CHAPITRE 5
Tout s’était déroulé en moins de temps qu’il ne fallait pour zapper d’une chaîne à l'autre.
Marc tirait désespérément sur les menottes, son cœur cognait dans sa poitrine. Son front, ses mains, et même le fond de son pantalon étaient trempés. Son corps restait intact, mais sa dignité avait pris un coup sévère.
Nouvelle tentative pour se libérer, mais les menottes étaient solidement fixées à la chaise, elle-même ancrée au plancher.
« C’est une blague, pas vrai ? » cria-t-il, en espérant que l’un des candidats ou le caméraman éclate de rire et annonce que tout cela faisait partie du jeu. Mais rien ne se passa. Le bois craquait doucement. La cabane semblait respirer. Devant lui, un voyant rouge clignotait au-dessous de l’objectif de la caméra. On l’enregistrait.
Marc avala difficilement sa salive. Il repensa à tout ce qui venait de se produire. Peut-être que c’était un piège depuis le début. Peut-être que ces candidats n’étaient pas de vrais participants… Non, c’était absurde, tout ça. Ils avaient montré des papiers officiels, il avait signé le droit à l’image. Tout devait être sous contrôle, non ?
“ Allez, la blague était drôle, on a bien rigolé, mais toutes les bonnes choses ont une fin… sauf la banane, qui en a deux !”
Marc grimaça en se rendant compte de la nullité de ses blagues dans une telle situation. Il tira encore sur les menottes. En vain.
D’un ton qu’il voulut badin, il reprit : “ Si je ne rentre pas chez moi maintenant, Polisson va avoir faim et pisser sur le canapé pour se venger ! Et puis, il y a Pékin Express à la télé, je ne peux pas louper l’épisode de ce soir, c’est la demi-finale !”
Il tendit l’oreille. Pas de réponse, seulement le hululement lointain d’un hibou. La nuit venait de tomber et il était livré à lui-même. Il ne pouvait plus le nier : on s’était joué de lui, mais dans quel but ? La colère, alimentée par la honte d’avoir été dupé et l’incompréhension, se consumait en lui, il brûlait d’envie de se venger, son regard étincela de haine et ses muscles se raidirent.
D’un ton menaçant, il hurla : « Si je vous attrape, bande de connards ! Je vais vous faire passer un sale quart d’heure ! » Ses interlocuteurs, s'il y en avait, ignorèrent les menaces. Marc se concentra sur l’objectif de la caméra, son seul ennemi désormais.
“Je vais te fracasser, toi ! Arrête de me regarder ! ”.
Il brandit un poing rageur et de son bras libre tenta de frapper l'œil impassible. Il l’atteignit à peine. En revanche une douleur aiguë se propagea dans son épaule. Marc étouffa un cri et chercha à calmer sa douleur en réfléchissant. Qui l’observait, confortablement installé derrière son écran ? Était-ce une punition pour ses petites obsessions professionnelles ? Pourtant, il ne faisait rien d’autre qu’observer et se fabriquer des histoires dans sa tête, cela ne méritait au pire qu’une petite leçon, mais certainement pas une séquestration. Ou alors s’agissait-il d’un délire de milliardaires qui prennent plaisir à observer des gens enfermés, comme dans les films d’horreur ? Que lui réservait-on maintenant ? Mourir de faim ? Des électrochocs ? Une manucure de l'extrême ? Les yeux crevés ?
En un temps record, il avait basculé de l’insouciance vers l’horreur absolue. La mort lui semblait maintenant une option concrète.
Il planta son regard dans l'œil de la caméra. Il devait tenter quelque chose.
« Vous, là, qui m’observez ! J’ignore vos motivations, mais j’offre toutes mes économies à celui ou celle qui me libère. »
C’était ridicule, bien sûr. Les riches spectacteurs ne s’intéresseraient pas aux quelques milliers d’euros de son livret d’épargne populaire et au cadre photo de Belle-île dans son salon. Que pouvait-il offrir, à part sa dignité ou, à la rigueur, son beau-frère insupportable ?
Ses paroles se muèrent en suppliques pathétiques : « Si vous me libérez, je ne dirai rien à la police. Je rentrerai chez moi et tout sera oublié, promis. »
Les larmes montèrent aux yeux de Marc. Ses tentatives de marchandage étaient vaines. Tout était perdu. Envahi par le désespoir, il se recroquevilla.
Mais non !
Marc ne laisserait pas l'abattement l’emporter. Il devait se battre, tenter de s’en sortir. Même si sa vie n’était pas palpitante et que personne, à part Polisson, ne comptait vraiment sur lui, il n’abandonnerait pas ! Les menottes étaient bien fixées à la chaise, elle-même bien accrochée, mais le plancher montrait des signes de faiblesse. Il concentra toutes ses forces, se leva d’un bond, arrachant la chaise du sol avec une planche vermoulue. D’un coup rageur, il frappa la caméra qui bascula sur le sol, puis poussa un cri de victoire avant de la piétiner avec rage. Son pied constata la robustesse du matériel à ses dépens, Marc poussa un cri de douleur.
La chaise encore accrochée à lui, il se rua sur la porte. Elle était fermée à clé, comme il s’y attendait. Dans la pénombre, il tâtonna à la recherche d’un outil pour forcer la sortie. Il trouva une hache dans un coin, parmi du matériel abandonné. Encombré par la chaise qui l’empêchait de bouger librement, il se pencha, la ramassa avec sa main libre et se dirigea vers la porte. Il passa devant la caméra et une bouffée de haine l’envahit lorsqu’il aperçut le gros œil de l’objectif qui continuait de l’observer. Sa vision se troubla, sa main se crispa autour du manche. Avec frénésie, il s’acharna sur l’appareil jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que des miettes.
Une fois calmé, il se prépara à faire subir le même sort à la porte lorsqu’elle s’ouvrit brusquement devant lui.
Le caméraman se tenait là, avec de grands yeux ébahis. Mais il était trop tard. Marc ne put interrompre son geste et balança la hache en avant. L’arme s’abattit sur le front de l’individu, faisant éclater son crâne en un flot de sang.
Marc resta figé, le souffle court, alors que le corps inerte du caméraman s’effondrait au sol. La hache glissa de sa main tremblante et il tomba à genoux.
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