Manaessa

7 minutes de lecture

Les volières Modron, installées dans la capitale de l’Empire, Kenthora, depuis Xidor Ier lui même (à l’époque où les Modra régnaient avant que cette lignée ne s’éteigne et que les Modron deviennent la branche principale de la dynastie), surplombent la ville et même les plus hautes tours du palais d’Hristos. Les créatures devant y vivre dépassent, dans des cas extrêmes, les trentaines de mètres d’envergures. Pour gagner de l’espace, les volières présentent également des galeries creusées profondément, où des jardiniers s’acharnent à cultiver une flore permettant aux bêtes de ne pas s’angoisser. Bien qu’elles furent pensées avant tout pour contenir les oiseaux tonnerres des Modra, elles virent d’autres bêtes mythiques s’y succédaient, en fonction de la famille s’asseyant sur le trône. Cependant, la question n’est plus d’actualité de nos jours, sachant que, depuis la Guerre des Dix, seuls les Modron possèdent encore leurs créatures alchimiques.

Histoire et symbolisme de l’Empire - Frère Diurne Hektor.

Le soleil continuait son lent parcours dans le ciel azur estival. La saison, pour la ville, était fraîche. Beaucoup de travailleurs en profitaient pour augmenter leur productivité, là où, d’autres années, elle s’en trouvait freinée par les canicules. Manaessa longea le ruisseau de Glace, qui serpentait dans la capitale jusqu’à la forteresse. Le peuple ne s’étonnait guère de la présence de la princesse, à pied, sans protection ou autres garde royale : ils en étaient habitués. Depuis petite, la pupille de l’empire, l’enfant du peuple, Manaessa Modron, arpentait les ruelles de Kenthora, bien souvent avec des sacs remplis de fruits rondouillets. Au début, des chevaliers se tenaient à ses côtés, l’Impératrice consort refusant évidemment qu’elle s’en aille gambader seule. Néanmoins, si Rhae filait des urticaires de part son insolence au couple empirique, elle ne rivalisait guère avec la désobéissance dont avait pu faire preuve Manaessa durant son enfance ou son adolescence. Chaque jour, elle s’arrangeait pour semer toute garde attitrée, à les faire tourner en bourrique. Il ne fut pas rare que les petites gens du coin doivent repêcher un chevalier en armure dans le ruisseau de Glace, tombé là par sa tentative désespérée de suivre une petite fille agile comme un singe.

Ce qui étonnait cependant toujours les citadins se trouvait plutôt dans la capacité de Manaessa à transformer l’aube en crépuscule. Sa chevelure capturait chaque rayon du soleil matinal, rendant une chaleur incandescente, un coucher de soleil ardent. Manaessa tenait cela de sa mère Catelyn Modron, née Cressy… mais même si l’Impératrice possédait une chevelure rougeoyante, il n’y avait pas cette brillance subtile qui rappelait l’arrivée orangée de la nuit.

Ce jour-là de l’année 285 ap.EX, la princesse ardente accomplissait, comme toujours, sa quête matinale. Elle tenait un panier d’osier rempli de fruits estivals, pastèques, melons, pêches et abricots. Ceux-ci serviraient d’amuses bouches pour les bêtes des volières. Ces dernières étaient pensées pour qu’un véritable biome y vive. Il y avait un bassin, où une faune maritime se renouvellait sans cesse. Les oiseaux tonnerres n’étaient pas gloutons, ils se contentaient de quelques poissons par jours, en plus des fruits que ramenait Manaessa.

Un chevalier attendait devant les portes de l’aviarium, au moins ça pour faire mine de sécuriser l’ardente. Elle passa sans même lui adresser le moindre signe d’attention puis s’engouffra dans ce lieu qu’elle chérissait. Manaessa leva la tête vers les airs, plissa des yeux car le verre de la toiture éblouissait les environs. La princesse défendait l’idée de relâcher les volatiles alchimiques, mais de trop nombreux villages aux alentours rapportaient des plaintes de tempêtes déclenchées soudainement, de potagers saccagés ou bien même de petits lacs stériles. Un des oiseaux tonnerres l’attendait de pied ferme sur un perchoir quelques mètres plus haut. Celui-là était le plus imposant de la volière, en même temps d’être le plus âgé. Il descendit en piqué, tel une météorite argentée, et atterrit en douceur grâce à deux battement d’ailes. L’envergure de la créature était telle que Manaessa plaça une jambe en avant pour ne pas être bousculée par la bourrasque. Ce volatile là reflétait l’excellence alchimique des premiers chevaucheurs, son poitrail, volumineux, le rendait impérial, ainsi que son bec allongé en pointe, de couleur ébène. La seule partie de son corps qui dénotait avec la perfection bestiale, selon “L’oiseau tonnerre, morphologie d’une créature alchimio-mythique” de Perfios Modra, se situait au niveau de ses ailes, sur les rémiges primaires, dont les plumes teintait sur le verdâtre, héritage supposé d’Yrrhas, bien que la généalogie des oiseaux tonnerres demeurait complexe à établir. Manaessa tendit la main vers l’impérial animal.

“ Comment vas-tu Brydeog ? ”

Le susnommé esquiva la main et préféra diriger sa tête directement vers le panier, que l’ardente attrapa juste à temps.

“ Non, non, il n’y en a pas que pour toi. Puis, ce n’est pas moi qui vais vous donner les fruits aujourd’hui. ”

Comme si la créature comprenait, elle poussa un piaillement grave l’air interrogateur.

Pour répondre immédiatement à cela, deux enfants débarquèrent dans les volières, avançant avec une prudence qu’on leur connaissait peu : mais ils savaient bien que s’ils s’amusaient de trop, l’invitation expirerait vite.

