Chapitre 9
Le silence qui suivit la découverte de nos sacs fut étouffant.
Seuls les faisceaux de nos lampes dansaient sur les murs de pierre, projetant des ombres mouvantes, distordues. Personne n’osait parler.
Nous étions là, figés devant ces vestiges d’un passé que nous pensions révolu.
Nos sacs. Nos affaires. Nos chaussures.
Mais rien de Jordan.
Comme si, depuis le début, il n’avait jamais existé.
Je sentais mon souffle s’accélérer, mes tempes vibrer sous la pression d’une pensée insupportable.
Pourquoi avions-nous laissé ces sacs ici ?
Pourquoi ne nous en souvenions-nous pas ?
Et surtout…
Pourquoi nous étions-nous souvenus de lui comme s’il était monté avec nous, alors que tout prouvait le contraire ?
— C’est pas possible… murmura Sofia en s’accroupissant devant son sac.
Elle ouvrit la fermeture éclair d’un geste tremblant et en sortit une lampe torche couverte de poussière.
Elle appuya dessus.
Rien.
Pile morte.
Elle la fit rouler entre ses doigts, puis releva la tête, son regard hanté par une certitude effrayante.
— Ça fait quatre ans qu’ils sont là.
Léo fit quelques pas en arrière, ses yeux balayant nerveusement la pièce.
— Pourquoi ?
Son ton était étrangement fragile, comme s’il ne voulait pas entendre la réponse.
Mickey prit une grande inspiration et referma son propre sac d’un coup sec.
— Parce qu’on est partis en urgence.
Un frisson me parcourut.
Cette réponse, elle était logique.
Mais ce qui nous manquait…
C’était la raison.
L’espace autour de nous paraissait se refermer, comme si le manoir nous pressait lentement, nous forçant à nous souvenir.
Camille ouvrit la bouche, puis la referma.
Elle recommença, hésitante.
— Vous croyez que…
Elle ne termina pas sa phrase.
Mais nous savions tous ce qu’elle voulait dire.
Que nous étions partis en courant.
Que quelque chose nous avait fait fuir.
Que Jordan était resté derrière.
Un silence tendu s’installa.
Puis Mickey se redressa brusquement.
— On doit fouiller cette pièce.
Léo haussa un sourcil, encore sous le choc.
— Fouiller ? Et chercher quoi ?
— N’importe quoi. Quelque chose qui explique pourquoi on est partis.
Personne ne protesta.
Même Antonin, qui aurait été le premier à vouloir quitter cet endroit, se mit à bouger machinalement, scrutant les coins de la pièce avec une méfiance palpable.
Je me tournai vers le carnet.
Il n’était pas là par hasard.
Quelqu’un — ou quelque chose — l’avait laissé à notre attention.
Je me baissai lentement et le pris entre mes mains.
Le cuir était sec, usé, mais le papier à l’intérieur semblait encore intact, comme si le temps n’avait pas eu d’effet sur lui.
Je l’ouvris, mes doigts glissant sur les pages griffonnées.
Des mots hachés. Des phrases répétées.
Et cette question, encore et encore :
"Pourquoi êtes-vous partis ?"
Je sentis un poids s’écraser sur mon estomac.
Nous avions abandonné Jordan ici.
Mais comment pouvions-nous l’avoir oublié ?
Sofia poussa un soupir tremblant.
— Y a rien ici… juste nos sacs et ce foutu carnet.
Camille passa une main sur les murs, scrutant les fissures dans la pierre.
— Non. Il y a quelque chose.
Mickey leva les yeux vers elle.
— Quoi ?
Elle s’éloigna légèrement, faisant courir sa lampe sur une section du mur.
— Regardez.
Nous nous tournâmes tous vers ce qu’elle montrait.
De fines marques étaient gravées à même la pierre, presque effacées par le temps.
Elles formaient des lignes, des symboles, des inscriptions, mais leur langage nous était inconnu.
