Chapitre 7

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La salle des archives était silencieuse, si ce n’est le bruit des pages que l’on tournait lentement, presque religieusement.

Le dossier de Jordan était posé devant nous, son épaisseur dérisoire comparée aux années de mystère qui l’entouraient.

Nous cherchions des preuves.

Nous ne trouvions que du vide.

Des photos d’anciens lieux d’enquête, des rapports d’agents de terrain notant l’absence d’indices, des relevés signalant que Jordan n’avait jamais réapparu dans aucun hôpital, aucune prison, aucun registre.

Comme si, après cette nuit, il s’était volatilisé.

Sofia brisa le silence en feuilletant rapidement quelques pages.

C’est impossible qu’ils n’aient jamais rien trouvé.

Sa voix tremblait, oscillant entre la colère et l’incrédulité.

Léo hocha lentement la tête.

Ça fait quatre ans, et il n’y a rien de plus ? Rien d’autre que ‘disparu sans laisser de traces’ ?

Mickey parcourait les documents avec une précision quasi-maniaque.

Ils ont cherché pendant presque un an, mais à part nos témoignages… ils n’avaient rien.

Camille fronça les sourcils.

Même pas un vêtement, un téléphone, une empreinte ?

Mickey secoua la tête.

Rien.

Je sentais l’angoisse monter en moi, tapie dans mon estomac comme une bête rampante.

Nous avions tous oublié cette nuit, et voilà que la police, avec ses moyens, n’avait rien trouvé non plus.

Jordan n’avait pas juste disparu.

Il avait été effacé.

Je jetai un coup d’œil à Antonin, qui s’appuyait contre l’étagère la plus proche, le regard braqué sur le sol.

Il était ailleurs.

Effrayé.

Et je le comprenais.

Puis, Mickey lâcha la bombe.

On doit retourner sur les lieux.

Antonin releva immédiatement la tête, une lueur furieuse dans le regard.

Attends… quoi ?

On n’a pas le choix.

C’est une putain de blague ?

Il se redressa, fixant Mickey avec incrédulité.

Non. C’est pas à nous de faire ça. C’est au boulot de la police, pas à un groupe d’amateurs hantés par leur passé !

Personne ne parla.

Mais personne ne lui donna raison, non plus.

Antonin balaya la pièce du regard.

Dites-moi que vous êtes d’accord avec moi !

Un silence gêné s’installa.

Il secoua la tête et souffla.

Vous êtes fous…

Eloïse posa une main sur son bras.

On ne peut pas juste s’arrêter là.

Il serra la mâchoire, les nerfs à vif.

Moi, je peux.

Elle le fixa avec intensité.

Tu crois que tu peux vivre avec ça ? Maintenant qu’on sait qu’il a essayé de nous contacter ?

Antonin détourna les yeux.

Il savait qu’elle avait raison.

Mais ça ne voulait pas dire qu’il l’acceptait.

Finalement, il soupira et passa une main dans ses cheveux.

Putain… d’accord. Mais si ça tourne mal, on se barre.

Mickey hocha la tête.

Je suis d’accord.

Nous sortîmes de la salle des archives et retrouvâmes l’air du commissariat.

Le poids de ce que nous venions de lire pesait encore sur nos épaules, mais quelque chose avait changé.

Nous avions un cap.

Mickey nous fit signe de le suivre à l’extérieur.

J’ai quelque chose à vous montrer.

Nous nous installâmes dans un café en face du commissariat, loin des oreilles indiscrètes.

Mickey sortit son téléphone et tapa quelques mots sur un site internet avant de le faire pivoter vers nous.

Un forum.

Léger silence.

C’est quoi, ça ? demanda Sofia en fronçant les sourcils.

Un forum que j’ai ouvert y a trois ans.

Je sentis mon estomac se nouer.

Mickey continua :

Je voulais voir si d’autres avaient vécu la même chose.

Léo hocha la tête, intrigué.

Et ?

Mickey scrola lentement la page.

Il y a… des témoignages.

Nous nous penchâmes en avant pour mieux lire.

Des disparitions.

Partout.

Des gens, partis sans laisser de traces, dans des conditions étrangement similaires.

Certaines descriptions évoquaient le même type de lieu.

Des endroits anciens.

Des couloirs sombres.

Des cris.

Un frisson me parcourut l’échine.

Nous parcourûmes plusieurs pages, lisant chaque message avec avidité, cherchant une correspondance.

Puis, nous tombâmes sur des brouillons.

Beaucoup.

Plus d’une centaine.

Les brouillons de Mickey.

Des théories.

Des suppositions.

Des analyses des témoignages.

