28 Mars 2018 – 15 h 32

6 minutes de lecture

Appartement de Alexandre Séguin

Zoé avait très souvent raison sur beaucoup de choses. Surtout lorsqu’il était question de relation entre humains, de sentiments ou encore d’émotions. C’est probablement l’une des raisons qui fait d’elle une excellente psychiatre. Et encore une fois, elle avait eu raison à mon sujet : je n’étais pas fait pour les relations ouvertes, pas même avec Gabriel. Surtout pas avec Gabriel.

Comme souvent le dimanche, Gabriel et moi avions passé une partie de la journée ensemble, à mon appartement. D’habitude, Gabriel venait le samedi soir, et restait le dimanche jusqu’à ce que je parte pour la maison de mes parents et la réunion hebdomadaire de la famille Séguin. Nous passions des heures au lit, ou sur mon canapé, à parler ou à faire l’amour. À cuisiner et à regarder des émissions plus ou moins intelligentes. Plus moins que plus à vrai dire. Aujourd’hui, Gabriel avait dû travailler toute la journée du samedi, enchainant le garage et son deuxième boulot, et il n’était venu que vers 13 heures. Comme Gabriel était visiblement épuisé, nous nous étions installés sur le canapé, sous un plaid pour regarder la télé. Tout était parfait, et j’aurais voulu que l’instant dure pour toujours. J’avais souvent ce genre de pensée lorsque j’étais avec Gabriel, c’était ma lycéenne intérieure qui avait tendance à ressortir ces derniers temps. Je n’y pouvais rien, Gabriel me transformait en romantique invétéré.

Et puis Gabriel se leva pour aller aux toilettes et s’étira devant moi, son tee-shirt remonta légèrement sur son ventre, dévoilant des marques sur ses hanches. Des marques de doigts, comme si quelqu’un, un homme avait agrippé cet endroit en baisant Gabriel violemment. Je sentis mes entrailles se glacer et je saisis le bras de Gabriel, incapable de quitter les marques des yeux.

_ C’est quoi ça ?

Je ne reconnaissant pas ma voix. Gabriel se retourna et suivit mon regard. Ses yeux tombèrent sur les marques marrant sa peau et il pâlit, ajustant son tee-shirt rapidement.

_ Alexandre…

Gabriel tenta de s’expliquer, mais je l’interrompis d’un geste. Je fermais les yeux et mis mes mains sur mon visage. Je n’entendais plus rien, juste le sang battant à mes oreilles, et des images d’inconnu prenant Gabriel imprimé sous mes paupières. Me reprenant, je me levais du canapé et me dirigeais vers la cuisine. J’allais avoir besoin d’une boisson un peu plus forte qu’un simple café pour la discussion à venir. Je ne buvais pas souvent et par conséquent, je n’avais pas beaucoup de choix. Je m’emparais d’une bouteille de whisky que mon oncle m’avait offerte à Noël avant d’en verser une bonne rasade dans mon café refroidissant. Je tendais la bouteille à Gabriel qui se trouvait sur le pas de la porte, ne sachant visiblement pas s’il avait le droit de rentrer dans ma cuisine ou pas. Le voir comme ça, ayant l’air aussi triste et anxieux me brisait le cœur. Il secoua la tête, ne croisant toujours pas mon regard et tenant son tee-shirt le plus bas possible. Je soupirais avant de me diriger vers mon ami, ma tasse de café toujours à la main. J’en pris une grosse gorgée frissonnant alors que l’alcool pénétrait dans mon système. Je saisis les mains de Gabriel, cacher les marques ne servait plus à rien. Maintenant que je les avais vus, je n’étais pas près de les oublier. Je posais ma tasse sur le plan de travail et prenais le menton de Gabriel dans mon autre main, le forçant à me regarder. Je fus choqué de voir des larmes dans les beaux yeux gris de Gabriel. Et puis la vue de ses larmes me mit en colère. De quel droit Gabriel pleurait-il ? C’est moi qui avais été trompé dans l’histoire, pas lui. J’ouvris la bouche pour lui dire le fond de ma pensée et puis je la refermais dans un claquement sec. Gabriel et moi étions dans une relation libre, techniquement il ne m’avait pas trompé. Cela ne changeait pas grand-chose au final. Je ne pouvais pas accepter ça.

_ Gabriel… je commençais à parler.

Gabriel m’interrompit en posant ses lèvres sur les miennes, demandant l’accès autoritairement. Je ne pouvais rien lui refuser, surtout pas en baiser. Je pris possession de sa bouche, le serrant contre moi, avalant ses gémissements. Je le plaquais contre le plan de travail de la cuisine. Soulevant doucement Gabriel, je l’asseyais dessus me faufilant entre ses jambes. Bientôt Gabriel me tenait en étau entre ses bras et ses jambes alors que je continuais à l’embrasser désespérément, le gout salé de ses larmes se mêlant à sa saveur unique. Je soulevais le tee-shirt de Gabriel, cherchant la douceur de se peau contre mes doigts et je m’arrêtais net. J’enfouis mon visage dans l’épaule de mon amant alors que je tentais de reprendre mon souffle.

