Vlassis
Tout pigeon voyageur possède une marque. Celle-ci permet de démontrer que l'animal est issu d’un élevage contrôlé. Plus qu’une trace, c’est un moyen d’éviter la prolifération de volatiles à la qualité médiocre, incapables de réaliser de grandes distances. Les pigeons voyageurs marqués sont choisis et éduqués dans le but qu’aucun message ne se perde. Cette loi fut instaurée sous le règne d’Hristos Bakkos Ier, après qu’il eut dû faire face à une crise de lettres non reçues. Certains racontent que l’objectif résidait surtout dans l'intérêt de la couronne à ce que les prix de ventes des pigeons d’élevages explosent, la volière de la capitale étant, à cette époque, également couveuse et formatrice de ces volatiles. D’autres, plus hardis, proclament qu’il s’agissait d’une manière d’empêcher les plus basses gens de communiquer avec les personnes éloignées, Hristos Bakkos étant réputé pour sa paranoïa, cela lui aurait permis d’éviter de nombreux complots.
Histoire et symbolisme de l’Empire - Frère Diurne Hektor.
Lord Flint, affublé de sa tunique noire ébène, se massait les tempes. Il possédait cette fâcheuse tendance à grincer des dents quand la réflexion devenait intense. Ses cheveux fuyaient son crâne dégarni, trop de pression. Vlassis se glissa à ses côtés, les mains derrière le dos. Voilà deux jours que le conseiller de son oncle se triturait l’esprit avec une enquête complexe à démêler. Sauf que lui, Vlassis, adorait les énigmes. Bien que la situation s’annonçait grave, le prince ne pouvait s’empêcher de ressentir un brin d’excitation face à l’investigation. Depuis quelques années, il s'amusait à écouter les bruits de la cour. Discussions, rumeurs, secrets chuchotés à demi-mot. Tout l'intéressait. Tout nourrissait son esprit vif. Il y trouvait tant d’informations, de curiosités, qu’il commençait à les assembler, découvrant parfois des morceaux de pièces de puzzles l’amenant sur des machinations qui se concluait sur un chantage à faire valoir. Entre les enfants illégitimes, les complots d’assassinats, les diffamations, les blasphèmes… À force d'observer et d'écouter, Vlassis avait commencé à tisser une toile. Chaque murmure, chaque rumeur était un fil. Et à présent, il savait que cette toile d’araignée pouvait l'amener à démêler de grands secrets, des complots cachés dans l'ombre.
Rarchos Ier avait découvert l’attrait du prince pour l’intrigue, aussi avait-il ordonné à Lord Flint de le prendre sous son aile. Cependant, pour cette inspection-là, l’Empereur décida de ne pas en informer son neveu. Lord Flint devait agir seul, sans aucune gêne, sans un apprenti à devoir former en même temps. Vlassis sentait que quelque chose se tramait sans qu’il n’en soit au courant. Il avait entendu les dames d’honneurs de l’Impératrice se plaindre de l’humeur désagréable de leur suzeraine. Il mêla cette information à celle du cuisinier, qui parlait avec ses commis de l'inquiétante inappétence du seigneur Modron, un homme pourtant réputé pour son appétit vorace. Quelque chose, clairement, tracassait son oncle. Alors il se cacha, dans une de ces grandes armoires poussiéreuses où les domestiques rangent les vêtements passés de mode. Il y entendit Sir Corbus, le commandant de la Garde, avec Sir Alyx, qui discutait de l’interrogatoire du maître pigeonnier. Il se rendit de lui-même dans les cachots, pour y trouver Korah dans une cellule soignée. Là bas, il le fit beaucoup parler, juste en gagnant sa confiance, en lui procurant quelques informations sur l’affaire, pour qu’il le pense dans le coup. Il y apprit la menace sur l’héritière, la colère de son propre père. Pourtant, malgré la gravité de la situation, une étincelle d'excitation brillait dans ses yeux. Cette énigme ci semblait bien plus complexe que toutes celles qu'il avait démêlées jusque-là. Vlassis, du haut de ses treize années, n’avaient jamais connu pareil intrigue ou danger…
Les relents d'excréments de pigeons se mêlaient à l'odeur de la poussière vieille de plusieurs saisons. Le bruit des battements d'ailes, presque imperceptibles, résonnait dans l'air étouffé de la volière.
