Ficelle fusain

3 minutes de lecture

"Mais c'est un foutoir c'te piaule !
- Gleu...

- Arg ! Pis en plus c'est plein de larves !

- ...

- Ah non, c'est toi. Ben alors, mon poteau, on se laisse aller ? T'as... Wouf tu schlingues ! Allez, du balai, à la douche !

- C'est bon, ça va, t'exagères, je suis propre de ce soir et il est vingt heures.

- Ouais ben ça te réveillera. J'ai l'impression d'arriver au milieu de Verdun, là.

- Mais c'est fini, oui ? On a fait des crêpes hier soir, j'ai pas fait la vaisselle, et juste eu le temps de prendre une douche en rentrant, ça arrive.

- T'es sûr que t'as fait que des crêpes ?

- Ben oui, 'videmment, quoi d'autre ?

- Il y avait quoi comme fourrage ?

- Je ne te permets pas !

- Bien sûr que si, tu me permets. Bon, je te laisse en charmante compagnie, et toi tu fais des crêpes ?

- Gnégné gné...

- Ouais. Non. Lâche cette bière, elle va te ressortir par les yeux et j'ai pas envie d'éponger. Allez, raconte.

- ...

- Bon, t'avais trop d'eau quand même. Va pisser mais chiale pas, t'en fous partout. Écoute, y'a du positif : elle a fait tout ce chemin-là pour te découvrir. De loin tu dois être super beau, poteau ! Mais au fait, elle est partie ?
- Oui, tôt ce matin, je l'ai déposée au bus."

Mon bonhomme n'allait pas fort. Il avait été ballotté pendant une semaine entre l'exaltation et le rejet. Elle l'avait planté un soir brutalement. Puis elle lui avait proposé de passer la soirée ensemble. Mais le lendemain elle était plus distante. Une autre fois ils étaient restés accrochés l'un à l'autre pendant deux heures. D'un côté il se sentait désiré, de l'autre repoussé. Envoûté, mais incapable de comprendre.

Bon, je ne vais pas le laisser comme ça.

Fais comme le tourtereau

Ça vit d'air pur et d'eau fraîche,

Un tourtereau

De l'amour et de tendresse,

Un tourtereau

Mais jamais rien ne l'empêche

Le tourtereau

De pleurer à seaux.

Mais il est seul dans l'univers
Il est triste comme un des jours d'hiver
Il a peur des fous et de la guerre
Il pense n'avoir pas plu, dis
Comment peut on vivre aujourd'hui
Sans son image et sans ses bruits

Il ne sait pas, il ne sait plus

Il est perdu.

Voyons voyons, que faire ? Tiens, finalement il a été capable de récupérer son adresse. Des fois il m'épate, l'empoté. Hé ben dis donc, c'est pas tout près, ça ! Bon, je suppose qu'ils ont des fleuristes, là-bas ? Ben oui, tiens, avec un magnifique site web en anglais, elle est pas belle la vie ? Allez, elle rentre... Ah ouais, c'est long comme voyage. Du coup un peu plus tard, mettons la semaine prochaine. Et on va faire dans le classique, tiens regarde, ils font des roses multicolores. Faut faire gaffe quand même à ne pas verser dans l'excès. Et on va lui écrire... en franglusse. C'est bien, ça, le franglusse, ça va la faire marrer. Allez hop, à la semaine prochaine !

Enfin, la semaine prochaine... Mon poteau n'était pas disposé à attendre une longue semaine pleine de jours. Il était sur sa messagerie comme un junkie dans une pharmacie. Il va me broyer la touche F5 s'il continue comme ça.

"Elle ne me répond pas, me dit-il avec ses yeux de chien battu.
- Forcément, elle est dans l'avion, là. On coupe les communications en avion."

Quelques heures plus tard :

"Elle ne me répond pas, me dit-il avec un sanglot dans la voix.

- Forcément, elle est au poste frontière. La dernière fois ça lui a pris dix heures."

Et puis encore :

"Elle ne me...

- Oui ben laisse-lui le temps d'arriver ! "

Et de longs jours plus tard (et oui, ça se compte en jours) :
"Bidip bidi bip !" dit le téléphone. Le truc naze, avec les téléphones, c'est que leur sonnerie ne porte aucune émotion. Ils bidibippent exactement pareil pour un virement bancaire surprise que pour la déclaration de la Troisième. Mais mon poteau sauta dessus comme le guépard sur la gazelle :
"Bonjour Stéphane ! " avait écrit Tatiana.

Évidemment, c'était elle.

" Hé, Tatiana ! Si je m'attendais ! glapit Stéphane

- Coquin, va. Dis-moi, tu es un indécrottable romantique, toi ! J'étais un peu tendue à Paris, j'ai été malade, tu m'offriras une chance de me rattraper ?
- Comment ça, te rattraper ?
- Tu comptes t'en sortir à si bon compte ? Un bisou et adieu ? Mon gaillard c'est pas le numéro que tu as tiré, ça."

Ben voilà mon garçon. Tu t'étais affolé pour rien, comme d'habitude. Ah ben tu passes de la loque au cabri rapidement, toi, hein ? Quoi ? Pourquoi tu fais cette tête ? Non, j'y suis pour rien. Non. Non non non. De toute façon je nierai. Jusqu'à l'évidence.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Stéphane Wilde ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0