Fuite nocturne
" J’veux m’enfuir, quand tu es dans mes bras… " [6]
Qu’est-ce que tu fuis ? Qu’est-ce que tu cherches, à courir comme ça, nue dans les bois ?
Bien sûr que c’est un rite satanique, qu’est-ce que tu crois ?
Que je te voulais vierge rien que pour moi ?
Je t’ai courtisée, c’est vrai, t’ai fait miroiter l’amour, le seul, l’unique, comme on fait miroiter celui des premières fois.
Je me suis déguisé, costume " premier de la classe " et binoclard d’innocence pour t’amadouer ; je n’avais rien d’un voyou en apparence, juste une fausse tendresse marshmallow et des répliques façon guimauve, comme dans les films à l’eau de rose.
Je t’ai même récité des poèmes que tu n’imaginais composés rien que pour toi, te laissant me fantasmer " gendre idéal romantique " quand je ne savais pas écrire…
Et puis, il y eut ce rendez-vous qui aurait dû te mettre la puce à l’oreille.
Une maison isolée, une chambre tapissée jasmin, un grand lit à baldaquins habillé de velours pourpre pour abriter nos ébats enrobés d’amour pur et pudique, ce qu’on appelle chimères ; mais l’exigence aussi de ces bas, d’une nuisette transparente qui ne masquerait rien de ton exquise nudité, rien de toi.
Tu veux t’enfuir, tu cours encore ? Mais à quoi bon ? Nous sommes tous là autour de toi, pour le sacrifice. Ton sacrifice.
Tu hurles, tu pleures, mais ils ne t’entendent pas. Parce que personne ne sait que tu es là, avec moi.
C’était notre grand secret, notre première fois. Tu espérais que je te baise, et quelque part j’en bande, bien plus que tu ne le crois.
Le coït approche, ma jolie pucelle, la jouissance suprême, celle que nous exulterons ensemble dans un râle expiateur lorsque mon couteau te tranchera la gorge sur l’autel ; celui qui scellera notre union éternelle.
Il y aura ton voile blanc, et le sang rouge qui s’écoule, celui d’une jeune fille qu’on déflore ; et je te déflore, ma belle, quand dans ma tête tu cries : " Encore ! "
Dans ma tête seulement, parce que tu ne seras plus là. Mais je t’aimerai quand même. J’aimerai ton corps beau et froid.
J’aimerai ton corps tout entier, celui qui se décompose, je t’aimerai toi.
" J’vois en panoramique urgente et désirable
Une blonde décapitée dans sa décapotable… " [7]
[6] paroles extraites de la chanson Idées noires, écrite, composée et interprétée par Bernard Lavilliers
[7] idem
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