_ Je ne peux pas Gabriel je suis désolé.

Gabriel resserra son étreinte autour de moi avant de parler.

_ Alexandre, Alexandre.

Il inspira, expirant doucement. Les larmes coulaient de nouveau sur son visage alors qu’il prononçait mon nom encore et encore. Sa douleur me touchait, presque comme s’il s’agissait de la mienne, mais je devais aussi penser à moi et je ne pouvais pas partager Gabriel, toujours à me demander avec qui il se trouvait et ce qu’il faisait. J’avais déjà donné dans le domaine des partenaires infidèles et je ne voulais pas retourner dans cet enfer. J’essayais une nouvelle approche :

_ Gabriel, tu dois choisir… Je ne peux pas te partager, je ne suis pas ce genre de personne…

Je sentis Gabriel sourire, alors que les larmes redoublaient d’intensité. Il releva la tête, posant ses mains sur mes joues. Même les yeux rouges et gonflés, il était si beau que mon cœur rata un battement.

_ Je sais, c’est l’une des raisons pour lesquelles je t’aime.

Gabriel perdit son sourire, alors que je le regardais fixement. Je n’avais jamais dit je t’aime à Gabriel. J’avais peur de le faire fuir, peur que mes sentiments ne soient pas retournés.

_, Mais je ne peux pas te donner ce que tu veux Alexandre… Je ne suis pas stable… financièrement et autre. Je rembourse mes dettes et ensuite je ferai ce qu’il faut pour devenir une meilleure personne. Mais pas maintenant. Maintenant n’est pas le bon moment.

Les derniers mots étaient chuchotés. Je déglutis avant de demander :

_ Tu es malade ? Où il y a une raison que tu me caches ?

Gabriel passa sa main dans mes cheveux courts.

_ Oui, il y a quelque chose. Et je ne te dirais rien… Je ne peux pas.

Nous nous regardions quelques instants. Je me sentais flotter, entre bonheur et malheur. Comme lorsque mon biper sonnait aux urgences et que je me précipitais pour attendre l’ambulance. Ou lors d’un accident de voiture. Je ne savais pas ce qui arrivait, mais je savais que ça allait faire mal, et je savais que je ne pouvais pas l’éviter.

_ C’est un au revoir ?

Ma voix tremblait alors que je posais cette question. Gabriel ferma doucement les yeux, son visage rempli de douleur.

_ Je ne veux pas te perdre Alexandre. Tu es la plus belle chose qui me soit arrivée depuis bien longtemps. J’ai besoin de toi, même en temps qu’ami.

Ami. Pouvais je être seulement ami avec Gabriel ? Je n’en étais pas sure. Mais quand je pensais à l’alternative, ne plus voir Gabriel du tout mon corps tout entier se glaçait alors que mon cœur se serra.

_ Donne-moi une semaine. Une semaine pour essayer de t’oublier et ensuite je ferais de mon mieux pour être ton ami.

Gabriel acquiesça, et sur un dernier baiser sur mes lèvres il partit. J’entendis la porte de mon appartement se fermer et je tombais sur le sol de la cuisine. Je ne pleurais pas, je me sentais juste vide, sans force, sans volonté. Je ne sais pas combien de temps je restais figé, sur le sol de la cuisine. Je finis par me remettre debout difficilement alors que le ciel s’assombrissait dehors et que les lampadaires s’allumèrent.

Je me dirigeais vers ma chambre et tombais tout habillé sur mon lit, n’ayant pas la force de prendre une douche ou de me laver les dents. Je regardais le bracelet que Gabriel m’avait offert pour Noël. Cela me semblait dans une autre vie, une vie où je n’étais pas sure de pouvoir retourner. J’enlevais le bracelet. C’était la première fois que je l’enlevai, pour une raison autre que le travail, depuis que je l’avais reçu. Je serrais le bracelet dans ma main avant de le lancer rageusement en poussant un cri. Ce petit éclat ne m’aida absolument pas à me sentir mieux. Je me mis sous ma couverture et essayais de dormir. Tout irait mieux demain.

Après plusieurs heures à me tourner et à me retourner dans mon lit je finis par me lever. J’allumais et récupérais le bracelet de Gabriel. Je retournais dans mon lit et serrai le bracelet contre mon cœur. Je perdis la bataille et laissais finalement les larmes couler. Les larmes silencieuses se transformèrent rapidement en gros sanglots et j’agrippais mon oreiller et attendant que le nuage passe.

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