Combien de personnes avais-je rencontrées dans ma vie ?

C’est la question que je me posais, allongé dans mon lit, après ma première journée de travail à l’hôpital de Sainte-Croix à Paris : Docteur Alexandre Séguin, chirurgien traumatologue. L’un des meilleurs de ce pays.

À la fin de mon premier service, mon amie depuis la fac Zoé, mes nouveaux compagnons de travail et moi étions allés boire un verre dans un bar, pas très loin de l’hôpital, pour fêter l’évènement. Le docteur Jules Babinet nous avait énoncé cette fameuse question : combien de personnes avez-vous rencontrées dans votre existence ? Les autres avaient juste ri, ignorant les paroles alcoolisées de notre collègue.

Et pourtant, je me trouvais dans mon lit, des heures plus tard, incapable de dormir.

Combien d’individus avais je donc pu rencontrer dans ma vie ? Des dizaines ? Des centaines ? Peut-être même des milliers ? Le nombre de mes patients devait déjà s’élever à plusieurs centaines. Ma famille, comptant toutes les branches éloignées, au moins plusieurs dizaines. Mes amis et connaissances rajoutaient encore plusieurs dizaines à ce nombre. Plus mes collègues, mes camarades de classe du CP à la fac. Mes enseignants. Mes amants et mes coups d’un soir. Mes voisins. La caissière du super U du bas de mon immeuble. L’ex-mari de ma cousine. La famille de mon ex-conjoint.

J’avais rencontré de nombreuses personnes au cours de ma vie. Mais combien d’entre elles avaient vraiment compté ? Combien d’entre elles avaient changé le cours de mon existence, faisant de moi l’homme que j’étais aujourd’hui ?

Pas beaucoup.

Et si parmi elles, je ne devais en choisir qu’une seule, ça serait sûrement Gabriel.