0- Au seuil
On les dit volontiers assoifées de sang, la canine saillante et l'ongle acéré, longues cornes sur le front, plus blêmes qu'un cadavre ; on les voit amantes de barons, hôtes des caves et des cryptes, créatures de la pleine lune, aux bras des prédateurs superbes et romantiques ; que le crucifie et l'eau bénite exorcisent, que la balle d'argent pulvérise, que la sainteté horrifie et torture, fondant comme la neige au soleil.
L'héroïne indomptable de la jouvencelle gothique, affamée de passions mortifères ; la dame magnifique, perchée, altière, sur ses hauts talons aiguille, ceinte de cuir et de latex, la cravache au bout du bras, la croix de saint André devant le mur ; prête à venger douze millénaires de patriarcat infâme, à la salle des supplices et du plaisir qui n'en finit pas.
On en pond des films à dormir debout, à s'allonger sous des planches, à s'envoler par vents et capes... et des romans aux lignées séculaires... et des psychopathes qui croient le devenir avec de mièvres rituels sanguinaires !
Laissez-moi vous conter ce que sont les vampires et comment nous nous sommes connus.
Puis laissons ricaner,
dans son antre de nanti,
l'idiot bel et ventru,
l'intelligent abruti
qui croit avoir tout vu
& n'a rien appris !
*
Acte Ier
Je somnolais aux heures dernières d'un jour finissant.
Qu'importe sa saison et qu'importe l'exact endroit. Ce peut être chez vous, ce peut être chez moi et ce peut être partout ailleurs à la fois.
Une chanson langoureuse écoulait sa rythmique mélodieuse des enceintes de mon hifi, perché au-dessus du lit. Quelque-chose comme une balade rock'n'roll de Presley ou un reggae-pop de UB40, une voix de Chris Rea ou de Daho ou de Sade...
Je venais de céder à un long mois sans pensées coquines, aucune, quasiment une ascèse pour un célibataire endurci en plein cœur de l'été. Ma nuit d'avant, hantée, avait été celle des créatures plus belles et appétissantes les unes que les autres, toutes parfaitement inaccessibles, évaporées sitôt les paupières ouvertes...
Et le soleil m'était une caresse de femme, sur la peau qui frémissait à chaque rayon.
Comment n'aurais-je pas cédé à l'ultime tentation !?
Ce fut d'une lâcheté accablante et tellement banale, de l'argent si facile, jeté par la fenêtre, à l'heure où internet n'avait pas ouvert ses portes dans notre pays : le fameux téléphone rose et ses voix mielleuses et monocordes qui se voulaient envoûtantes. Et au comble l'étaient.
Celle de ce soir s'appelait Myrlène, je crois. Une Hélène, une Josiane ou une Clodette aurait fait l'affaire. Tout venait de moi. Elle n'était que la voix qui récite sa rengaine-pompe-à-fric, pour retenir le garçon. Et retenu je fus... ô combien ! Une heure ou deux, trois peut-être.
Quand je raccrochai, j'avais la fièvre d'un cheval sans juments, ou qu'il regarde passer dans le lointain sans s'arrêter, comme le narguant. Du genre qui vous lancent : Ah, tu veux du sexe, mon kiki !? Va falloir t'astiquer tout seul comme un grand, maintenant !
A dire vrai je n'en pouvais plus.
Nu sur une couette en friche, la pudeur aux confins des oubliettes, l'ivresse d'un Eros galopant sur la surface du corps, le palpitant au seuil de se rompre, la sueur des athlètes aux arènes romaines...
On aurait planté une salope sur mon entrejambe que je n'aurais pas été plus liquide. Dilué.
Et là, dans la sensualité démentielle, injustifiée, de ma solitude complète, baigné, les yeux mi-clos, dans une lueur vermeille qui dansait, tantôt lointaine, tantôt entre mes murs, je plongeais, infiniment suave, dans le délice du désir le plus dénué d'amour, pour m'y noyer...
... sans pouvoir résister au sommeil.
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