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Aujourd'hui, douleur. On se brûle les yeux au contact cyanuré de ce qui défile sur les écrans, ou sur les journaux que l'on feuillette sans pouvoir lire jusqu'au bout les horreurs et les douleurs qu'ils révèlent. On sécrète alors au fond de nos entrailles ce poison qui balafre nos jours, nos paroles ne sont plus qu'un hâle qui tente de masquer nos yeux emplis de ce poussier (qui recouvrait autrefois les murs et les intérieurs de la ville) cherchant une source de lumière où puiser une eau fraîche pour se laver. Nos mots sont bien stériles en face de la souffrance.

Comment ne pas désespérer, ce monde est traversé d’horreur ?

Des images nous parviennent. Du monde, des images nous parviennent. Dont il faudrait pouvoir se tenir à distance. On a beau fermer les yeux, et la fenêtre de l’ordinateur, il faudrait pouvoir les repousser, et de cela il s’avère qu’on n’est pas capable. Je ne trouve aucun moyen de repousser le monde qui monte, en soi, qui monte, de soi, comme une marée, dans un flux mauvais, boue opaque transportant en elle des morceaux fracassés de nos vies fracassées et opaques.

Je me souviens d’images qui ne sont pas les miennes, et pourtant, de souffrances qui ne sont pas les miennes, et pourtant, de déchirements qui ne sont pas les miens, et pourtant. J’ai en moi plein de souvenirs, dont je ne connais pas la source, de souffrances qui ne sont pas les miennes, et pourtant, de désespoirs qui ne sont pas les miens, et pourtant il n’est pas possible de les tenir à distance, de ne pas les faire siens, de les incorporer, de les absorber. Je me souviens de souvenirs qui ne sont pas les miens, et pourtant il n’est pas possible de les repousser hors de soi, hors de la sphère de soi. Il faudrait pouvoir se tenir à distance du monde auquel nous appartenons et dont des images nous parviennent par flots mauvais, montants. Nous sommes englobés, enveloppés dans ce flot mauvais, et aucune distance ne nous est possible, entre lui et nous, nous sommes en lui, en lui, réduits à n’être que l’ombre de nous-mêmes dans ce flot qui nous emporte.

L’énoncé du problème constitue l’énoncé même de l’impossibilité de sa solution, c’est cela qui nous désespère, une fois que nous l’avons compris et pourtant nous avons tout fait, nous avons produit tous les efforts possibles pour ne pas le comprendre ; on ne peut pas dire que nous n’avons pas fait tous les efforts pour ne pas, le comprendre, l’entendre, le prendre en compte. C’est cela que nous apprenons dans le long déroulé de nos vies d’adultes, c’est cela que nous comprenons, peu à peu, avec plus ou moins de dispositions à nous le cacher, nous le celer, nous en tenir à distance, le repousser mais c’est bien cela que nous apprenons du monde désespéré dont peu à peu, à petites doses, mais sans nous mithridatiser, nous absorbons le poison. Infusion lente du désespoir en soi. L’énoncé du problème suffit, suffira à notre désespoir. Il n’y a pas d’autre réponse possible.

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