7 - Renarde

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Draëgane se retrouvait seule. Elle contemplait ses pattes griffues, son petit corps écailleux, sa peau grise, terne. Perdant ses yeux dans l’orée de la forêt d’Æther qui s’étendait à perte de vue, elle se demandait ce qui avait bien pu la pousser à accepter l’offre de son animal totem.

Elle en était à ces considérations lorsqu’un petit canidé roux vint à elle. Instinctivement elle reconnut cette âme et posa genoux à terre.

— Renarde ? C’est vous… ? Alors, vous…

— Oui, mon âme a quitté mon corps… Je suis… morte, il me semble.

Comme si elle ne voulait pas s’appesantir, elle changea de sujet :

— Mais… C’est étrange, dès que je t’ai aperçue, je t’ai reconnue. Tu as fière allure !

Lilou fut flattée qu’elle la trouvât aussi remarquable. Dans ton monde, on pourrait penser que la renarde ait l’intention de dérober un fromage, mais il n’en était rien. Lilou passa sa main dans la fourrure rousse.

Le goupil lécha affectueusement la joue de la petite fille qui ne put s’empêcher de rire.

— Ah oui, vous trouvez ? Merci pour le compliment.

— Mais alors que fais-tu ici ?

Draëgane haussa les épaules.

— Je viens ici de temps à autre, en rêve. Mais aujourd’hui ça a été différent, car comme tu peux le voir, j’ai reçu mon animal totem. Figurez-vous que je m’appelle désormais Draëgane, vous ne trouvez pas cela bizarre ?

L’animal inclina la tête de côté, regardant le saurien avec étonnement.

— Un nom ma foi bien énigmatique !

Draëgane poussa un long et bruyant soupir.

— Je suis bien d’accord avec vous et je me demande si je dois être contente ou non. Peut-être ai-je finalement bien fait de l’accepter. Pour tout vous dire, je ne sais pas qu’il signifie, ce sera à moi de lui donner un sens.

— C’est une bonne philosophie de vie, je te souhaite de trouver ton chemin. Draëgane, je te félicite. Mais, dis-moi… je suis un peu perdue. Je ne suis venue ici qu’une fois, il y a bien longtemps quand j’ai reçu mon totem. Tu connais quelqu’un qui peut m’aider ?

Draëgane secoua la tête de droite à gauche.

— J’ai déjà assisté à quelque chose de similaire au décès de ma grand-mère l’année dernière. Je peux te guider un peu si tu veux, je me rappelle ce que Chamane lui a dit. D’abord, elle lui a demandé de parler un peu de sa vie. Je crois que ça aide beaucoup. Alors vas-y raconte-moi ton histoire. Je t’écouterai gentiment, promis.

Alors Renarde lui raconta. Elle était née à Portuan, dans une famille pauvre. Son père, un alcoolique notoire, ne fit pas de vieux os. Sa mère, afin de subvenir à leurs besoins, tomba dans la prostitution. Petite, elle se faisait enfermer dans un placard lorsqu’un client arrivait. Elle entendait tout ce qui se passait. Les cris de sa mère, les mots grossiers, parfois des bruits de coups.

Elle fit une pause dans son récit requérant, un peu de tendresse. Draëgane serra le museau de l’âme en peine contre sa poitrine.

Même si elle en avait tant souffert, aujourd’hui Renarde n’en voulait plus à sa mère. La nature et sa condition initiale n’avaient pas gâté sa génitrice. Elle venait des classes de la société citadine les plus basses, ne possédait que peu de jugeote, un physique peu avenant et sa volonté n’était pas des meilleures. Partant d’où elle venait, se hisser à une situation satisfaisante se serait révélée difficile. La pauvre femme avait agi ainsi, n’ayant d’autre choix pour les nourrir, elle et sa fille.

Renarde, ne pouvant plus supporter sa condition, s’était alors enfuie. Afin de survivre, elle s’était faite voleuse. Au début elle travaillait seule. Les citadins ne prêtaient pas attention à cette petite rouquine toute sale qui se faufilait entre leurs pattes et coupait les bourses pour survivre. Puis elle était tombée sur Lana et Dori, deux gamins de son âge dans la même situation qu’elle. À trois ils avaient peaufiné leurs stratégies pour récolter de l’argent en prenant le moins de risques possible.

Un jour, ses deux comparses s’étaient bêtement fait prendre et elle n’entendit plus jamais parler d’eux. Selon toute probabilité, ils avaient péri en prison. Si quelqu’un l’avait un peu aimée. Sa mère, malgré ses efforts pour leur survie, ne lui avait jamais manifesté aucune affection.

Renarde se mit à pleurer de plus belle, repensant à ses deux amis qui avaient probablement souffert le martyr. Draëgane resserra son étreinte.

