Sur la plage
Le sable était chaud et doux. Plonger sa main dedans donnait la sensation agréable de reposer parmi les nuages. Celui qui oserait la sortir, sentirait à peine les grains glisser, mais pourrait percevoir cette brise légère caresser le bout des doigts. Ryan aimait bien dire qu’il était d’une saveur dorée lorsque le vent en provenance de la mer se réchauffait sur la couleur du sable. Un vent à l’odeur iodée qui débouchait le nez et remplissait les poumons d’énergie. Ryan aurait voulu que son inspiration puisse être sans fin.
Il expira et ouvrit les yeux sur cette étendue de sable rougi par le soleil. Au loin, la mer et ses puissantes vagues bleues essayaient d’engloutir la terre friable. La gueule béante, les dents translucides de l’eau se cassaient sur la garde de millier de roches de la plage. Sur ce champ de bataille, entre deux titans, la famille de Ryan courait, jouait et rigolait.
La plus jeune des filles finissait de recouvrir le cou du paternel. Ryan avait accepté d’être entièrement couvert de sable et pour une raison qu’il lui était inconnu, cela faisait rigoler ses filles autant que lui. Une fois complètement immobilisé, il aperçut sa femme au loin. Il ne voyait que sa silhouette suave faisant de grands gestes de ses graciles mains pour signaler à ses enfants de la suivre. Ses dernières la rejoignirent en criant et tombaient tous les trois mètres sur des butées de sable. Le paternel observait la scène avec un sourire aux lèvres tel un arc tendu, et les yeux plissés de rires en baïonnette.
Ryan aurait voulu courir avec elle pour lui aussi se rouler dans le sable et entraîner son épouse dans sa chute. Il pensait déjà à l’embrasser et imaginait la grimace de dégoût des deux filles découvrant la scène. Il rit, seul. Toute la famille à cette distance était devenue un ensemble de taches noires dont les rayons du soleil étaient les ficelles qui les animent. D’abord silhouettes distinctes, elle s’éloignaient petit à petit pour ne paraître qu’un point dans le désert, un grain supplémentaire. Un dernier crie de joie des enfants se mélangea avec le fracas d’une vague qui les avala toutes les trois, ne reste que l’écume blanche.
Un combat s’engagea entre Ryan et sa prison de sable. Il essayait tant bien que mal à se mouvoir. Dès qu’il arrivait à pousser sur son pied, du sable s’immisçait et comblait le vide qu’il venait de créer. Il tira de toutes ses forces sur ses membres, aucun ne voulut se défaire de ces chaînes de sables. Chaque pensée qu’il eut de s’extirper de son trou le rapprochait encore plus de ses grains qui roulaient dans les moindres plis de sa peau et se glissaient sous ses ongles. Sa bouche même se remplissait de l’or jaune à chaque cri. D’un coup, son corps sembla devenir meuble, enfin, il bougeait. Il suivait le mouvement du sable et s’écoula de la même façon, ne faisant plus qu’un avec sa tombe de graviers.
En s’enfonçant au fur et à mesure, le sable avait recouvert le menton et la lèvre inférieure. La bouche était devenue une grotte à moitié ensevelie, elle obligeait Ryan à respirer par le nez. Le front et les yeux brûlés par le soleil, il n’osait pas soulever les paupières. Il lui restait que le bruit des vagues pour le bercer dans sa tristesse. Plus les sanglots étaient importants, plus la mer était bruyante. À chaque respiration, elle augmentait et se rapprochait de la tête ensablée.
Son corps se refroidit et l’eau arriva de sous la surface. Elle lui saisit les orteils. La froideur remonta le long de ses jambes pour finir dans le creux de sa nuque. Sa tête encore réchauffée n’était pas encore touchée par ce mal, mais un autre lui était destiné. Les larmes qui gênaient la respiration de Ryan étaient son dernier souci. Son principal problème était cette écume brassée par le choc des vagues qui remontait jusqu’à lui. Roulant sur la plage comme un virevoltant dans le désert, elle finissait sa course au milieu de sa face. Il dut souffler et tousser de toutes ses forces pour l’expulser, mais en vidant ses poumons le sable reprenait sa place au niveau de la poitrine.
Le soleil ne cessait de grimper dans le ciel, et la mer la suivit. Elle gagnait son duel contre le sable et prenait le dessus en l’écrasant de tout son poids. Sur son chemin, la tête de Ryan était un bien piètre obstacle qui ne lui présentait point un problème. La mer décida de rouler dessus et de se retirer maintes fois, laissant de moins en moins de temps pour que Ryan puisse reprendre son souffle. Elle jouait avec lui comme un enfant joue avec une fourmi. Puis elle s’ennuya, alors dans un dernier élan pour tuer l’insecte, elle resta couchée sur lui. Ryan étouffait dans un abysse entre mer et terre. Ses cris ne pouvaient s’entendre que par des bulles d’air qui virevoltait dans un océan de larmes, et le silence.
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