Rarchos

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Dans le cas de la succession, les règles de l’Empire de Xidor sont limpides. Le premier fils né hérite de la part du lion. Si d’autres fils naissent, ceux-ci hériteront à partition égale.

Prenons l’exemple de Rarchos Modron et son frère Eftios Modron ; Rarchos hérita du trône et des comtés adjacents à la capitale. Eftios obtint le royaume Venteux. La plus jeune, Lia Modron, étant une femme, ne reçu que l’honneur de se marier au seigneur Lazelli, roi des Domaines.

Dans le cas, exceptionnel, où un empereur n’aurait que des filles, l’aînée peut être nommée héritière, si le conseil d’En-Haut se prononce en sa faveur. Sinon un frère peut prétendre au trône. Néanmoins, jamais une impératrice n’a encore régné.

Histoire et symbolisme de l’Empire - Frère Diurne Hektor.

Rarchos Ier réalisait les cent pas devant la salle du conseil. Le visage atterré, la plume glacée de son frère Eftios résonnait en boucle dans son esprit.

…Nommer Ererha successeuse légitime du trône de Xidor est une ignominie. Bien que j’affectionne ma nièce, elle est incapable de gouverner. Trop clémente, trop pieuse et influençable, tu mets notre dynastie en péril par ton indulgence envers ta fille.”

Rarchos s’y résolvait : Eftios avait raison, mais il gardait l’espoir qu’elle grandisse et comprenne ce qui incombe son rôle dans les prochaines années.

Mon frère, je t’aime, mais en toute honnêteté, si demain malheur t’arrives et qu’elle monte sur le trône, alors je tiendrai un conseil empirique exceptionnel pour empêcher sa nomination. N’y voit là aucune ambition déplacée.”

Hélas, Rarchos n’avait guère le choix ; ne pas nommer son propre enfant héritier du trône était un aveu de faiblesse, il savait que les vautours rôdaient, prêts à exploiter la moindre faille. Ce fut un labeur insoutenable que de convaincre son conseil de la succession. Dorénavant, il devait s’affranchir de deux autres obstacles, Eftios et le peuple.

Si seulement Manaessa était née en première… il aurait été bien plus simple de convaincre tout le monde.

Cependant, le cœur de son angoisse ne résidait pas dans le mécontentement de son frère. Une deuxième lettre avait succédé à celle d’Eftios. Anonyme, impossible à retracer, énigmatique… celle-ci menaçait la vie d’Ererha.

La solution s’était imposée à lui, audacieuse et risquée, mais parfaite pour affronter ses deux principaux problèmes : la menace d’assassinat et Eftios. Sa fille devait partir, en direction du royaume Venteux, au fief de son frère, pour qu’il y assure sa protection. Cela permettrait à la fois de s’assurer que le danger ne se présente pas à la capitale et de rapprocher l’héritière de son oncle, histoire que celui-ci finisse par la reconnaître comme la succession légitime. Rarchos ne s’inquiétait guère que son frère soit le deuxième héritier, il ne lui connaissait pas la moindre ambition au trône de Xidor. Eftios appréciait l’ombre, le travail derrière les figures publiques. Il n’apparaissait déjà que ponctuellement en tant que roi du Venteux ; ses conseillers, surtout son châtelain, faisant office de communiquant auprès de ses sujets et de son peuple.

Là-bas, il comptait sur Ererha pour s’endurcir loin du cocon familial. Elle possédait déjà un don pour l’écoute et la capacité à apaiser les mœurs. Toutefois, en matière d’intendance et de combat, Ererha n’avait presque rien à offrir. Une faiblesse criante, presque fatale pour celle qui devait un jour porter la couronne. Il restait deux personnes à convaincre ; sa fille mais surtout sa femme. S’il réalisait les cent pas, ce n’était pas que pour ces deux lettres inquiétantes… l’Impératrice possédait un caractère digne des Cressy, fière, impétueuse et entêtée.