Je passai une main dessus, sentant les rainures sous mes doigts.
— C’est pas du hasard. murmurai-je.
Antonin serra les dents.
— On fait quoi maintenant ?
Mickey plissa les yeux, observant les inscriptions.
— On les photographie.
Léo soupira, croisant les bras.
— Et après ?
Mickey se tourna vers nous, son regard plus déterminé que jamais.
— On cherche. On compare. On essaie de comprendre.
Un silence suivit.
Personne ne voulait poser la vraie question.
Personne ne voulait dire à voix haute ce que nous redoutions tous.
Eloïse le fit.
— Et si ce n’est pas une langue humaine ?
Léo explosa soudain.
— Écoutez, vous voulez qu’on croit quoi ? Qu’on est dans un putain de film d’horreur ?!
Sa voix tremblait sous la colère… ou sous la peur.
Il passa une main dans ses cheveux, son souffle court.
— Je veux bien croire qu’on ait oublié des choses. Mais ça ? Ça commence à être du délire !
Mickey le regarda un instant, impassible.
Puis il répondit d’une voix calme, tranchante :
— Alors explique-moi pourquoi nos sacs sont restés intacts, Léo.
Léo ouvrit la bouche… mais ne trouva rien à dire.
Parce qu’il n’y avait pas d’explication rationnelle.
Parce que tout ça défiait la logique.
Sofia brisa le silence d’une voix tendue.
— On a peut-être eu peur… mais de quoi ?
Antonin soupira.
— Vous voulez vraiment le savoir ?
Je serrai les dents.
Puis, lentement, je levai le carnet de Jordan.
— Je crois qu’on n’a plus le choix.
Nous étions tous fatigués, vidés.
Mais maintenant que nous étions ici, que nous avions retrouvé nos affaires, les inscriptions, le carnet…
Nous ne pouvions plus reculer.
Mickey passa une main sur son visage, visiblement partagé entre la peur et l’excitation.
— On va devoir revenir ici.
Sofia fronça les sourcils.
— Pourquoi ?
Il tapota le carnet du doigt.
— Parce que ce n’est que le début.
Je sentis un frisson me parcourir.
Nous savions que nous devions découvrir la vérité.
Mais nous savions aussi que cela ne se ferait pas sans conséquences.
Et quelque chose me disait que Jordan n’était pas le seul à attendre notre retour.
Nous fouillâmes encore pendant une bonne demi-heure, éclairant chaque fissure des murs, retournant des pierres, tentant de comprendre ce qui clochait.
Mais nous tournions en rond.
Il n’y avait rien d’autre.
Seulement nos sacs, les inscriptions gravées dans la pierre, et le carnet de Jordan.
Le temps semblait s’étirer, nous retenant prisonniers de cet endroit. L’air était toujours aussi oppressant, la sensation d’être épiés ne nous quittait pas.
Sofia, accroupie dans un coin, passa une main tremblante sur le sol.
— Il devait bien y avoir une autre sortie, non ?
Mickey secoua la tête.
— On a fouillé tout le tunnel, il n’y a rien d’autre.
— Alors comment… Elle se mordit la lèvre. Comment Jordan a pu disparaître sans laisser la moindre trace ?
Personne ne répondit.
Léo se releva d’un bond et s’éloigna légèrement du groupe.
— Ok. On a trouvé ce qu’on avait à trouver, mais on ne va rien résoudre ce soir. Il faut qu’on sorte d’ici.
Personne ne protesta.
La tension était palpable, et rester plus longtemps n’apporterait rien de plus.
Nous prîmes les derniers clichés des inscriptions sur le mur, récupérâmes le carnet et refermâmes les sacs abandonnés.
Puis, en silence, nous remontâmes l’escalier de pierre.
Lorsque nous poussâmes la grande porte du manoir, l’air froid de la nuit nous enveloppa immédiatement.
Respirer enfin autre chose que cette odeur de pierre humide fut un soulagement.
