CHAPITRE 2

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Marc les avait reconnus immédiatement, ces sacs emblématiques de Pékin Express, la télé-réalité de voyage qu’il s’apprêtait à regarder le soir-même et dont il connaissait chaque rouage. Une vague de curiosité mêlée d’excitation monta en lui semblable à celle qui le prenait lorsqu'il s'immiscait furtivement dans une réunion non prévue à son agenda.

Mais cette fois, la situation était différente. Il ne s'agissait plus d'une fenêtre virtuelle à observer en toute discrétion ; c’était la réalité, tangible et immédiate. Une coïncidence incroyable, peut-être un coup du destin… ou alors un canular ? L'exaltation céda la place à la méfiance. Ses pensées tourbillonnaient aussi vite que les platanes défilaient le long de la route. Que faisaient ces candidats ici, en pleine Seine-et-Marne, entre Sivry-Courtry et Vaux-le-Pénil ? Participaient-ils vraiment à l'émission, s’y entraînaient-ils ou s’agissait-il d’une version étrangère improbable, une sorte de "Melun Express" version Ouzbèke ? Il sourit à cette idée absurde, mais son sourire s’effaça vite. Et si c’était réel ? Et s’il devait leur parler, leur expliquer… mais expliquer quoi, au juste ?

La voiture ralentit, Marc avait appuyé inconsciemment sur la pédale de frein pour se donner le temps de réfléchir. Les silhouettes se précisaient. Deux hommes, la vingtaine athlétique, le visage marqué par l'effort et la concentration, synchronisaient leurs pouces levés et le regardaient, pleins d’espoir. Derrière eux, les deux sacs rouges, avec leur logo emblématique, attendaient, semblables à des personnages silencieux, dans cette scène surréaliste. Marc ouvrit légèrement la fenêtre. Un vent frais glissa sur sa nuque et déclencha un frisson le long de son échine.

La caméra apparut soudain dans son champ de vision, portée par un homme qui surgit du buisson derrière les deux auto-stoppeurs. L'appareil noir et imposant, pointé dans sa direction, avait un pouvoir hypnotique. Marc sentit ses mains moites se crisper sur le volant, l’esprit enfiévré par l’excitation et la peur.

Les questions s’amoncelaient dans son esprit, plus lourdes les unes que les autres. Que faire ? S’il s’arrêtait, il deviendrait partie prenante de ce spectacle qu’il aimait tant. Le cœur battant, il imagina l’irréversible : être filmé, projeté dans l’écran, quitter son rôle de spectateur pour devenir acteur. En avait-il vraiment envie ?

Il ne s’agissait plus d’un jeu. C’était du sérieux. Il allait être filmé. S’il s’arrêtait maintenant, ce serait peut-être la dernière fois qu’il pourrait regarder la vie des autres défiler sans se sentir observé en retour. Le désir de plonger dans l'inconnu se battait en lui contre la terreur de l'exposition. Et s’il se retrouvait ridicule, transformé en objet de dérision sur les réseaux sociaux, montré sous un jour peu flatteur devant des millions de téléspectateurs ? Lui-même ne se gênait pas pour se moquer de certains candidats, derrière son pseudonyme.

Le doute l’assaillit, suivi de souvenirs fugaces de moments où il avait voulu se montrer, se révéler, mais s'était ravisé. Il se rappelait ces soirées où, seul devant sa télé, il imaginait ce qu’il ferait à la place des participants, ses stratégies, ses réponses cinglantes. Et maintenant qu’il avait une chance de vivre cela en vrai, il était paralysé, tel un acteur figé devant une scène trop grande pour lui.

Le moteur de la voiture ronronnait doucement, mais Marc n’entendait plus rien. Ses pensées s’entrechoquaient avec une telle violence qu’il crut un instant que le monde autour de lui s’était arrêté. Il aurait souhaité que le temps ralentisse plus encore, afin de peser chaque conséquence. Que penseraient ses collègues s’ils le voyaient à l’écran ? Et son patron ? Et cette image de lui-même, celle qu’il avait soigneusement construite, pourrait-elle résister à cette exposition soudaine ?

Une autre pensée, plus profonde, le déstabilisa davantage : son obsession pour les vies des autres cachait-elle une frustration plus grande, celle de ne pas vivre pleinement la sienne ? De ne pas sortir de sa zone de confort, de ne jamais se risquer à être vu sous un autre angle que celui qu’il contrôlait ?

Soudain, il réalisa qu'il n'avait plus le luxe de tergiverser. Il venait d’arriver à hauteur des candidats. Leurs regards croisèrent le sien, pleins d'espoir et de supplication silencieuse. C'était le moment de vérité. Devenir un simple figurant dans sa propre vie ou oser franchir la frontière entre l’observateur et l’observé.

Le pied de Marc flottait au-dessus du frein, prêt à s’arrêter, prêt à passer. Il savait que sa décision allait marquer un tournant. Plus rien ne serait pareil après ça, qu’il s’arrête ou qu’il passe son chemin.

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