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Je lis « ça passe » mais je n'ai guère envie d'écrire sur le temps… alors comme souvent, je me retourne vers des choses lues, et c'est Verlaine qui resurgit du haut de son étagère, un peu empoussiéré par tant d'années, oublié sur le rayon des beaux livres… Je feuillette, lis quelques sonnets, chanson d'automne qui s'accorde si bien au temps de ce jour, et au fur et à mesure de la lecture guidée par le hasard, le rythme des vers alentit mon état d'être, des souvenirs remuent un peu, et je sens comme une langueur qui pénètre mon cœur.
On écrit de Paris, on n’écrit de nulle part, avec la main lourde, nourrie de tous les flashs reçus du monde, de toutes ces informations qui nous assignent ce pas de forçat traînant le boulet qui le définit. On cherche par les mots à calfeutrer la douleur dans les coquillages, à l'enserrer dans les parois nacrées afin de tordre le cou aux cris qui craquellent le monde. On se rencogne un peu dans ces aires de silence où chantent encore des oiseaux, on tend les paumes pour glaner quelques mots de vitrail : ça brille, ça saigne, c'est bien. Sinon ça casse. Et partout, dans les journaux, sur les écrans, on ne voit que les flammes d'un monde à feu et à sang, défigurant nos pensées et notre manière d'être. Ce monde rouge où l'on ne reconnaît plus les valeurs dans lesquelles on a grandi, les espoirs qui nous ont animés pendant notre jeunesse, les illusions d'une vie où le mot de fraternité était porteur de sens, ce monde-là est en train de m'abandonner, de me laisser dans l'ornière du chemin. Je reste hébété les pieds dans la boue, les ailes lourdes au seuil des années à venir. Les mots de fer déchirent la lumière, leurs bords acérés écartent les corps alors que les mondes se referment sur leurs solitudes entourés des murs épais de silence. Le crépuscule gagne entre ces rayons d'ombres, les paupières lourdes des regards de plomb s'enclosent sur leur orgueil dans le soir qui sommeille. Désaccordés, on l'est tous, après ce vendredi. On oscille entre voir la réalité et croire encore en cette humanité. La vue se brouille à plusieurs reprises à lire ici ou là des témoignages, des réflexions car on essaie tous de vouloir comprendre l'impensable. Alors on allume des bougies, peut-être pour se forcer à regarder, pour arrêter le temps, pour faire monter des flammes qui aideront à nous redresser nous aussi, pour contempler le monde dans cette lumière vacillante, pour unir les solitudes. La flamme en faisant son travail de lumière est aussi une image de verticalité.
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