“ Lord Flint.”
Vlassis courba l’échine, bien que prince, le conseiller de son oncle se targuait d’un statut supérieur en tant que vassal direct de l’Empereur. Le Lord possédait des terres voisines à la capitale, originellement de jure au duché de Kenthora. Avant même l’Empire de Xidor, il existait plusieurs royaumes. Celui de Kenthora, bien que petit, disposait d’une puissance économique supérieure à ses voisins, notamment grâce à des terres arables et plates, idéales pour développer l’agriculture. Le roi de Kenthora de l’époque, Isidor II, déploya de nombreux efforts dans la construction de somptueux palais et forteresses. Les commerces s’y installèrent, d’abord autour des architectures puis finalement de plus en plus éloignés. Si bien que ceux-ci finirent par se transformer en cité ou en baronnie, attirant d’autant plus de roturiers en quête d’un bon niveau de vie. Le roi Isidor II décida alors de concevoir la féodalité sous une toute autre vision que celle du monarque centralisant tout le pouvoir au sein de sa capitale. Il sélectionna quelques proches et nobliaux et leur transmis la gestion des différentes cités et baronnies, en échange d’une loyauté sans équivoque, d’impôts à verser chaque année ainsi que d’une obligation de participer aux levées de troupes en cas de guerre. Au début, ils furent nommés ‘servant-liges’, mais ceux-ci n’apprécièrent guère la dénomination, alors cela se transforma en ‘vassal’, un titre unique permettant aux petits seigneurs de se démarquer de la masse. Lord Flint descendait de la longue dynastie du même nom, l’une des uniques familles ayant traversé les âges au point d’en trouver une trace dans des manuscrits remontant au roi Isidor II.
Le Lord se tourna vers Vlassis, son visage prit un ton contrarié.
“ Que faites vous ici mon prince ?
— Vous le savez, ne perdons pas de temps à faire mine d’être surpris, je sais tout.
— Cela vous perdra, écouter aux portes peut vous faire défaut.
— Certes, en attendant je suis découvert uniquement parce que j’avoue ma faute, autrement vous n’en sauriez rien… Passons à ce qui nous intéresse : le pigeon.”
Lord Flint se gratta son crâne dégarni de sa dextre. Il lui manquait des doigts, mais les démangeaisons ne l’épargnaient pas pour autant.
“ C’est un mystère insondable Vlassis. Une affaire complexe. Je retourne le problème dans tous les sens et la conclusion ne me plaît guère, mais il y a de la sorcellerie dans cet acte. Korah est un maître pigeonnier d’exception, comment pourrait-il ne pas remarquer la présence de ce pigeon dans sa propre volière ?
— Que viendrait faire des sorcières dans cette histoire ? ”
La curiosité sans jugement du prince ravit le Lord, qui se sentait coupable d’envisager une piste aussi extravagante.
“ Excellente question,” répondit il en passant sa langue pour humidifier ses lèvres, “ peut être est ce une personne engagée ?
— Une sorcière mercenaire ? ” l’idée parut loufoque aux oreilles du prince, pourtant elle était séduisante, “ Si tant est que cela est possible, qui aurait pu l’engager ? ”
Lord Flint baissa les yeux, alors que le prince le fixait ardemment. Les roucoulements intempestifs des pigeons absorbèrent le silence pesant du seigneur.
