10 – Aigle Royal

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Le bonhomme de neige commençait à être satisfaisant, lorsqu’un homme de grande taille à la peau semblable à celle de Reorina, sorti du bâtiment central un air maussade sur les lèvres.

Il se dirigea vers la place où les enfants jouaient. Lorsqu’il vit sa fille accompagnée de deux autres petits, ses traits se détendirent. Depuis qu’ils habitaient en ville, les autres enfants, tous humains, se détournaient d’elle. Aucun ne lui avait tendu la main.

Alors, devant le quatuor, il s’arrêta et sourit. Il rit, même : Potecote s’amusait à sauter sur la tête de l’homme de glace et battait des ailes en criant « Cot, cot, cot ! Cot,cot, cot ! » elle se dressait, fière comme une marcheuse ayant atteint un haut sommet.

Reorina reconnu ce rire et se tourna vers lui.

— Papa ! T’as vu, il est magnifique ! Il est presque aussi grand que toi ! On l’a fait tous les trois… enfin, quatre ! finit-elle, la tête tournée vers la poule.

Tous les trois. À cette phrase, le cœur bondit dans la poitrine de Krarom.

— Tu me présentes tes nouveaux amis ? demanda-t-il de sa voix rocailleuse.

La jeune Pierreuse rayonnante, annonça :

— Alors, papa, voici Lilou, elle a à peu près mon âge.

Cette dernière fit un petit coucou de la main.

— Et Noisi, c’est son petit frère.

Il redressa le torse et s’inclina profondément, puis éclata de rire.

— Et bien sûr, la ravissante Potecote, la meilleure poulette du monde, comme dit Lilou.

Et Potecote de se pavaner.

— Bonjour Monsieur, fit Noisi en s’avançant. Reorina nous a dit que vous veniez de chez l’Échevin.

La mine de Krarom s’assombrit soudain et ses paupières se baissèrent, le diamant de ses yeux se fit moins lumineux.

— L’échevin, oui. J’ai bien peur, ma fille que nous soyons obligés de quitter la ville. Alors que tu venais de te faire des amis.

— Tu dois aller travailler à Portuan alors ?

— Oui, il ne m’a pas laissé le choix.

Il releva la tête et se força à reprendre un ton enjoué.

— Alors ce bonhomme ? Ou est-ce que vous en êtes ? Mmm… je crois qu’il lui manque quelque chose.

Il regarda autour de lui et trouva quelques petits bouts de branches mortes qu’il ramassa.

— Voilà de quoi lui faire des cheveux.

Il les implanta sur la tête de leur création, lui conférant un air assez amusant, un peu comme un hérisson. Les enfants rirent de concert.

— Coot ! approuva Potecote.

Mais les enfants n’étaient pas venus pour s’amuser. Draëgane leva la tête vers le grand Pierreux.

— Monsieur ? Je peux vous demander quelque chose ?

— Krarom, c’est mon nom, tu as le droit de l’utiliser. Mais bien sûr, pose ta question !

— On doit nous rendre nous aussi chez l’Échevin. Vous savez comment il faut faire ?

L’homme à la peau grise inclina sa tête sur le côté avec une moue qui traduisait son incertitude. Après un soupir, il consentit :

— C’est assez simple, il faut parler au garde de la porte et lui expliquer la raison de ta visite. Je pourrais t’accompagner mais, il ne serait peut-être pas bon qu’on fasse le lien entre toi et moi. Je ne suis qu’un simple ouvrier dont on vient de se débarrasser.

— Oh…

Draëgane laissa échapper cette interjection peinée.

— Ne t’en fais pas pour nous jeune fille, nous avons survécu à bien pire, Reorina et moi. Pense plutôt à ton avenir, si tu dois aller voir ce dirigeant, c’est que ça doit être important. Mais méfiez-vous de lui, il n’est pas honnête et cherche toujours son profit.

— Merci monsieur on fera attention, tu as bien entendu Noisi ?

Le garçon hocha de la tête. Sa sœur, un peu gênée de demander un service à cet inconnu, rassembla son courage :

— Je… je me demandais… entrer dans cet endroit avec Potecote, ce ne serait pas… très sûr, ou… très bien vu… Elle risque de faire caca partout, je la connais.

— Tu veux qu’on te la garde ?

— Ça ne vous dérangerait pas ? C’est gentil.

Elle regarda Potecote bien en face et lui dit :

— Tu vas rester bien sage avec nos amis. Nous on a à faire là-bas. On revient.

Et c’est là qu’elle le sentit. Léger, fugace, quasiment imperceptible, partant d’elle, en direction de la poule, un lien. Une pensée émise, se traduisant par un je ne sais quoi, comme une infime poussée vers son animal de compagnie. Peut-être qu’une autre fois, elle le sentirait encore mieux.

Et de ce fait, Potecote vint se placer, l’air contente d’elle-même entre Reorina et son Papa.

— Pooot !

Les deux enfants remercièrent les Pierreux et partirent affronter le garde.

§

Dans la salle principale de son immense manoir, l’Échevin de Grand-Pierre attendait sa prochaine proie. Au fond de son regard acéré une lueur de satisfaction brillait, impression renforcée par un nez crochu proéminent sous lequel une moustache épaisse dissimulait une petite bouche aux lèvres minces.

Aigle Royal venait de conclure une affaire qui allait fructifier. Oh pas grand-chose, il s’agissait de louer un ouvrier à son homologue de Portuan. Cette ville de marins ne disposait pas de travailleurs très qualifiés dans la maçonnerie, ce qui avait conduit Cerf aux Dix Cors à en requérir un auprès de lui. C’est ainsi que son meilleur contremaître en bâtiment allait lui rapporter une rente intéressante.

