4 – Retour au village

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Tu te doutes bien, cher lecteur, que les enfants n’avaient effectivement pas été kidnapés, puisque cachés dans la forêt. Ainsi, les inquiétudes de Grive et Lupin les concernant s’avéraient heureusement vaines.

À la sonnerie de la cloche, la sœur avait insisté auprès de son frère pour rester cloîtrés dans la cabane. Noisi avait obéi, mais tournait en rond comme un lion en cage. Ce dernier mourrait d’envie de voir ce qui se passait et d’aider. Potecote sentait la frayeur de sa petite maîtresse tremblante dans un coin de la modeste construction et se pelotonna contre elle. Mais la cloche annonciatrice de malheur cessa de sonner.

— L’attaque est terminée, annonça Noisi. On peut retourner au village !

Sa sœur n’était pas tout à fait convaincue, le mauvais pressentiment qui l’avait prise ne voulait pas s’en aller. Pour confirmer ce mal être, la poule avait quitté le giron de la petite et s’agitait en sous sens.

— Potpotpot !

Ce genre de prédation sur de petits villages par des bandes de malfrats, sans être monnaie courante, arrivait parfois et les enfants l’avaient déjà vécu. Habituellement, les attaquants étaient beaucoup moins nombreux, effectuaient leurs raids la nuit et ne cherchaient qu’à dérober quelque nourriture ou encore des objets précieux. Organisés, les villageois se regroupaient sur la place du village avec leurs arcs et, ainsi, ils pouvaient faire face à l’ennemi. Aussi, l’arrêt du Toccin signifiait une victoire.

— D’accord mais soyons prudents ! Si ça se trouve il y aura des fuyards. Ils peuvent être dangereux, mieux vaut éviter le chemin.

Noisi se plaça devant, sa sœur le suivait, les traits rongés par le doute, et la poulette marchait d’un pas soutenu à côté d’elle. Le garçon connaissait bien les petits chemins secondaires, mais ceux-ci avaient disparu sous des monticules de neige. Aussi, sondait-il le sol au moyen d’un bâton afin de détecter les congères, rendant la progression plus lente. Ils finirent par atteindre la lisière.

— Tu ne crois pas qu’il y a quelque chose d’étrange ? s’enquit Lilou.

Noisi secoua la tête et souleva les épaules.

— Ben non, c’est le village, il est normal !

Insouciant, le garçon partit en courant en direction du pont.

— Attends ! lui ordonna sa sœur.

Il s’immobilisa.

— Reviens ici, et chut.

Lilou posa son doigt son sur sa bouche, son frère attendant une explication, la sondait d’un air interrogateur.

— Écoute. On n’entend rien ! Aucun bruit ne vient de la ferme de l’Est. C’est pas normal ! On devrait entendre beugler les vaches dans l’étable, aboyer les chiens.

Il tendit son oreille et observa le village avec attention.

— Mais t’as raison ! Et, je crois bien qu’il y a un monsieur bizarre qui marche sur le pont.

— Cot ! Pot !

— Elle a raison, viens vite te cacher.

Noisi rejoignit sa sœur à l’abri des premières branches de la forêt.

— Mais alors, réalisa la fillette, c’est pas nos parents qui ont gagné ? Est-ce que ça veut dire…

Happée par l’angoisse, elle en eut le souffle coupé. Des larmes montèrent à ses yeux.

— Papa, maman, s’ils étaient…

— Morts ?

Les glandes lacrymales du petit garçon se remplissaient, provoquant chez lui cette désagréable impression de picotement, et finirent par déborder. Rongé par l’incompréhension, il se tenait la tête avec les deux mains en tournant en rond.

— Non ! Ce n’est pas possible, papa il est fort, et maman elle… Non ! Je ne veux pas. Non !

Sa sœur le prit dans ses bras, Potecote vint se blottir contre eux et ils pleurèrent tout leur saoul.

— Il faut qu’on aille voir !

— Et on fait comment ? Il y a ce bonhomme sur le pont.

— Si on peut pas passer par là, on peut passer par le nord du village en restant à la lisière du bois. L’Impétueuse est gelée, ça ira.

Du doigt, il désignait l’amont.

— Je te suis, répondit-elle laconiquement.