Des récits de Jordan.

Il n’avait jamais arrêté de chercher.

Moi, oui.

Je sentis un poids écrasant peser sur mes épaules.

J’avais tourné la page.

Mickey, non.

Un goût amer me remplit la bouche.

Je me sentais honteux.

Je levai les yeux vers lui, mais il ne me regardait pas.

Il fixait l’écran, concentré.

On va là-bas ce soir.

Nous étions devant l’endroit où tout avait commencé.

Le manoir.

Imposant, noirci par le temps, recouvert de végétation qui semblait l’étouffer lentement.

Les fenêtres béantes ressemblaient à des orbites vides, des trous noirs qui nous observaient en silence.

Rien n’avait changé.

Rien… sauf nous.

Nous étions restés là, figés devant l’entrée, incapables de bouger.

Nous savions ce qu’il y avait à l’intérieur.

Nous savions ce que nous avions oublié.

Et pourtant…

Nous allions entrer.

Mickey posa son sac sur le sol et l’ouvrit.

J’ai ramené des affaires.

Il en sortit des lampes torches, des snacks, de l’eau, un kit de secours, des jumelles, une loupe…

Camille haussa un sourcil.

Les jumelles ? Sérieusement ?

On sait jamais. répondit-il en haussant les épaules.

Un faible rire nerveux nous traversa.

Puis, enfin…

Mickey releva la tête.

Son regard passa sur chacun d’entre nous.

On y va ?

Personne ne parla.

Personne ne recula.

Nous savions que nous devions le faire.

Alors, lentement…

Nous poussâmes la porte.

L’obscurité nous avala.

Le grincement de la porte résonna comme un hurlement étouffé dans l'obscurité.

Nous étions à l'entrée du manoir, les pieds collés au seuil, comme si une force invisible nous empêchait d'aller plus loin. L'air était plus lourd à l'intérieur, chargé d'humidité et de poussière. Une odeur de bois moisi et de pierre froide s'infiltra dans mes narines, me ramenant brutalement à ce soir-là.

Mickey alluma sa lampe torche, et un faisceau vacillant déchira l'ombre. Les autres suivirent son geste, et peu à peu, la lumière révéla l'intérieur délabré. Le hall s'étendait devant nous, vaste et silencieux. Les murs étaient recouverts de papier peint déchiré, exposant la structure même du bâtiment. Au centre, un escalier en colimaçon s'enfonçait dans le noir, comme une gorge béante prête à nous avaler.

Un courant d'air glacial passa entre nous, soulevant des particules de poussière qui dansèrent dans les rayons de nos lampes.

On s’avance ? murmura Camille, la voix à peine audible.

Mickey hocha la tête et fit un premier pas. Le bois grinça sous son poids, et ce simple son nous fit tous sursauter.

Nous avançâmes en file indienne, progressant lentement dans la pénombre. L’air était pesant, comme s’il portait encore l’empreinte de quelque chose de vieux, de mort, mais jamais parti.

Puis, soudain, le souvenir nous frappa tous en même temps.

Nous étions là.

Il y a quatre ans.

Les rires résonnaient encore dans l’entrée du manoir, se mêlant aux échos de notre excitation. Jordan marchait en tête, la caméra à la main, filmant nos premiers pas dans ce qui devait être notre exploration la plus terrifiante.

Regardez-moi ce décor ! On dirait un film d’horreur !

Sa voix était enjouée, vibrante.

À cette époque, nous n’avions pas peur.

Nous plaisantions, nous poussions des exclamations exagérées à chaque grincement du plancher.

Nous étions naïfs.

Nous ne savions pas encore ce qui nous attendait.

Nous avancions vers l’escalier, les faisceaux de nos lampes caressant les murs abîmés.

Puis, il y eut ce bruit.

Un grattement.

Long.

Étrange.

Il venait d’en bas.

Un silence nous envahit.

Un silence oppressant.

Puis, Jordan s’était retourné vers nous, un sourire au coin des lèvres.

On descend ?

Ce fut la dernière chose que nous entendîmes avant que tout ne bascule.

Je haletai brusquement.

L’air du manoir était revenu en moi comme un choc électrique.

Je n’étais pas le seul.

Camille tremblait, la main serrée sur sa lampe torche.

Sofia avait les larmes aux yeux.

Mickey serrait les dents, les poings crispés comme s’il venait d’encaisser un coup.

Nous nous regardâmes, tous marqués par la même chose.

Nous venions de nous souvenir.

Et nous savions ce qui allait suivre.

Nous allions descendre.

Et cette fois…

Nous n’aurions plus d’excuse pour oublier.

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