“ J’envisageai…”
Vlassis l’interrompit, ses yeux se durcissant :
“ Eftios, mon père ? ”
Vlassis aurait pu jurer que même les volatiles se turent pendant un court instant. Le vieux Lord détourna brièvement les yeux, ses mains tremblant presque imperceptiblement. Les secrets dont il avait été témoin au fil des ans pesaient lourdement sur ses épaules, et évoquer Eftios le plongeait dans une prudence glaciale.
“ Je n’oserai pas…
— Vous pouvez. Je crois capable, en toute honnêteté, mon père d’être formenteur de complot d’assassinat. Le mobile est de plus évident, il deviendrait l’héritier. Cependant, il serait accusé de tous de parricide. Je ne porte pas Eftios dans mon coeur, mais il n’est pas idiot.
— Il est des chemins que l'on n'emprunte qu'une fois certain de vouloir en affronter les conséquences. Mais votre père, vous dites, n'est pas de ceux qui agissent à la légère. ”
Le Lord eut l’air rassuré du pragmatisme du jeune garçon en face de lui. Il se racla la gorge, moins pour dégager l’odeur nauséabonde de l’endroit mal entretenu -son propriétaire se trouvant en cellule-, que pour mettre fin à son malaise.
“ Je pensais que nous pourrions remonter la piste,” proposa le Lord, “ cependant, même si le pigeon doit être originaire du coin, je n’ai aucune connaissance des marchés de contrebande de la cité.
— En ce qui concerne les animaux… j’ai peut être quelqu’un qui pourrait m’amener des informations…”
Une légère sueur perlait au front de Vlassis, mais il se força à maintenir un masque impassible. À l’intérieur, pourtant, une inquiétude sourde bouillonnait. Était-il prêt pour une telle responsabilité ? S'il échouait à découvrir la vérité, le coup porté à l'honneur de sa famille serait irréparable. Et si c'était bien père qui complotait, ma propre loyauté pourrait être remise en question…
“ Qui donc ?
— Je tairai son nom, coupa froidement le prince.”
La volière semblait se refermer sur eux, chaque roucoulement des pigeons devenant une menace sourde. Vlassis savait qu'il touchait à quelque chose de dangereux, mais il ne pouvait plus reculer.
Vlassis quitta les volières, les mains derrière le dos, se tenant à la hauteur de son rang. Souvent, l’écart entre sa posture et son âge soulevait un sourire affectueux des gens de la cour. Même dans ses paroles et ses actes, Vlassis donnait l’impression d’un enfant précoce, voulant déjà atteindre l’âge adulte, sans passer par la case adolescence. Pourtant, plus que jamais, Vlassis se sentait petit face à l’importance de la quête qu’il menait dorénavant.
Alors qu’il traversait l’arrière cour, Vlassis fut dominé par l’ombre de la tour Ouest. Il y eut, de 200 à 215 après la création de l’Empire, un Empereur qui portait son nom. Vlassis Ier, et unique Vlassis couronné depuis lors, fut un Modra, avant que cette maison ne disparaisse, laissant champ libre aux Modron d’être. Ce seigneur ne laissa guère une empreinte prestigieuse sur son sillage. Il profita de la vulnérabilité de son prédécesseur, Julius Gaör II pour le renverser. Jusque là son régent, Vlassis Ier se vendit auprès des conseillers et des vassaux comme l’unique personne sur lequel comptait face à la crise politique qui s’annonçait : Julius Gaör ne possédait pas d’enfant, la couronne reviendrait à sa sœur. Alors, en l’espace d’une journée, sans même une once de violence, l’Empereur, infirme de son état suite à un accident de cheval, fut déposé. Dans la soirée, Vlassis Ier fut couronné et les Modra revinrent sur le trône de Xidor, perdu depuis plus de deux siècles. Cela ne dura guère de temps ; la folie du pouvoir imprégna le si considéré régent et, en l’espace de quinze ans, une crise sans précédent s’installa dans tout l’Empire. L’Empereur préférait allouer le peu d’écus qui restait dans le trésor royal pour construire une gigantesque tour où se reclure, à l’Ouest du palais, la tour Vlassis. Le conseil empirique se réunit alors, profitant de l’absence du suzerain, puis nommèrent un nouvel Empereur, de nouveau un Bakkos. Pour beaucoup d’érudits, là se trouvait les graines qui mèneraient plus tard à la Guerre des Neufs.