Les enfants coururent le long de l’orée de la forêt et atteignirent le point visé. Noisi franchit l’espace promptement, suivi de Potecote pour qui la traversée ne posait aucune question. Quel courage aviaire, n’est-ce pas ?

Il n’en était pas de même pour Lilou, terrorisée par l’idée de poser la pointe de sa chaussure sur la rivière gelée.

— Dépêche-toi, il faut qu’on sache ce qui est arrivé aux parents !

Lilou tendit timidement un pied qu’elle posa sur la glace.

— Regarde devant toi et avance. Doucement.

Écoutant son frère, la petite fille posa le deuxième pied, et regardant droit devant elle, débuta sa progression hasardeuse sur la glace. À chaque début de glissade, son cœur faisait des bons dans sa poitrine.

Sur le bord de la rivière, Noisi l’encourageait :

— Vas-y, là, c’est bien.

C’est le moment que choisit une branche à quelques mètres de là pour tomber. Ne m’accuse pas encore, ce n’est pas moi qui l’ai forcée. Les arbres ont leur vie propre et c’est bien de leur plein gré qu’ils laissent choir çà et là, un morceau de bois mort. La chute provoqua l’envol d’un magnifique hibou qui partit en direction de la rivière.

Lilou sentit passer le rapace juste au dessus de sa tête, tomba sur son séant et la glace se fendilla sous le choc. La petite fille s’immobilisa. Si jamais elle passait à travers, elle finirait dans les eaux froides d’où personne ne pourrait venir la tirer : la mort assurée.

— Allonge-toi et rampe, cria son frère.

— Chuuut, les méchants pourraient nous entendre, dit-elle le plus doucement possible.

Elle s’allongea précautionneusement sur le ventre, sans geste brusque. La sensation de froid l’envahit immédiatement, et ce, malgré son gros manteau et ses gants fourrés de laine. Son poids se répartit alors sur la glace, par moment, on entendait d’inquiétants craquements. L’eau commençait à poindre. Son cœur battait la chamade, elle retenait son souffle et glissait, centimètres par centimètres. L’eau frigorifiée s’insinuait dans son pantalon, la congelant. Après un temps qui lui sembla une éternité, elle quitta la zone fendillée. Rampant plus librement ensuite, elle finit par atteindre la rive.

Les deux enfants se permirent un léger repos, le temps de se remettre de leurs émotions. Lilou grelottait. Voyant cela, Potecote sauta dans ses bras pour la réchauffer.

— Poooot.

Noisi commençait à montrer des signes d’impatience.

— On va pas s’éterniser. Suis-moi ! On va voir ce qui se passe.

Le village ne comptait que quelques rues, les gamins progressaient d’une maison à l’autre. Arrivés près de la place centrale, ils aperçurent une sentinelle qui bayait aux corneilles avec le sentiment que rien ne pourrait lui arriver, la population étant maîtrisée.

Leur regard se dirigèrent alors en haut de la tour où le préposé à la cloche municipale était censé veiller. Personne.

Soudain, un bruit retentit derrière eux. Rapidement, ils cherchèrent une cachette et disparurent derrière une charrette sur le côté de la route. Arrivait tout un troupeau de vaches guidé par un inconnu.

Le cœur battant la chamade, ils laissaient passer les animaux depuis leur retraite.

— Mais que font-ils ? Où vont-ils ? chuchota Noisi qui commençait à comprendre la notion de discrétion.

Lilou haussa les épaules, Potecote secoua sa crête.

Deux types crasseux, inconnus de nos héros, fermaient la marche. Lorsque l’ensemble disparut en direction de la place, les enfants soufflèrent.

— Il faut qu’on approche ! proposa le garçon.

— On ne peut pas faire ça ! On va nous voir. Peut-être depuis une maison. Celle des Maréchal donne sur la place et il y a une entrée par-derrière !

— Coooot.

— D’ac, suis-moi, c’est par là.

Son engouement réfréné par sa sœur qui le tenait par le manteau, Noisi les conduisit à la maison désignée. Sur le chemin, ils ne rencontrèrent aucun garde, mais ils soufflèrent de soulagement en franchissant la porte.

