- 1 Serpent
- 1
Une proie sait-elle résister à son prédateur, avant de réaliser qu’elle l’est ?
Elle avance en confiance, hypnotisée, dans les eaux tièdes de sa langueur ensorcelée.
Tel étais-je, sans le savoir.
Aspiré par le gouffre du désir, qui allait subtilement en croissant, que rien ne pourrait stopper.
Au premier éveil après l’assoupissement, autant dire instantanément, je me trouvais seul sur une scène, le rideau ouvert sur sa salle aux sièges vides et pourpres. Que faisais-je là ? Aucune idée ! Je m’y sentais toutefois à ma place. Son parquet luisait comme au premier jour, une chaise plantée dans sa solitude, au devant.
Je l’approchais, une sensation de présence indistincte remuant dans les tripes, comme observé.
Seuls les bruissements de mes pas glissant sur le bois ciré…
Je tournai plusieurs fois la tête vers les plis du rideau épais qui pendait le long des murs.
Aucun mouvement. Le silence…
Et non, c’était devant que la surprise m’attendait !
Là, une beauté absolue – telle que mon désir les préfère, un escarpin noir sur la chaise, l’autre au plancher, des jambes à tomber à la renverse, dans leur bas-résilles, les hanches et les courbes de la femme parfaite – à mes yeux, les doigts agiles et grâcieux, sensuels, les ongles d’un rose translucide, le buste moulé dans sa jaquette de starlette, les lèvres désirables à volonté, le regard du fauve irrésistible !
Nulle n’aurait pu faire mieux pour allumer l’incendie de cent forêts en moi.
Elle n’avait besoin ni du chapeau, ni du bâton de Charleston pour me faire son numéro, qui par ailleurs aurait rompu le charme dans l’instant. Le charme, c'était elle, telle, rien de plus.
Elle aurait dû me croquer entier, sur place et sans attendre.
Elle a préféré accomplir une manœuvre, celle de trop, la faute qui l’a trahi : s’éloigner de la chaise dans un déhanché de féline, au ralenti, si appuyé qu’une odeur de soufre dans un sifflement de reptile se fit sentir et entendre. Comme si le poids de sa lascivité avait réveillé une bête sous ses pas, qui la mouvait depuis quelques liens invisibles…
Et la terrible marionnette m’apparut dans toute son horrible splendeur !
Facétieuse, fausse, vicieuse, rebutante, pour pire que du plaisir : sulfureuse, venimeuse, dont même une Madonna ne voudrait pas.
La scène alors ne fut plus du tout celle de la séduction.
Le spectacle à l’unique spectateur virait à l'hostilité :
la créature, démasquée, s’approcha de moi par l’arrière, dans un vif élan de mépris, avec les relents du dédain, avant que j’eusse le temps de l’anticiper ; s’apprêtant bientôt à me poignarder, d’une longue lame sortie de je ne sus où, l'arme déjà levée vers son cobaye.
Et à sa jambe, un serpent enroulé.
Le réveil soudain m’a sauvé.
Annotations