Soirée disco
Ce n'est pas dans une location de quelques jours qu'on va faire des miracles gastronomiques. On se fait une image de soi-même et on cherche à agir en cohérence avec celle-ci. En l'occurence, je représente, surtout pour moi, l'image du savoir-vivre français. Donc il est nécessaire qu'on bouffe bien, et comme au Moulin Rouge s'il vous plaît, façon cabaret. Avec une poêle en cochonium comme tout matériel. Et une trompette imprimée en 3D.
Si si, c'est possible. Ça ne marche pas fou-fou mais ça marche. J'ai conçu et produit une trompette sur une imprimante 3D, un cuivre en plastoc. L'intérêt de la démarche ? J'ai une trompette qui brille dans le noir, voilà l'intérêt. Je joue du disco en disco. Pantalon patte d'éph' et phosphorescence. J'en ai fait une autre avec le pavillon en étoile et les pistons de même, un vrai biniou de cirque.
J'ai pas plus badass.
Pendant que je faisais le mariole avec mes bouts de tube en pseudo-PVC, Tatiana a disparu. On avait fait du plus sirupeux possible en tête-à-tête toute la soirée, on avait échangé sur la mer, la musique, les langues, on s'était dévorés des yeux, des lèvres jusqu'à être englués dans une mélasse de romantisme diabétique. Il était temps de passer à autre chose, je supposais donc qu'elle était partie enfiler son pyjama. Du coup j'attendais.
On arrivait à un moment qui n'allait pas me plaire. D'expérience, c'est le moment où on va envisager d'introduire des trucs dans les machins, et ça me bloque. J'aime pas, c'est nul, on transpire, ça pue, ça fait des sons moches, ça coule, c'est dégoûtant.
Je passe ma vie dans une quête de mélodie et d'harmonie. Je cherche les sons concordants, les rythmes recherchés. Le point d'orgue doit être atteint par tout l'orchestre au même moment. Le contrepoint répond et soutient le chant dans un échange permanent. Le coup de pinceau doit être sûr, léger et précis. Le mot doit être juste et percutant. C'est totalement en-dehors de la bestialité vulgaire des parties fines.
D'expérience, à un moment on va me dire : "Oui mais avec moi ce sera différent." Je ne vois pas bien comment on peut rendre la chose différente, le principe étant le même depuis plusieurs dizaines de millions d'années.
C'est donc assez tendu que je l'ai vue réapparaître dans... C'était pas un pyjama. C'est joli mais pas un pyjama. C'est fou le charme qu'on peut empaqueter dans un bagage cabine.
Elle a dansé avec énormément de sensualité, mais rien que pour mes yeux. Quand j'ai voulu me joindre à elle, elle m'a assis sur le sofa, et glissé mes mains sous mes cuisses.
J'aime bien danser.
Je n'avais pas le droit.
J'aime bien caresser.
Interdit.
Je n'aime pas qu'on me touche.
J'ai été entièrement exploré.
Elle était contrariée par mes mains. Que voulez-vous ? Je passe une heure par jour à les entraîner à donner du plaisir musical, c'est contre nature que dans un tel moment elles restent inertes. Elle essayait de les coincer sous mon dos, sous ses cuisses, mais toujours elles repartaient. En désespoir de cause, je lui dis : " À mon avis, le seul moyen, c'est de les attacher vraiment." Elle fit une moue. Vraiment, ça avait l'air de l'embêter : mains, tête, jambes, tout ce qui pouvait lui donner des sensations qu'elle ne pouvait anticiper lui donnait du fil à retordre.
Elle alla défaire les lacets de mes brodequins. Ça faisait deux bonnes longueurs de solution à nos gênes.
C'est ainsi que tous les deux, surpris, étonnés et souriants, nous avons découvert notre façon d'aimer.
Cette nuit-là, pour la première fois, mon corps ne me répondait plus. Il m'échappait, comme un instrument qu’un virtuose fait vibrer sans effort, jouant une symphonie que je ne connaissais pas encore. D'ailleurs on a pété toutes les lattes du sommier.
En restant chastes.
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