Son conseiller s’avança vers lui afin de lui annoncer son prochain, ou plutôt ses prochains visiteurs, deux gamins qui disaient connaître Renarde. Elle était probablement parvenue à récupérer la fameuse pierre. Envoyer ses gamins prouvait qu’elle préférait négocier à distance, une précaution tout à fait à propos. Très adroit, mais dis-toi bien que tu n’auras pas le dernier mot, Goupil.

— Eh bien, faites les entrer, nous allons voir ce qu’ils veulent.

Draëgane et Noisi franchirent les portes de la pièce. Tout dans cette demeure leur semblait démesuré, à commencer par la taille des huisseries, la hauteur des plafonds. Ils avaient repéré ces rideaux taillés dans une étoffe riche, et attachés par des cordes colorées comme leurs parents en avaient parfois, mais rarement fabriqué pour des gens riches. En les examinant de plus près, ils avaient pu voir qu’elles ne provenaient pas de leur atelier.

La salle du trône était encore plus impressionnante avec ces tapisseries gigantesques représentant des scènes de chasse. En plein milieux de la pièce, au faîte d’un escalier impressionnant, un immense trône accueillait un homme perché qui les transperçait du regard.

— Alors, que me veut donc Renarde ?

Les deux petits se regardèrent. Draëgane ne bougea pas, ses doigts croisés se tortillaient maladroitement, Noisi fit un pas en avant.

— Monsieur, Renarde ne veut rien du tout, parce que… on l’a vu mourir, elle avait une flèche dans le dos.

Le regard d’Aigle continuait son inquisition minutieuse.

— Renarde est morte. Et donc, que me voulez-vous ? Qu’ai-je à voir là-dedans ?

— Elle nous a dit votre nom, s’aventura la petite fille. Elle s’est fait tuer par les mêmes gens qui ont enlevé nos parents. Peut-être que vous pourriez aider. Tous les gens de Trapan ont été capturés.

— Ce village n’est pas sur mes terres, il vous faudra aller vous plaindre à Portuan.

— On a une pierre, affirma Noisi, peut-être que si on vous la donne vous pourriez faire quelque chose pour nos parents.

Draëgane mis sa main sur sa bouche, elle aurait dû venir seule, Krarom leur avait bien dit que l’homme n’était pas fiable et elle l’avait senti. Noisi c’était sûr allait mettre les pieds dans le plat.

— Noisi…

— Une pierre ? De quel genre de pierre parlez-vous ?

— Oh… Une petite pierre de rien du tout, tenta-t-elle.

Le regard de rapace lui fondit dessus. Mais Noisi repris :

— Non ! C’est une pierre énorme, verte et qui brille de partout, c’est Renarde qui nous l’a donné, elle a dit à ma sœur qu’il y avait une grosse récompense, avec ça on pourrait payer une armée pour sauver nos parents.

Un éclair, qui n’échappa pas à la petite fille, éclata dans les pupilles d’Aigle Royal. L’homme détourna son regard d’elle pour sonder le garçon.

— Mais très certainement, dit-il en adoucissant sa voix. Ou est-elle cette pierre, puis-je la voir, pour être sûr ?

— Donne-lui Lilou, il va nous aider.

Draëgane recula d’un pas en tremblant et serra son sac contre elle.

— Non…

L’instant d’après les grandes mains de l’homme la saisissaient par le col.

— Donne-moi ce sac ! dit-il en l’arrachant à sa propriétaire, rends-moi ma pierre !

Il retourna la besace, vidant son contenu au sol et se mit à le fouiller avidement sous les regards terrorisés des deux petits. Tout à coup il poussa un cri de victoire.

— Ah ! Je t’ai trouvée ! Maintenant vous allez sortir d’ici, aboya-t-il en lançant son sac vide à Draëgane qui se mit à ramasser le contenu tombé au sol.

— Mais monsieur…

— Dehors j’ai dit ! Gardes !

Les portes s’ouvrirent laissant entrer deux gardes en armes.

— Sortez-moi ça d’ici, ce sont des voleurs.

Se tournant vers les enfants il ajouta :

— Vous avez de la chance que je ne vous jette pas en prison, ouste !

Tremblants, nos deux héros sortirent de la pièce. Noisi totalement déboussolé par ce qu’il venait de voir, ne comprenait plus rien. Drëgane tenait dans une main son sac à moitié rempli, dans l’autre elle essayait de tenir la queue de sa casserole et sa couverture qu’elle pressait contre elle.

Ils se retrouvèrent expulsés comme des malpropres sur la place enneigée. Les voyants ainsi maltraités, Reorina et Potecote se précipitèrent vers eux, suivies par le père qui préféra adopter une marche rapide.

— Poot, poot, poot, poot !

La poule semblait énervée, quant à la jeune Pierreuse, elle aida sa nouvelle amie en larmes à remettre ses affaires dans son sac. Le père arriva ensuite et prit Noisi dans ses bras.

— Mais qu’est-ce qu’ils vous ont fait les enfants ? s’enquit celui-ci.

— Il n’a pas voulu sauver nos parents ! s’écria le garçon.

Calmement, le Pierreux prit les deux enfants par la main. Les tapota légèrement derrière la tête d’un geste rassurant et les serra contre lui.

— Venez mes petits, ce soir, vous dormez chez nous.

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