Potecote, certainement tranquillisée, trottinait un peu partout dans le bâtiment, répandant joyeusement ses déjections de droite et de gauche. Lilou indiqua l’étage à son frère qui s’y précipita. Les deux enfants parvenus en haut trouvèrent une toute petite fenêtre et purent alors voir ce qu’il en était. La poule vint les rejoindre. La bande de pillards avait parqué les volailles dans les grandes cages. Derrière, étaient attachés les habitants puis bovins, caprins et ovins.

Les enfants cherchèrent immédiatement leurs parents.

— Ils sont là ! s’écria Noisi en sautillant.

— Chut.

Pour la énième fois, Lilou rappela son frère à l’ordre, et pour la énième fois il obtempéra dans l’instant.

— Mais qu’est-ce qui se passe ? Que veulent-ils faire à nos parents ?

Lilou, la mine déconfite, haussa les épaules. À cet instant, ses yeux croisèrent un regard qui, croyant se perdre dans le vague, trouva une accroche dans celui de sa fille. Grive avait vu ses deux enfants, ils étaient sains, saufs et libres. Ce fut pour elle un soulagement. Elle attrapa la main de son mari quelques secondes plus tard afin de lui désigner du regard la fenêtre où apparaissait discrètement le visage de leurs petits chéris. Chose plus importante encore, leurs regards s’étaient rencontrés. Durant un instant, une connexion entre les quatre membres de la famille s’établit.

Les ravisseurs montèrent sur leurs chevaux, encadrant la caravane qui se mit en route en direction du pont. Le lien visuel se brisa, laissant les deux enfants désemparés.

C’est à ce moment seulement qu’ils prêtèrent attention aux autres prisonniers. Leurs amis de jeux étaient à la file, derrière les adultes. Lilou et Noisi, voyant ceux qu’ils aimaient houspillés par les brigands et partir vers un ailleurs terrifiant, mesurèrent alors la chance qu’ils avaient eu de ne pas être présents au village.

— On les suit ?

La petite fille secoua la tête.

— Il faudrait au moins avoir quelque chose à manger, des couvertures, sinon on n’y arrivera pas.

— On rentre à la maison alors ?

— C’est la seule chose qu’on peut faire.

Ils repartirent alors chez eux. En passant devant le poulailler, Lilou à son grand désarroi le découvrit vide, la disparition des animaux dont elle s’occupait chaque jour s’ajouta à son malheur.

— Cotcot ?

— Oui, tu as raison elles ne sont plus là, mais ne t’inquiète pas, on est ensemble.

Quelques minutes plus tard, chez les Cordiers, Noisi ajoutait des bûches dans l’âtre. Heureusement, le feu ne s’était pas éteint et ils évitèrent la corvée de le rallumer.

Alors que sonnait l’heure du fruit, qui correspond chez vous à un début d’après-midi, les enfants n’avaient rien avalé et leurs estomacs réclamaient leur dû. Pour combler ce manque, Lilou cherchait de quoi préparer un repas. Noisi, lui s’occupait des sacs qu’ils emportaient quand leur père les emmenait pour quelques jours dans la nature. Il rassembla quelques couvertures, un couteau de chasse et une corde. Il s’en serait voulu d’omettre d’ajouter à son paquetage le fruit du travail de ses parents qui, de surcroît pourrait se révéler fort utile.

Lilou ayant préparé la soupe aux choux, le frère et la sœur s’assirent à leur place habituelle, l’un en face de l’autre. Les deux sièges vaccants de leurs parents les narguaient tandis qu’ils mangeaient en silence, perdus dans leurs pensées.

— On part après le repas ? demanda Noisi.

Sa sœur ne savait quoi répondre. D’un côté, elle n’imaginait pas abandonner leurs parents, mais d’un autre, elle savait bien que deux simples enfants accompagnés d’une poule ne pourraient rien contre une bande aussi nombreuse et organisée. Elle finit par se décider :

— Oui. T’as fini les sacs ?

— Non, il faut mettre de la nourriture, et peut-être d’autres choses.

— On a de la viande sèche je crois dans le saloir, et il y a du pain que l’on peut emmener. Pour Potecote, il faut du grain.

— Ah oui ! On ne peut pas la laisser là.

— Je suis sûr qu’elle pourra se montrer utile : elle est très intelligente !

Le repas terminé, les enfants finirent de préparer leur paquetage.

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