", semblait nous accueillir avec une indifférence glaciale.

Rien n’avait changé.

Mais moi, si.

En entrant dans ce lieu, une vague de souvenirs désagréables me submergea.

Je revis la salle d’interrogatoire, la lumière crue qui me brûlait les yeux, le silence oppressant avant chaque question.

Pourquoi étiez-vous là-bas ?

Avez-vous vu Jordan pour la dernière fois ce soir-là ?

Y a-t-il quelque chose que vous ne nous dites pas ?

Les questions, toujours les mêmes.

Et à chaque fois, le même trou noir.

Comme si mon cerveau refusait de recoller les morceaux.

Je secouai discrètement la tête et me forçai à suivre le groupe.

Mickey s’avança vers le comptoir.

Derrière, un policier tapait mollement sur un clavier, l’air blasé.

Mickey força un sourire.

Salut, Thomas.

Le flic releva la tête et haussa un sourcil avant que son expression ne s’adoucisse.

Mickey ? Bordel, ça fait longtemps.

Ouais.

Thomas balaya rapidement le reste du groupe du regard.

Je vis une lueur d’incompréhension passer dans ses yeux. Il se doutait que nous n’étions pas là pour discuter du bon vieux temps.

Je suppose que tu veux quelque chose ?

Mickey hocha la tête.

On aimerait consulter un dossier d’enquête.

Thomas croisa les bras.

T’es en formation de police, hein ?

Ouais.

Merde…

Il jeta un coup d’œil autour de lui, puis baissa la voix.

Si je t’aide, je prends un risque.

Je serai rapide.

Un soupir.

Thomas hésita encore quelques secondes, puis fit signe de le suivre.

Dépêchez-vous.

Nous nous échangeâmes des regards avant de le suivre dans un couloir étroit.

La salle des archives était minuscule et sentait le papier jauni.

Le néon grésillait faiblement, projetant une lumière maladive sur les étagères métalliques couvertes de vieux dossiers.

Thomas referma la porte derrière nous.

Faites vite.

Mickey n’attendit pas plus longtemps et se mit à fouiller.

L’air était chargé d’une tension sourde.

Personne ne parlait.

Personne ne bougeait.

Puis, enfin, Mickey tira un dossier poussiéreux et souffla dessus.

C’est là.

Il ouvrit la chemise cartonnée et parcourut les premières pages.

Son expression changea aussitôt.

Putain…

Je me penchai pour voir.

Et mon cœur rata un battement.

"Enquête suspendue – aucune preuve tangible retrouvée."

"Aucune trace de l’individu. Pas de corps. Pas d’indices exploitables."

"Suspicion de disparition volontaire non confirmée."

Pas classée.

Suspendue.

Nous nous étions toujours dit que l’enquête avait été abandonnée, que la police avait arrêté de chercher.

Mais ce n’était pas vrai.

Ils avaient continué.

Jusqu’à ce qu’ils n’aient plus rien à chercher.

Sofia murmura, d’une voix tremblante :

Pourquoi ils nous ont jamais dit ça ?

Parce qu’ils n’avaient rien à dire. répondit Camille à voix basse. Parce qu’il a disparu sans laisser la moindre trace.

C’était pire que s’il était mort.

C’était comme s’il n’avait jamais existé.

J’avais l’estomac retourné.

Puis, sans prévenir…

Un souvenir me frappa.

Nous étions tous là.

Dans ce couloir.

Je pouvais sentir l’humidité imprégner mes vêtements, s’infiltrer dans mes os.

La lumière tremblotante au plafond projetait des ombres trop longues, trop déformées pour être réelles.

L’air était si épais, si lourd que respirer était devenu un effort.

Nous avancions lentement, nos pas résonnant sur le sol froid.

Puis, un bruit.

Un grattement, quelque part devant nous.

Long. Lent.

Comme des ongles sur du béton.

Quelque chose était là.

Quelque chose nous regardait.

Jordan ?

La voix avait été basse. Presque un murmure.

Je ne savais pas qui l’avait prononcée.

Mais la réponse fut immédiate.

Un cri.

Un hurlement déchirant.

Puis, l’obscurité nous a tous engloutis.

Je reculai brutalement, le souffle court.

Autour de moi, les autres aussi.

Sofia tremblait.

Léo était pâle comme un cadavre.

Camille s’agrippait à la table, le regard hanté.

Nous nous étions souvenus ensemble.

Nous avions tous vu la même chose.

Antonin fit un pas en arrière.

Je veux plus continuer.

Sa voix était trop calme.

Trop tranchante.

Eloïse se tourna vers lui.

Antonin…

Non.

Il secoua la tête, reculant encore d’un pas.

Ça suffit. Je peux pas.

Antonin, écoute-moi…

Il leva les mains.

Je suis désolé, mais j’en peux plus. Je veux pas savoir. Je veux pas…

Sa respiration était saccadée.

Il regarda autour de lui, comme s’il cherchait une sortie.

On se souvient tous ! Tu crois vraiment que c’est une bonne chose ?!

Eloïse posa doucement une main sur son bras.

Peut-être pas. Mais on est ensemble.

Il ferma les yeux.

Son corps était tendu, prêt à fuir.

Puis, lentement, il rouvrit les paupières.

Et quelque chose céda en lui.

D’accord… mais promets-moi que si ça devient trop dangereux, on arrête.

Elle le regarda droit dans les yeux.

Je te le promets.

Nous avions réveillé quelque chose.

Et maintenant, nous ne pouvions plus l’ignorer.

Nous avions oublié.

Mais pas complètement.

Et une chose était sûre.

Jordan était toujours là. Quelque part.

Et il nous attendait.

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