Il fait chaud. Ses mains moites tremblent tandis qu’il les presse contre son front en nage. La relative lucidité caféinée l’expose aux pensées liquoreuses de la nuit. De l’eau, voilà ce qui lui ferait du bien. Une bonne giclée fraîche, tout droit sorti du robinet entartré des latrines. Parfait, il s’en contentera, se dit-il en s’aspergeant le visage, plié en deux sur le lavabo crasseux.

Lorsqu’il se relève, ses yeux rougis croisent son reflet déformé. Le miroir fendu dissimule à peine son faciès enfiévré, à bout, ravagé par une nuit agitée. Il tente maladroitement d’arranger sa tignasse brune quand, dans sa poche, son smartphone vibre.

Un message de José, truffé de fautes de frappe, à l’évidence composé lors d’un coup de sang : “Lucas ! Espèce d’enfoiré ! Je t’invite, on déconne au punch et tu tentes de tringler Vanessa !? T’est mort ! T’entends ça ? Foutu ! Morte ! Si je te renvoit, tu crèves, t’endents ?!”

Pendant une minute, il contemple le message. José s’en remettra, mais Vanessa ? Il a tenté la culbute avec cette guenon ? Ses souvenirs s’embrouillent alors qu’il relie les points. Il a fait une dinguerie, voulu embabouiner une fille. Vanessa ? Pas plutôt, Alice ? Il se rappelle surtout son menton en galoche, ses joues creuses façon Bogdanoff et son improbable costume de Martien. La soirée était déguisée ? Peut-être, il ne sait plus, c’est confus là-dedans.

Il s’asperge une dernière fois la face, considère son reflet halluciné, puis soupire. Ça va lui revenir, il a vu pire. Cette pensée s’envole à l’instant où il passe les portes des chiottes.

Dans le diner, une visiteuse s’est installée à sa table, bottes sur la table, dégaine kafkaïenne. Sorte de cow-girl en tenue légère, aux yeux revolver et cheveux auburn, coiffés d’un stetson fuchsia.

Un instant, il demeure coi. Il est bien le seul d’ailleurs. Personne ne prête la moindre attention à cette apparition costumée. Ladite se tourne justement vers lui. D’un sourire, adjoint d’un signe, elle l’invite à regagner sa place.

“Est-ce qu’on se connait…” marmonne-t-il en prenant place, mais l’inconnue l’interrompt, d’un doigt levé.

“Tu n’as pas idée mon Lucas.” dit-elle. Sa voix est chaude, aérienne, comme le panaché orangé, qu’elle consomme à coups de paille. “Je suis étonnée de te voir toujours ici, grand dadais. Tu devrais partir tant que personne ne t’as grillé.”

“Grillé ?”

Il plisse les yeux, tête inclinée. Qu’est-ce qui se passe ?

En face, la cow-girl éructe et indique le petit écran, suspendu de l’autre côté du comptoir. Une chaîne d’infos continues fait son beurre matinal silencieusement. Malgré la distance, il aperçoit un poulet entouré de gyrophare, tailler un speech sur différents différends survenus durant la nuit. Derrière lui…

Il se fige. Son sang bouillonne, secoue le palpitant, manque d’appeler Raoul. Derrière l’agent, un corps immobile est enveloppé dans une couverture en alu. Une femme, belle comme un camion, il en mettrait sa main au four. Car malgré le visage flouté, il reconnait les bois bordant l’asphalte. Il reconnait son idylle d’un soir. Alice…

Oh non, il n’a quand même pas…

La cow-girl tapote la table, le ramène sur terre.

“Eh oh ! C’est pas le moment de rêver, mon blaireau ! Tu veux attendre ici, voir s’ils ont pas des pistes ? Ou remonter dans ta caisse pour qu’on s’tire ?” demande-t-elle.

“Qui… qui êtes-vous exactement ? Qu’est-ce qui…” balbutie-t-il aussi paumé que hagard.

“Tututut, mon gros loup.” répond-elle. D’un mouvement fluide, elle se lève et lui propose sa main. “Tu sors et après tu causes raison, sentiments et souvenirs. T’en auras bien besoin, d’où ma présence. En attendant, tu magnes ou tu joues la viande à bagne ? Allez, il faut y aller !”