Chapitre 10

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La nuit fut longue.

Et pourtant, le sommeil refusa de venir.

Je restai allongé sur mon lit, fixant le plafond, les images du manoir tournant en boucle dans mon esprit.

Nos sacs, restés intacts.

Le carnet de Jordan, griffonné de messages troublants.

Les inscriptions sur les murs, en une langue que nous ne pouvions comprendre.

Et cette sensation étouffante

Comme si quelque chose nous observait.

Je fermai les yeux un instant, cherchant à calmer mon cœur.

Mais à peine mes paupières s’étaient-elles refermées qu’un souvenir surgit.

Une nuit.

Un couloir sombre.

Nos lampes torches vacillaient, projetant des ombres déformées sur les murs de pierre.

L’humidité s’accrochait à nos vêtements, rendant chaque respiration plus difficile.

— Continuez d’avancer, bordel.

C’était la voix de Jordan.

Nous étions encore là, dans ce souterrain il y a quatre ans.

Je nous voyais, jeunes, inconscients, persuadés que cette expédition était un simple jeu.

Puis, ce bruit.

Ce grattement.

Long. Distant.

Mais qui semblait se rapprocher.

Sofia s’arrêta nette.

— C’était quoi, ça ?

Personne ne répondit.

Jordan se retourna vers nous, sa lampe éclairant nos visages inquiets.

Il sourit.

— Allez, arrêtez de flipper. C’est sûrement un rat.

Mais dans ses yeux, il y avait autre chose.

Il mentait.

Il avait entendu aussi.

Et il savait que ce n’était pas un rat.

Je me réveillai en sursaut, le cœur battant à tout rompre.

Ce souvenir…

Je ne l’avais jamais eu avant.

Pourquoi maintenant ?

Je me redressai lentement sur mon lit, mes pensées en vrac.

Si nous étions tous en train de nous souvenir par fragments…

Alors cela voulait dire que la vérité revenait petit à petit.

Et si nous continuions…

Est-ce que nous allions tout voir ?

Est-ce que nous allions enfin savoir ce qui s’était réellement passé cette nuit-là ?

Je pris mon téléphone et jetai un coup d'œil à l’heure. 7h12.

Il était temps de se lever.

Le parking devant le manoir était presque vide lorsque j’arrivai.

Seules quelques voitures y étaient garées, silencieuses sous la lumière encore faible du matin.

Mickey était déjà là, adossé contre son véhicule, les bras croisés.

Son regard était fatigué, mais déterminé.

Je coupai le moteur et sortis de ma voiture, resserrant ma veste contre moi.

L’air était glacial.

Comme si le manoir lui-même refusait notre retour.

T’as dormi ? demandai-je.

Mickey eut un rire sans joie.

Et toi ?

Je secouai la tête.

J’ai… revu un souvenir.

Son expression changea aussitôt.

Lequel ?

Je pris une inspiration.

Jordan. Il était avec nous, dans le tunnel. Il a entendu quelque chose.

Mickey fronça les sourcils.

Le grattement.

Ouais. Il l’a entendu… et il a menti pour ne pas nous affoler.

Mickey pinça les lèvres.

Ça veut dire qu’il savait que quelque chose clochait, dès le début.

Je hochai la tête.

Il réfléchit un instant, puis soupira.

On va finir par assembler toutes les pièces du puzzle.

Ouais… mais est-ce qu’on va aimer ce qu’on va voir ?

Il ne répondit pas.

Parce que nous savions tous les deux que la réponse était non.

Un bruit de moteur brisa le silence du parking.

Nous nous retournâmes pour voir les autres arriver.

Léo, Sofia et Camille sortirent de la même voiture, discutant à voix basse.

Antonin et Eloïse arrivèrent ensemble, plus silencieux que les autres.

Chacun avait les traits tirés, les yeux cernés.

Nous étions tous hantés par la nuit précédente.

Sofia nous rejoignit et passa une main dans ses cheveux, visiblement agacée.

J’ai passé toute la nuit à essayer de comprendre ce qu’on a trouvé hier.

Léo hocha la tête.

Et ?

Rien.

Un silence.

Puis, elle ajouta :

Ça n’a aucun sens.

Personne ne trouva quoi répondre.

Mickey croisa les bras.

Vous avez tous eu du mal à dormir ?

Nous acquiesçâmes presque en même temps.

Des souvenirs ? demanda-t-il ensuite.

Camille hocha la tête.

Moi, j’ai revu le moment où Jordan est passé devant nous. Elle marqua une pause. Il marchait plus vite que d’habitude. Comme s’il voulait qu’on se dépêche.

