Vanessa s’installa dans la chambre d’ami du rez-de-chaussée. Elle n’avait accepté de quitter son appartement qu’après que tous les papiers soient finalisés pour l’héritage de Camille. Elle avait prévu quelques transferts d’argent vers le compte de sa fille et laissé juste de quoi régler les frais de soins sur le sien, en y donnant procuration à Bertrand.

Jusqu’au bout, elle était organisée.

— Je n’ai pas envie que Camille paie des sommes faramineuses pour son héritage, là, tout est prêt et elle a de quoi payer les frais de succession sur son compte personnel. Tu devras l’aider, Bertrand, elle est encore jeune.

— Ne t’inquiètes pas pour ça Vanessa, je sais que tu as tout prévu.

— Elle sera propriétaire, elle pourra louer l’appartement et avoir un revenu ou y vivre, comme elle le voudra, mais la location lui permettrait d’avoir des fonds pour ses études, surtout si elle peut rester vivre chez vous.

— Vanessa, arrête, je sais que tu veux faire pour le mieux, mais, prends le temps de profiter du temps qu’il te reste. Les papiers sont faits, tu sais que je les ai vérifiés. Cette question-là est réglée. Mais toi, comment te sens-tu ? Est-ce que tu es toujours contre le lit médicalisé ?

Elle soupira puis railla son ex-compagnon,

—Mais, mais, mais ! Tu t’inquiètes trop mon ami ! En grande fille que je suis, j’ai prévenu ma mutuelle, il sera livré dans la semaine !

Bertrand ferma les yeux et sourit, elle ne changerait pas, mais il était content qu’elle accepte.

— Et pour tes antidouleurs, tu es prête à accepter la morphine ?

Elle lui donna un semblant de coup-de-poing au niveau de son torse et répondit,

— Oui, la pompe arrivera avec le lit, une infirmière viendra me la placer dans la foulée. Vous aurez une junkie chez vous dans pas longtemps !

Ils rigolèrent, Bertrand était rassuré.

Vanessa avait bien perdu vingt kilos depuis l’annonce de son cancer. Il avait parfois du mal à la reconnaître ; elle avait toujours eu des formes avantageuses, là, elle lui apparaissait par moment tel un être diaphane et fragile. Flottant dans ses vêtements, elle trottinait dans la maison à l’aide de sa canne, les métastases osseuses la faisaient horriblement souffrir.

Le ramenant au présent, elle lui dit,

— Bertrand, je n’en ai plus pour longtemps.

En la prenant dans ses bras, Bertrand lui souffla,

— Prends ton temps Vanessa…

Une larme coula sur sa joue, Vanessa la lui essuya en souriant et en précisant,

— Ce n’est pas moi qui choisit, Bertrand, ce sera la métastase cérébrale ; elle est placée juste au-dessus du cervelet. Ce que les médecins me prédisent, ce sera un engagement du tronc cérébral lorsque la métastase comprimera trop… Et ça donne un arrêt cardiaque et respiratoire.

— Mais…

Elle le coupa,

— Les infirmières du service de soins palliatifs à domicile le savent, la morphine sera dosée de manière à ce que je ne souffre pas. Si ça se fait, cela se passera pendant mon sommeil.

Elle dodelina de la tête et précisa,

— Ce ne serait pas mal que ça se passe pendant que je dorme, en fait…

Elle rigola puis tendit les bras à Bertrand, ils restèrent enlacés un bon moment puis il lui proposa,

— Tu veux que je te prépare quelque chose à boire ?

— Oooh oui, un Pimms[1] !

— Avec tes médocs ?

— Bah, comme ça, ils feront encore plus d’effet ! Dis, si Adèle est rentrée, je préfère que ce soit elle qui le prépare ; elle le fait mieux que toi !

Il éclata de rire et rejoignit sa femme qui supervisait les révisions de Camille avec Antoine dans les bras.

***

[1] Cette boisson alcoolisée se consomme comme du sirop ; elle est généralement diluée, 1/5 de Pimm's complété de limonade, auquel il convient d'ajouter des fruits, fraises, pommes, oranges, citrons, et des morceaux de concombre.