Quelle fut la folie de son père de le nommer d’un nom si déshonorant ? Le maudissait-il dès la naissance ? Savait-il dès lors qu’il le détesterait ? Sa mère, elle, voulait le nommer Xidor.
Mais elle n’est plus là de toutes manières.
La tour le surplombait dorénavant, il s’écrasait sous l’imposante demeure de la folie de son ancêtre. Ses pensées cheminèrent vers la chevelure d’orge de sa défunte mère. Il s’imaginait encore dans ses bras, alors qu’elle lui caressait la joue, sous un saule pleureur, au bord du ruisseau de Glace. Il sentit une chaleur familière l’envahir, comme le doux souffle de sa mère, celle qui, autrefois, effaçait toutes ses peurs. Ses doigts caressaient encore sa joue dans ses souvenirs, mais cette chaleur se fit soudain brûlure. Peu à peu, la lumière des tendres moments s’éteignit, avalée par l’ombre qui suivit sa mort. Il se souvint alors du poids glacial qui l’avait saisi, du gouffre qui s'était ouvert en lui, et du chagrin qui avait dévoré sa joie lorsque la nouvelle lui fut annoncée. De l’heureuse joie de la naissance des jumeaux, il ne trouva que chagrin quand il sut que sa mère ne les verrait pas grandir. Jace vint au monde en premier, fragile mais déterminé, affaiblissant déjà le souffle de leur mère. Puis vint Rhae, sa sœur, dernière à franchir le seuil de la vie, mais première à éteindre celle qui l'avait mise au monde. Vlassis souffrait tant de la mort de la seule personne qui comptait qu’il ne put jamais se résoudre à aimer ses cadets. Pourtant, ils étaient tout ce qui restait de sa mère. Malak ne comptait pas.
La bibliothèque du palais d’Hristos logeait dans une pièce accolée à la salle du trône. Simple, pas très grande, elle procurait une image modeste, un savoir accueillant et non étouffant, une petite pause dans un confort succinct. Les livres les plus hauts placés pouvaient être atteint de bout de bras par un adulte, tandis qu’il n’y avait aucun risque de se perdre avec les cinq allées qui composaient l’endroit. Pourtant, elle présentait une richesse d'œuvres qu’il était rare de trouver ailleurs. Beaucoup d’exemplaires uniques et de connaissances peu consignés trônaient dans le coin. Puis, si un membre de la famille royale ou de la cour souhaitait se promener dans une bibliothèque plus digne d’un monument que d’une source de culture, il se rendait de l’autre côté de Kenthora, où siégeait la bibliothèque Bargeasse, appartenant au propriétaire du même nom ; deux tours grandiloquentes dégoulinantes de bouquins.
Non, ici, Vlassis appréciait bien plus l’ambiance. De petites bougies, parfois parfumées à la violette, éclairaient le bois de chêne rustique des étagères. Le sol de planches, placé sur des solives, grinçait religieusement à chaque pas léger du prince. Les livres s’armaient de patience, étouffés par la poussière et l’ignorance de beaucoup, ils ne perdaient pourtant jamais de leurs superbes. Vlassis en prit un, au hasard, comme souvent, et l’ouvrit. Une vague olfactive terreuse imprégna ses narines, ainsi qu’une nuée d’allergènes qui le firent renifler. S’il existait un seul endroit où l’odeur de moisissure était appréciable, ce fut bien entre les pages jaunis d’un manuscrit. Plusieurs tables, posés sans grâce géométrique, occupaient le peu d’espace que la pièce offrait. Dessus se proposait des parchemins, histoire de noter, ou de faire semblant. Tout au fond, assise sur une chaise, le dos voûté sur un livre, une jeune dame s’acharnait à décrypter un gros grimoire à la couverture bleuté.