Nous nous arrêtâmes un instant à l’extérieur, laissant nos esprits réaliser ce que nous venions de faire.
Nous étions revenus.
Nous avions fouillé le dernier endroit où Jordan avait été vu.
Et nous étions sortis avec plus de questions que de réponses.
Mickey referma son sac et passa une main sur son visage fatigué.
Puis, sans détour, il lança :
— Demandez des vacances à vos tafs.
Un silence brutal s’abattit sur le groupe.
Nous nous tournâmes tous vers lui, estomaqués.
Camille fronça les sourcils.
— Attends… quoi ?
— Vous avez bien entendu.
Léo soupira, agacé.
— Tu veux qu’on fasse quoi ? Qu’on devienne des détectives improvisés ?
— Ouais. répondit Mickey sans la moindre hésitation.
Sofia le fixa, incrédule.
— T’es sérieux ?
Il leva les mains.
— Écoutez, vous croyez vraiment qu’on peut juste rentrer chez nous et faire comme si de rien n’était ?
Personne ne répondit.
Parce que nous savions tous que ce n’était pas possible.
Nous nous étions trop rapprochés de la vérité.
Nous ne pouvions plus reculer.
Mickey soupira.
— Je vous demande pas de tout lâcher, juste de prendre quelques jours. Si on veut comprendre ce qui s’est passé, on doit se donner les moyens.
Nous échangions des regards lourds de doutes et de fatigue.
Puis, lentement, un à un… nous acquiesçâmes.
Nous nous éloignâmes du manoir et nous assîmes sur un vieux banc en bois, non loin du chemin principal.
L’obscurité de la nuit était presque apaisante, un contraste frappant avec la tension qui nous habitait encore.
Camille ouvrit le carnet de Jordan et en fit lentement défiler les pages sous la lumière de sa lampe torche.
— Y a-t-il au moins une date sur ces notes ? demanda Léo.
— Non.
Mickey passa une main dans ses cheveux.
— Si ce carnet était là pour nous… pourquoi maintenant ?
Sofia réfléchit un instant.
— Peut-être que quelque chose nous a poussés à revenir.
— Ou que nous étions supposés le faire. souffla Antonin.
Son ton n’avait rien de sarcastique cette fois. Il était juste inquiet.
Eloïse croisa les bras.
— Ce que je veux savoir… c’est pourquoi nous avons tous oublié.
Je relevai les yeux vers elle.
Elle venait de poser la question essentielle.
Léo secoua la tête.
— Oublier à ce point, c’est pas normal. Ce ne sont pas juste des souvenirs refoulés.
Mickey hocha lentement la tête.
— C’est comme si quelque chose nous l’avait pris.
Un silence glacial s’abattit sur nous.
Personne ne voulait admettre cette possibilité.
Personne ne voulait mettre des mots sur cette peur.
Mais quelque part, nous savions que ce que nous avions vu, entendu, ressenti dans ce souterrain…
Ce n’était pas humain.
Nous restâmes un long moment à discuter, chacun partageant ses hypothèses, essayant de donner un sens à tout cela.
Mais nous n’avions aucune certitude.
Seulement une intuition écrasante.
Nous devions revenir.
Nous devions découvrir la vérité.
Mickey rangea le carnet et lança d’un ton sérieux :
— On se donne rendez-vous demain matin.
Sofia soupira.
— Ça va être une longue nuit.
Nous étions tous épuisés.
Nos esprits étaient en vrac, tiraillés entre peur et nécessité.
Chacun hocha la tête, et nous nous levâmes à notre tour.
Le groupe se dispersa peu à peu, chacun retournant vers sa voiture, vers sa maison.
Mais alors que je quittais les lieux, une pensée me traversa l’esprit.
Nous avions accepté de revenir ici.
Mais nous n’avions aucune idée de ce que nous allions trouver demain.
Et une seule certitude me hantait encore :
Ce manoir ne nous laisserait pas partir indemnes.
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