— S’ils ne sont plus sur Tærgis (1), tu les retrouveras bientôt ne t’en fais pas.

Quand elle fut remise, Renarde continua son récit. Après ce terrible événement, elle s’était jointe à l’une des bandes de malfaiteurs de la région. Des gens sans foi ni loi qui montaient des coups d’envergure, passaient des contrats qu’ils ne respectaient pas, parfois sortaient de la ville et pillaient des hameaux. À leurs côtés, elle avait appris le métier des armes en plus de son savoir faire de voleuse.

— Je regrette vraiment de m’être engagée avec ces personnes-là. Ils se montraient cruels et m’avaient entraînée sur la même pente. Je finis par me séparer d’eux, pour mon bien, car je réalisai que l’enfant que j’avais été n’aurait pas accepté ces violences. La vie solitaire me plaisait mieux en définitive.

Elle avait gardé des contacts dans les villes de la vallée et remplissait des contrats pour les différents notables. Voler celui-ci, ridiculiser celui-là, empêcher un courrier de parvenir à destination… Jusqu’à ce que l’échevin de Grand-Pierre lui demande de dérober à son homologue de Grand-Molinier une pierre précieuse de grande valeur. Après s’être infiltrée dans le château elle récupéra l’objet et s’enfuit en direction de Grand-Pierre en passant par les bois. Elle se demandait si elle allait réellement honorer son contrat ou faire jouer la concurrence pour obtenir le meilleur prix de ce joyau, quand elle tomba sur cette colonne d’esclavagistes.

Elle était tant absorbée dans ses pensées qu’elle n’avait pas fait attention à eux. Ils lui tirèrent dessus sans sommation.

— Et vous êtes arrivés, ton frère et toi, m’avez fait confiance sans rien me demander, vous avez tout fait pour me soigner. Vous êtes des personnes d’une grande gentillesse, vous avoir rencontré au crépuscule de ma vie aura été une chance extraordinaire pour moi. Je vous souhaite une longue vie mes petits, ne faites pas les mêmes erreurs que moi.

En prononçant ces mots, les larmes remontaient à nouveau à ses yeux.

Draëgane regarda Renarde en face, caressant le pelage de sa tête.

— Merci de t’être confiée à moi, je garderai toujours ton histoire dans mon cœur. Tu dois désormais partir, il te faut traverser la sombre forêt d’Æther. Chamane a expliqué à ma Grand-Mère qu’ensuite il faut passer par des épreuves difficiles, où il faut se détacher progressivement des choses matérielles de Tærgis (1). Plus vite tu les auras oubliées, plus vite tu traverseras la forêt jusqu’aux jardins où tu pourras vivre heureuse. Tu y trouveras probablement tes deux amis, ou, s’ils ne les ont pas encore atteints, vous pourrez rejoindre les jardins ensemble.

Renarde secoua la tête.

— Je suis mauvaise, tu vois tout le mal que j’ai fait autour de moi.

Draëgane lui tapota la tête.

— D’accord tu n’as pas fait que le bien, on ne peut pas dire le contraire, mais rappelle-toi du plus important, ceux que tu as aimé, Lana et Dori. Il y a aussi mon frère et moi, et Potecote bien sûr. Quand on t’a rencontré, on n’a pas vu quelqu’un de méchant. Va, maintenant. Il faut y aller.

Le saurien sentit les larmes couler, la séparation d’avec Renarde lui coûtait. Celle-ci la retint encore un instant.

— J’ai encore quelque chose à te dire. Sur Tærgis, à ma ceinture un poignard est accroché. Donne-le à ton frère, c’est mon cadeau d’adieu, pour récompenser son courage et sa gentillesse. J’ai aussi un arc, un carquois rempli de flèches et une lance. Ils sont beaucoup trop grands pour vous, mais vous pourrez les vendre. Et enfin, la pierre, je te la confie à toi. Elle est dans la poche avant-droite de mon sac. Elle vaut une fortune, tous les notables de la vallée se la disputent, tires-en le maximum. Ma mission était à cinquante pièces d’or, mais je suis convaincue que ce n’est pas le dixième de son prix.

« Bonne chance, mystérieuse Draëgane, pour retrouver tes parents.

— Merci.

Renarde lécha à nouveau la joue de la petite, qui la serra une fois encore dans ses bras. Le canidé fit volte face et partit vers la forêt. Arrivée à l’orée, elle se retourna et reçut un dernier signe de la main de la petite fille.

Draëgane regarda ensuite longtemps ce bois sombre où avait disparu, celle qui, pendant un instant, s’était faite proche d’eux, lui avait fait cadeau de son histoire. Elle soupira, regardant ses mains grises. Grises ? Pas tant que cela, une couleur légère s’était imprimée à l’extrémité de ses doigts. Un peu de rouge.

(1) Tærgis est mon fils, ma surface solide.

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