Vlassis s’en approcha. Si un prince daigne venir vers vous, sans même une demande de votre part, une dame digne de ce nom se perdrait dans les révérences. Cependant, Norah Deiceriene, petite fille de lord Deiceriene de Ramivieta, n’avait cure des codes des étiquettes. Elle ne daigna même pas lever le regard vers Vlassis. Ce dernier, contre toute attente, se tenait, mains dans le dos, patient. Quand enfin elle quitta l’attention de son grimoire, elle paraissait pester qu’on la dérange dans l’activité phare de sa vie, pourtant son attitude changea en apercevant le prince. Elle ne devint pas livide, elle ne chercha pas à faire de la lèche pour se rattraper… au contraire, elle parut simplement curieuse, puis une subtile admiration passa en éclair dans ses iris.
Vlassis, habituellement neutre et placide, ne put s’empêcher d’esquisser un léger rictus en plongeant ses yeux gris dans les siens, un mélange d’admiration et de curiosité montant en lui. Il attrapa une chaise qu’il plaça devant elle pour s’y installer.
“ Comment vas-tu Norah ?
— Mal, très mal,” se plaignit la jeune demoiselle, “ je n’avance pas dans mon étude de l’ancien Thalassien, pourquoi avoir autant de genres ?
— L’ancien Thalassien est avant tout une langue de poète et de chanteur. Tu as certes les genres pour décrire les hommes et les femmes, mais tu as aussi celui des oiseaux, de l’eau, du feu et… plus rare, pour les experts, les déclinaisons musicales.
— Tu m’expliques pourquoi une libellule a pour genre l’eau ? Dans les oiseaux, je comprendrai encore, ça vole…”
Les yeux de la lady glissèrent de tous les côtés, elle ne se rendait pas compte de la différence de rang, et qu’il n’était pas convenable de tutoyer un prince.
— La libellule fluctue au rythme du vent comme l’eau glisse selon le courant.
— Non, non, la libellule vole parce qu’elle a quatre ailes indépendantes, pour ça qu’elle peut réaliser un vol stationnaire voire en arrière, rien à voir avec le vent. Elle peut même modifier l’angle de ses ailes et..
— Norah ?
— … et elle créait des formes de spirales d’air autour d’elle ! C’est plutôt elle qui fait le vent ! Tu savais même que…
— Norah ?
— Oui ?
— J’ai besoin de ton aide.”
Norah arrêta alors son exposé pour écouter, attentive. Elle s’était encore ébouriffée sa grande tignasse sauvage sur le crâne, une sorte de fougère mal hydratée ébène qui bouclait à chaque recoin. Pour une lady, l’adolescente ne prenait guère soin d’elle. Longs et jaunis, ses ongles eurent plus l’air de griffes. Dépourvu du moindre apparât, sa tunique présentait des tâches de nourritures trop vites avalés. Pourtant Vlassis ne s’arrêtait pas à cette apparence pour le moins négligée. Elle était arrivée à la cour par son grand oncle, Manfred Deiceriene, après avoir été mise de côté par ses parents, la trouvant bien trop sauvage. Pour s’en débarrasser, ils l’emmenèrent dans une forêt du royaume Pelkesniegas, espérant qu’elle s’y perde et décède. Ils espéraient ainsi pleuraient publiquement sa mort et n’avoir aucun compte à rendre face à l’assassinat volontaire de leur propre enfant. Néanmoins, Norah vécut. Certains racontent qu’elle aurait tenu compagnie à une meute de loup, d’autres qu’elle fut accueilli par des chasseurs voire même certains avancent de la sorcellerie… mais la finalité reste la même : les parents croulent dans les prisons du lord Deiceriene et Manfred, attristé par le sort de sa petite-nièce, décida de la prendre sous son aile à Kenthora.
