50. La requête de Vanessa.
Lors de la soirée du mariage, les plus jeunes étaient sur la piste de danse, les autres, se baladaient dans le parc pour profiter de la brise rafraichissante.
Vanessa retrouva les mariés du jour sur la balancelle.
— Quelle journée, dites-moi !
— Oui hein ! On en est encore un peu retourné !
— Oh, je ne vais peut-être pas vous embêter alors.
Adèle lui tendit la main pour l’inciter à venir s’asseoir à côté d’elle et lui dit,
— Non, ça a été une surprise, mais tout a été bien géré ! Tu ne nous embêtes pas Vanessa, viens près de nous et dis-nous ce qui te tracasse.
Vanessa s’assit, mais ne sut pas trop comment introduire ce qu’elle avait à leur dire. Adèle l’y aida ;
— Vanessa, qu’est-ce qu’il y a ? Je te sens bizarre depuis ces dernières semaines, comment dire, sur la retenue, la réserve. Tu as des soucis ?
Vanessa se prit la tête dans les mains et mima un « oui ».
— Qu’est-ce qu’il y a ? Demanda Bertrand. Des soucis avec Camille ?
— Non, pas du tout, Camille va bien, c’est moi qui ai un problème. Un gros problème.
— De quel ordre, Vanessa ? Financier ? Tu veux qu’on prenne plus Camille en charge ? Demanda Adèle.
Vanessa les regarda, l’un après l’autre, mais aucun son ne sortit de sa bouche.
— Dis-nous ce qu’il se passe, Vanessa, insista Bertrand.
Avec un demi-sourire un peu figé, Vanessa leur lâcha le morceau ;
— En fait, j’ai un gros problème de santé ; un cancer du sein particulièrement agressif. Je l’ai appris il y a six semaines. J’ai déjà vu trois spécialistes. Il n’y a rien à faire ; je suis condamnée. Trois mois si je ne fais rien, six mois si je fais de la chimio.
Tant Adèle que Bertrand furent interloqués par ce qu’elle venait de leur apprendre. Les voyant sidérés, Vanessa pinça ses lèvres, mais continua à expliquer son point de vue et à proposer sa vision de ses derniers mois de vie.
— Camille ne le sait pas encore. Je compte le lui dire dans les jours qui viennent. Aussi, je vous demande s’il serait possible, pour la garde, que je la prenne pour ce qui reste des vacances scolaires.
Bertrand articula, difficilement,
— Sans problème Vanessa…
Elle continua à leur détailler ce qu’elle voulait faire avec sa fille, puis leur parla de ce qu’elle attendait d’eux ;
— Bertrand, tu es son père, elle t’adore, je sais que tu es parfait pour elle. Adèle, je te connais depuis longtemps, tu as toujours été là pour elle, tu es même officiellement sa belle-mère aujourd’hui. Je souhaiterais que tu sois sa mère, réellement, après mon décès.
— Mais…
— S’il te plaît, Adèle, je veux être sûre, pour ma fille.
Les larmes aux yeux, Adèle lui confirma,
— Je considère Camille comme ma propre fille, Vanessa. Tu n’as pas de souci à te faire de ce côté-là.
Soulagée, Vanessa reprit, sur un ton plus léger et pour tenter de détendre l’atmosphère,
— Je suis désolée, mais votre mariage ressemble à une auberge espagnole ; chacun y ajoute son grain de sel et sa petite déclaration.
Bouleversée, Adèle la prit dans ses bras et lui glissa,
— Vanessa, je suis tellement désolée pour toi, est-ce qu’il n’y a vraiment rien à faire contre ce cancer ?
Tentant de reprendre le dessus sur ses émotions, Vanessa lui répondit, malgré ses yeux mouillés de larmes,
— Non, je t’assure, tu me connais, j’ai pris mes renseignements… Rien ; il est déjà trop loin, il a métastasé très vite, trop vite. J’ai déjà plusieurs os atteints et on a décelé une métastase au cerveau, inopérable.
Bertrand se pencha vers les deux femmes et les prit dans ses bras avec énormément de douceur.
Plus loin, dans la pénombre, il distingua la présence de sa fille. Sans mot dire, il lui fit signe de se rapprocher. Elle arriva doucement, ses joues étaient brillantes des larmes qui les avaient traversées.
Lorsqu’Adèle aperçu Camille, elle lui tendit la main. Camille la prit, mais dès que sa mère lui ouvrit les bras, Camille s’y engouffra.
Vanessa lui demanda,
— Tu nous as entendu depuis quand ?
— Depuis de début maman. Je t’ai suivie, parce que je te trouvais bizarre depuis le début de la soirée.
