- 2 Alcôves & troglodytes

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M’étais-je réveillé vraiment, ou projeté dans un lieu autre de la même réalité ?

Désormais et sans transition, au seuil d’un gouffre impressionnant.
Tout de minéral constitué, au gris morne et monotone, sans floraison apparente, prosaïquement nu et rocailleux – de la plus triste espèce en somme. Son diamètre atteignait-il la longueur d’un, deux ou trois terrains de football ? Davantage ? Son versant opposé s’entrevoyait à peine en fermant les yeux d’une fente. Sans quoi tout était pénombre et plus bas grisaille obscure, malgré le bain d’une lueur lointaine, allant peut être du pourpre sombre au corail ambré en remontant, dans un sinistre dégradé. S’étant avéré être le seul éclairage de l’abîme.

À la fois je craignais de m’avancer, et une force magnétique m’attirait à elle, là-dedans. Encore fiévreux d’un désir pas vraiment éteint, qui crépitait en moi. Puis la curiosité l’emporta.

Ce n’est qu’à la margelle du trou béant que je pus voir sa structure globale, sans pour autant tout en discerner : il semblait un entonnoir gigantesque, s’enfonçant dans des ténèbres rougeoyantes, pareillement au halo d’un âtre profond rempli de braises perpétuelles qui changent de nuances. Un sentier le parcourait sur tout le pourtour, y descendant en spirale, tel un siphon de pierre inerte – plus large ou étroit, selon ce qui se trouvait à la paroi du niveau concerné. Quelquefois élargi des deux bords, au point de presque se rejoindre dans l’axe, en sorte de former un paysage assez étendu, à se demander par quelles assises ces sols étaient maintenus au-dessus du vide…

Inutile de minimiser l’impression que peut faire un tel spectacle sur l’esprit qui le découvre, du plus saisissant ! On ne peut qu'être fort impressionné, voire pris de vertiges.

Je ne me voyais aucunement emprunter le chemin le plus long, qui m’aurait emporté vers des destinations assurément indésirables. C’était à craindre. Ajouté à cela que mon appétit sensuel me commandait, par instinct, de descendre au plus court, c’est-à-dire au premier niveau le plus ample, me laissant glisser d’un étage à l’autre du sentier, telles les marches d’un escalier géant – tout au plus deux mètres de dénivelé, de l’un à l’autre. Seul impératif : tenir le plus possible à la verticale, afin de ne pas s’offrir bêtement une chute qui a coup sûr serait fatale.

Et je parvins, de la sorte, à un alignement d’ouvertures dans la falaise – portes et fenêtres aux angles arrondis ou érodés, parfois circulaires ou ovoïdes –, de ce qui pourrait être des alcôves ou des troglodytes. Difficile à dire d’où je me trouvais, ne percevant que des tissus flotter dans l’air en guise de volets et certaines portes en planches opaques, sinon des toiles ou des tôles. En bref, du rustique très archaïque.

Le tout dans un climat a priori suffisamment tiède pour vivre là, sans nécessité d’isolation thermique.

La prudence me tenant à distance, quoique brûlant intérieurement d’approcher, pour me donner un temps d’observation, je pus constater que personne ne s’amusait à s’y balader devant. Au mieux, des femmes, nues, en pagne, enveloppées d’un peignoir ou d’un kimono, apparaissaient rapidement, jetaient un œil furtif, faisaient un signe ou quelques-uns à une voisine qui répondait par sa porte ou sa fenêtre ; sinon à un homme qui la rejoignait sans badiner. Hommes qui, au demeurant, sortaient de je ne su où, semblant se trouver sur place en venant du néant. Étrange phénomène !

Étais-je invisible ? Devais-je me placer plus près pour être repéré ? Aucune ne me fit de geste. Alors je pris l’initiative, mon courage par la main et y allai…

Là, des effluves variables me happèrent en écharpes, tantôt repoussantes, tantôt attirantes : des fétides, des florales, des pimentées, des musquées, des mordicantes… toute une panoplie, puis l’impression d’une mixité des logis venant s’entremêler en passant au travers de leurs voilages. Bientôt, malgré tout, j’en oubliais presque la symphonie odorante, quand commencèrent à me parvenir les sons, et quels sons ! J'en frémis ! Par ici, des gémissements mêlés de plaintes, entre plaisir et douleur, voix d’homme et de femme enchevêtrés ; par là, en tendant mieux l’oreille, des soupirs et des messes basses, parfois des glapissements, dans les aigus ou les médiums…

Je finis par comprendre, assez vite, que tout ce petit monde passait son temps à se caresser, se mordiller, se laper, s’embrasser, s’étreindre, copuler, jouir et recommencer, encore et encore, jusqu’à épuisement ou lassitude et au-delà, telle une drogue inextinguible, pris dans ce manège à l’ivresse ininterrompue. Me voyant y passer à mon tour...

Sauf que, peu avant le départ des hommes qui s’extrayaient de là, ou s’en faisaient éjecter, – difficile à dire avec certitude –, chaque fois se lisait à leur visage un faciès livide, aux traits creux et sombres, les membres ramollis, les dernières ressources lessivées, ou chez les moins vidés l’affolement et le dégoût. Toujours au terme de râles bruyants, de grognements éreintés, de plaintes langoureuses et larmoyantes, même de sanglots et de cris, teintés de désespoir.

En définitive, des enthousiasmes alléchants qui terminaient par des états lamentables. Rien qui me donnât l’envie de tenter l’étreinte à mon tour, malgré ce désir ardent qui ne cessait de me tarauder le bas ventre. Et je décidai de poursuivre plus bas, voir ce que ce gouffre inquiétant recélait encore de mystères et d’appâts : où le pâle corail de la lumière de surface tournait au rubis scintillant, avant de sombrer plus loin dans un lugubre vermillon ocrisant, noyé de brumes enténébrantes...

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