“ Connaîtrais tu un vendeur de pigeons voyageurs dans la cité ?
— De contrebande tu veux dire ?
— Parce qu’il y en a avec une licence là-bas ?
— Pas à ma connaissance.
— Donc oui, de contrebande.
— Il y en a deux, mais pourquoi tu me demandes ça ?”
Norah connaissait la cité comme sa poche. Son accoutrement habituel au palais se fondait dans la masse du bas peuple dans les tréfonds de Kenthora. La lady avait prit pour habitude d’y faire des découvertes et des emplettes. Bien souvent, elle arpentait les allées étroites et agitées de la ville en quête de marchands d’animaux. Son grand-oncle, contre service rendu, lui fournissait quelques écus pour ses lubies. Elle ne gardait pas les bêtes pour les domestiquer, encore moins pour les manger ; mais pour les libérer. La plupart de son argent disparaissait dans ces sauvetages.
Cependant, Vlassis savait, au fond de lui, près de son cœur, qu’il n’y avait pas que cette raison qui le poussait à venir la voir elle, pour cette quête. En réalité, il devait bien y avoir d’autres courtisans, soldats ou domestiques suffisamment experts en Kenthora pour répondre à ses interrogations. Encore une fois, tu viens juste ici… pour l’observer.
“ Je te sais honnête, voilà pourquoi.
— Et bien, tu as le marchand de bêtes dans la rue des Écluses, qui juxtapose l’allée du Temple. Mais là bas, les pigeons finissent plus souvent en rôti qu’en aventurier… si tu veux de la colombine il en vend aussi…
— Je ne suis pas jardinier. L’autre vendeur ?
— Il faut te rendre tout à l’Est de la ville, dans les quartiers des Docks Tranchants, tu ne peux pas le rater, tu entendras les pigeons roucouler, il ne vend que ça.
— Les Docks Tranchants… ceci explique pourquoi les soldats de la Garde ne se sont pas occupés de son cas. ”
Vlassis poussa un profond soupir. Devoir se rendre dans un tel endroit lui coupait toute envie de poursuivre l’enquête. Les Docks Tranchants furent baptisés par les habitants de la sorte pour exprimer la furieuse envie des roublards du coin de planter leurs couteaux dans tout ce qui bouge.
“ Tu vas y aller ? ”
Demanda Norah, son visage exprimant une soudaine inquiétude. Vlassis connaissait suffisamment la Deiceriene pour savoir que, s’il hochait la tête, elle chercherait à l’accompagner. Il ne voulait pas l’emmener dans un endroit aussi risqué, ni la mettre dans la confidence… pour la protéger. Vlassis n’avait pas encore idée de qui se trouvait derrière ce complot, mieux valait éviter d’y impliquer des personnes chères à ses yeux. Alors, elle est si importante ?
Vlassis hésita un instant avant de répondre, conscient que son choix risquait de la décevoir :
"Non, je vais envoyer Korah, il cherche des voyageurs à former et il manque de pigeonneaux.
— Korah ?" fit-elle en haussant un sourcil, la curiosité pointant dans sa voix. "Lui, vraiment ?"
Vlassis hocha la tête sans se laisser ébranler. Il connaissait cette expression : Norah ne doutait jamais de son instinct.
"Il est fiable," répondit-il simplement, se levant de sa chaise avec un air détaché, bien qu’une légère amertume traversât ses pensées. Il aurait préféré dire la vérité.
Norah ne répondit pas immédiatement, se contentant de hausser les épaules avant de retourner à son livre. "Si tu le dis..." murmura-t-elle, comme pour elle-même.
Vlassis soupira intérieurement. "Je dois y aller. À bientôt, Norah."
Elle le laissa partir sans un mot de plus, mais il pouvait sentir son regard peser sur lui alors qu’il quittait la bibliothèque.
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