Brydeog se releva immédiatement, avec méfiance. Ce n’était pas la première fois qu’ils les apercevaient, mais les oiseaux tonnerres se montraient toujours prudents quand il ne s’agissait pas de son cavalier. Manaessa fit signe aux enfants de rester tranquille un instant. Puis elle pointa du doigt le panier à ses côtés. Rhae, plus impétueuse que son frère, s’approcha immédiatement pour récupérer une pastèque… à deux mains et en pestant car sa lourdeur l’embêtait. Elle érigea le fruit dans les airs, du mieux qu’elle put, à bouts de bras. Brydeog se méfia moins, il approcha son bec et attrapa le fruit qu’il ingéra sans attendre. Toute fière, mais respectant le silence des lieux, Rhae sautilla sur place que de moitié. Manaessa fit signe aux jumeaux de s’approcher, puis elle murmura :

“ Qu’est ce que Jace fait ici ? Je ne t’ai pas dit de l’emmener Rhae, s’opposa t elle alors que son oiseau tonnerre retourna sur son perchoir en quelques battements d’ailes.

— Mais il n’avait plus entraînement, il ne savait pas quoi faire ! s’exclama t elle en réponse, se tenant avec son jumeau pour ne pas s’envoler.

— Désolé Manaessa… s’excusa ce dernier. ”

L’ardente princesse se contenta de les gronder du regard, même si ce n’était pas aussi efficace que l’Impératrice, sa mère, puis les invita à la suivre en silence.

Sur le chemin qui menait aux galeries, elle leur expliqua que seulement Rhae avait l’autorisation de donner les fruits aux autres volatiles, car ils n’étaient pas assez habitués à Jace, et que, de plus, Rhae allait devoir se contenter de ne nourrir que les oiseaux tonnerres de son oncle et de sa tante, car celui de son ainé et de son père étaient bien trop imprévisibles. La jumelle n’écoutait de toute manière que d’une oreille, bien trop absorbée par la tentative d’entendre le moindre signe d’un oiseau tonnerre dans le coin.

Ils entrèrent dans les galeries, maigrement éclairés par quelques torches éparses le long des tunnels. Manaessa en profita pour vérifier l’état de l’incandescence, pour signaler aux intendants des lieux si certains flambeaux faiblissaient. Peu de personnes pouvaient être habilité à l’entretien d’un tel endroit. Même parmi ceux qui en obtenaient l’habileté, beaucoup ne s’y engageaient jamais, la mortalité de ce travail dépassant du triple celui de marins ou même mineurs. Cependant, heureusement pour les Modron, il existait encore quelques fous, accros à l’adrénaline et attirés par les sommes coquettes qui proposaient leurs services.

Les trois silhouettes progressaient en silence dans les galeries, leur passage souligné par le léger crépitement des torches fixées aux murs. Manaessa, en tête, avançait d’un pas assuré, tandis que les jumeaux Rhae et Jace, plus hésitants, la suivaient en jetant des regards curieux autour d’eux. La lumière vacillante des flambeaux dessinait des ombres mouvantes sur les murs de pierre, donnant à l’endroit une allure à la fois mystique et menaçante.

La princesse ardente s’arrêta soudain devant l’entrée d’une des fameuses "poches", une alcôve naturelle élargie pour offrir un espace de repos aux oiseaux tonnerres. En pénétrant dans la cavité, un spectacle enchanteur s’offrit à eux : le lieu était baigné d’une lumière douce et mystérieuse, émise par les plantes bioluminescentes accrochées aux parois. Ces végétaux, aux feuilles larges et nerveuses, dégageaient une lueur bleutée qui semblait pulser au rythme d’un souffle lent et régulier. Rhae ouvrit de grands yeux, fascinée par la lumière onirique qui illuminait l’espace. Elle se pencha vers l’une des plantes, tendant une main prudente pour effleurer ses feuilles luminescentes.

"C’est comme si les étoiles étaient descendues ici," murmura-t-elle, sa voix pleine d’émerveillement.

Manaessa, malgré son habitude de ces lieux, ne put s’empêcher de sourire en voyant la fascination de Rhae. Elle aussi était sensible à la beauté hypnotique de ces poches illuminées. Chaque fois qu’elle pénétrait dans l’une d’elles, elle se sentait transportée dans un autre monde, loin des préoccupations du palais. Les jardiniers qui entretenaient ces lieux avaient su créer un véritable éden souterrain, où chaque plante brillait d’une intensité qui lui était propre, illuminant les fougères et les buissons environnants, comme autant de lanternes naturelles.

"Les plantes des Fjell, commença Manaessa à voix basse, elles survivent là où aucune autre vie ne pourrait. Leur lumière n’est pas seulement belle, elle est vitale. Elle nourrit les autres végétaux, les maintient en vie, même sans soleil."

Elle marqua une pause, observant les jumeaux qui écoutaient maintenant avec attention. "C’est grâce à elles que ces poches existent. Sans cette lumière, cet endroit ne serait qu’une caverne froide et stérile."

Jace leva les yeux vers les grandes feuilles bleutées.

"Elles sont... magiques," murmura-t-il, plus pour lui-même que pour les autres, comme s’il cherchait à comprendre un mystère qui lui échappait.

Manaessa hocha la tête. "Magiques, oui. Mais aussi très rares. Peu de gens savent comment elles survivent ici. C’est un secret bien gardé des Fjell." Elle se détourna des plantes pour guider les enfants plus loin dans la galerie.

" Continuons, nous avons des fruits à distribuer. ”

Alors qu’ils s’éloignaient, la lumière bleutée se fondait progressivement dans les ombres, laissant derrière eux ce coin de rêve enchâssé dans les profondeurs de la tour.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire C.K Renault ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0