Bertrand posa sa main sur l’épaule de sa fille. Camille le regarda, puis regarda Adèle et leur dit,
— Je vais passer toutes les vacances avec maman, vous êtes d’accord ?
— Tout à fait Camille, tu restes avec ta maman tout le temps que tu peux, nous sommes parfaitement d’accord, ton père et moi.
Visiblement soulagée, Camille reprit,
— On a encore des tas de choses à faire, maman et moi. Comme d’aller dans la forêt de Brocéliande et des trucs comme ça.
Elle se tourna vers sa mère et lui dit,
— Il faut qu’on fasse le plus rude maintenant, avant que tu sois invalidée par la maladie.
— Oui ma chérie, mais tu sais, je vais encore bien.
— Je sais, mais je sais aussi que ça peut aller vite, les métastases. Tu risques des fractures avec celles des os et de perdre la tête avec celle qui est dans ton cerveau.
Étonnée, Vanessa rétorqua,
— Mais… Comment… ?
Camille souffla,
— Je te connais, maman, j’ai repéré quand tu as commencé à prendre des rendez-vous avec trois médecins différents. Je suis tombée sur l’un des courriers que tu cachais dans ton secrétaire. Après, il m’a suffi d’aller sur internet.
Médusée, Adèle lui demanda,
— Mais donc, tu le sais depuis quand ?
— Ça fait un mois que je le sais.
Sidérée, Adèle balbutia,
— Tu… Tu le savais alors même que nous faisions les essayages ensembles, ta mère, toi et moi ?!
— Oui, je voulais montrer à maman qu’elle n’avait pas de soucis à se faire par rapport à toi. Je crois que c’est pour ça aussi que maman s’est rapprochée de toi, pour voir si cela pouvait fonctionner avec toi, hein, maman ?
Vanessa rigola,
— Camille ! C’est exactement pour cela, oui ! Ma fille, je t’adore.
Elle serra sa fille contre elle. Des larmes coulaient sur ses joues.
— Les chiens ne font pas des chats, Camille a hérité de ton sens de l’investigation et de l’à-propos, Vanessa.
Bertrand se leva pour enlacer son ex-compagne et sa fille. Vanessa soupira bruyamment puis prit du recul pour admirer sa fille et s’adresser à Adèle et Bertrand.
— Mon dieu, je suis heureuse que tout le monde soit au courant maintenant, c’est une épreuve en moins pour moi ! Je ne savais pas comment vous l’amener, il n’y a jamais de « bons moments » pour annoncer ce genre de chose, et puis, les jours passants, je me suis dit que je ne devais plus perdre de temps. Mes jours sont comptés, je dois les mettre à profit, tous.
— Tu as bien fait, Vanessa, tu ne pouvais pas garder cela pour toi, les jours qui restent sont effectivement comptés pour toi. Nous t’aiderons au mieux pour que tu puisses profiter de la vie jusqu’au bout, dit doucement Adèle.
En rigolant, Vanessa lui répondit,
— Désolée si j’ai un peu plombé l’ambiance de la fête.
Bertrand souffla un « arrête ! » en lui ébouriffant les cheveux puis, plus posément, lui dit,
— Vanessa, sache qu’on fera tout pour que cela se passe bien. N’hésite vraiment pas, même pour les derniers moments, si tu veux venir à la maison, la porte est ouverte.
Elle prit la main de son ex-compagnon qui lui caressait l’avant-bras et lui dit,
— Merci pour cette proposition, mais j’espère mourir dans mon sommeil avant d’être grabataire et dépendante.
— Je le sais, je te connais. Mais je te le propose quand même. Le moment venu, tu changeras peut-être d’avis.
Ils restèrent encore un bon moment à soutenir Vanessa, puis cette dernière demanda à être seule avec sa fille. Le couple se leva et les quitta.
Sur le chemin, Bertrand glissa à l’oreille de sa femme,
— Elle a pris sa décision, une fois qu’elle aura fait tout ce qu’elle avait prévu de faire avec Camille, elle mettra fin à ses jours.
— Elle veut partir dignement, je la retrouve bien là ! Et Camille, elle est si forte !
— Digne fille de sa mère ! Mais elle aura besoin de nous, après.
— Oui, et nous serons là.
Il s’arrêta avant d’arriver au manoir et lui murmura,
— Mais quelle journée !
— Haute en couleur et avec des émotions en montagnes russes !
— Viens, si tu as encore un peu de courage, nous allons passer parmi les quelques invités qui ne sont pas encore couchés, puis nous irons nous affaler dans notre lit.
— Oh oui, vivement notre lit !
Il la prit par la main et ils entrèrent dans le manoir, un sourire aux lèvres, tentant de ne pas trahir ce qu’ils venaient d’apprendre.
***
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