Léo grimaça.

J’ai eu le même souvenir.

Un frisson parcourut ma colonne vertébrale.

Nous nous souvenions tous de morceaux différents.

Mais nous nous souvenions ensemble.

Ce qui voulait dire que la mémoire revenait progressivement.

Et bientôt…

Nous allions tout revoir.

Mickey se racla la gorge et lança :

Bon. Vous êtes toujours sûrs de vouloir continuer ?

Nous nous regardâmes.

Personne ne recula.

Personne ne proposa de faire demi-tour.

Nous savions que nous devions le faire.

Même Antonin, qui aurait été le premier à abandonner, se contenta de soupirer en murmurant :

De toute façon, on est déjà allés trop loin.

Mickey hocha la tête.

Alors on y retourne.

Nous nous tournâmes vers le manoir, ses murs délabrés dominant le terrain dans un silence inquiétant.

Nous savions ce qui nous attendait à l’intérieur.

Et cette fois…

Nous étions prêts à l’affronter.

Du moins, nous essayions de l’être.

Nous nous approchâmes de l’entrée du manoir, nos pas résonnant sur le sol dur du parking. L’air était plus froid que la veille, comme si quelque chose dans l’atmosphère avait changé, s’était refermé autour de nous.

À mesure que nous avancions, une nouvelle vague de souvenirs nous traversa.

D’abord diffus, flous… puis plus nets.

Nous nous fîmes face, nous observant les uns les autres, réalisant que nous étions en train de nous rappeler en même temps.

Nous étions là, quatre ans plus tôt.

Toujours dans ce couloir souterrain.

Jordan marchait devant nous, éclairant les murs de pierre avec sa lampe torche.

Mais cette fois, nous voyions plus loin.

Il s’était arrêté devant quelque chose.

Nous nous rapprochâmes, curieux, excités et légèrement anxieux.

Un bruit sourd résonna quand il tapota du pied le sol devant lui.

— C’est quoi, ça ? demanda Sofia.

Une trappe.

Mickey s’accroupit et passa sa main dessus, dégageant la fine couche de poussière accumulée par le temps.

— On dirait une vieille ouverture… Elle mène peut-être à une autre pièce.

Jordan s’accroupit à son tour et chercha à attraper le bord métallique.

— On l’ouvre ?

Personne ne répondit.

Mais nous ne l’avions pas arrêté.

Nous l’avions laissé faire.

Je sursautai, revenant à la réalité comme si on venait de me plonger dans l’eau glacée.

Les autres étaient dans le même état.

Sofia passa une main tremblante sur son visage.

Oh putain… La trappe…

Mickey hocha lentement la tête.

On est allés encore plus loin.

Léo fronça les sourcils, tentant de rassembler ses pensées.

C’est bizarre… On se souvenait du tunnel, mais pas de ça.

Je déglutis avec difficulté.

C’est comme si nos souvenirs nous étaient rendus par morceaux.

Nous nous tournâmes tous vers le manoir, un frisson nous traversant l’échine.

Nous avions toujours cru que le sous-sol était le dernier endroit où nous étions allés.

Mais ce n’était pas vrai.

Nous étions allés plus loin.

Et ce que nous avions découvert…

Nous l’avions totalement effacé de nos esprits.

La trappe s’ouvrit avec un grincement abominable, dévoilant un trou béant plongé dans l’obscurité.

Une échelle en métal descendait dans les profondeurs.

L’air qui s’en échappait était plus froid, plus lourd, plus… ancien.

Nous avions échangé des regards.

Puis Jordan avait souri.

On est vraiment en train de descendre là-dedans ?

Léo avait ri nerveusement.

On est déjà descendus ici, alors pourquoi pas ?

Et nous étions descendus.

Un à un.

Dans ce trou sans fond.

Le métal de l’échelle vibrait sous nos mains, et plus nous descendions, plus les ténèbres nous enveloppaient.

Jusqu’à ce que nos lampes torches révèlent enfin ce qu’il y avait en bas.

Des tunnels.

Des dizaines de tunnels, s’enfonçant dans toutes les directions.

Une vraie cité souterraine, un labyrinthe sous le manoir.

Et nous avions continué d’avancer.

Sans savoir que nous allions y perdre bien plus qu’un simple souvenir.

Une douleur fulgurante me traversa la tête.

Tout se mit à tourner.

Les voix des autres s’éloignèrent brutalement, déformées, comme si elles venaient de l’autre bout d’un tunnel.

Un bourdonnement monta dans mes oreilles, assourdissant, écrasant.

Puis… le noir.

Je n’entendis que quelques cris paniqués, puis plus rien.

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