Il avait convié Sir Alyx à le rejoindre. Commandant de l’Ordre de la Garde, ce jeune chevalier aguerri s’avérait digne de la confiance de son épouse. Rarchos ignorait les raisons pour laquelle sa femme ne remettait jamais en question les compétences du jeune Garde, peut être avait elle un petit faible pour ce beau et jeune gaillard, peu lui importait.

“ Vous accompagnerez ma fille et héritière jusqu’aux terres de Venteux. Je place ma confiance en vous Sir Alyx.

— Comme il vous plaira votre altesse. Me permettez vous de poser une question ?

— Vous n’avez pas besoin de ma permission.

— Il y a t il une chose qui rende le déplacement de la princesse aussi soudain ?”

Il prit une inspiration plus profonde qu’il ne l’aurait voulu, comme si le poids de cette menace lui pesait sur la poitrine. Rarchos balaya les environs de ses yeux dorés. Il prit le bras du jeune chevalier et l’amena dans ses appartements. Il prit soin de fermer la porte après avoir ordonné aux domestiques de s’en aller. Le feu crépitait dans la cheminée. Un encens aux odeurs de cannelle brûlait au coin d’une pièce.

“ Oui, il y a quelque chose, répondit-il finalement d’une voix grave.

— Plaît-il votre altesse ? ”

L’empereur marqua une lourde pause, cherchant du réconfort dans le sol de pierre. Il se massa les tempes puis passa sa main nerveusement dans sa barbe.

“ J’ai reçu une lettre, anonyme. Une menace, contre Ererha..

— C’est inadmissible !” le chevalier parut réfléchir à toutes vitesses, “et le pigeon ?”

— Le pigeon est encore dans les volières, Lord Flint est sur l’affaire.”

Les deux hommes restèrent muets, évaluant l’inquiétante situation.

“ Ne pensez-vous pas qu’un voyage soit dangereux pour la princesse ? Nous pourrions tomber sur des embuscades.

— Le voyage sera sûrement dangereux, mais elle sera protégée, entourée d’hommes loyaux, et surtout loin de Kenthora, où les vipères fourmillent. De plus, ce pigeon a été élevé chez nous, il n’aurait jamais pu retrouver notre volière autrement.

— Avez vous interrogé notre maître pigeonnier ?

— J’ai une totale confiance en Korah. De plus, il ne choisirait jamais un pigeon sans marque, c’est illégal, et il connaît la loi mieux que quiconque.

— Mais comment est-ce possible ?

— Pour qu’un pigeon revienne ici, il doit reconnaître Korah comme son maître. Aucun autre moyen. Donc, soit quelqu’un a déjoué sa vigilance…

— C’est… fichtrement risqué pour quelqu’un qui veut être discret.

— Soit nous sommes face à de la sorcellerie.”

Sir Alyx déglutit, mal à l'aise. Sorcellerie ? Cela lui semblait une échappatoire trop facile. Il ne croyait qu'en la logique et en la raison. Se résoudre à expliquer ce que l’on ne comprend pas par la sorcellerie ou la religion avait toujours indigné le jeune chevalier. Pour ce garçon des terres impériales, tout avait une explication. Rarchos remarqua le doute sur son visage, cela le fit doucement sourire. Il l’avait lui-même désigné digne de la Garde, après qu’il se soit interposé face à un frère diurne qui punissait une roturière pour un vol d’orange.

“ Sauf votre respect, votre altesse, je pense qu’il serait tout de même avisé de faire interroger Korah. Demandez à Sir Corbus, il ferait parler une religieuse muette. ”

L’empereur fut pris d’un ricanement subtil.

“ Voyons, Sir Alyx, un peu de mesure. Par ailleurs, restez là, j’ai invité mon épouse et ma fille, il est temps d’annoncer le voyage aux deux.”

Alors qu'il s'apprêtait à affronter sa femme, une pointe d'angoisse perçait dans sa voix. Il redoutait l'orage que provoquerait cette annonce. Face à la fureur de sa femme, même le courage d'un empereur vacillait.

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