Ⅰ - Somnolence

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Quelque part au milieu de nulle part, se paumait majestueusement la capitale des Artisans. Haut perchée au sommet d'une immense chaîne de montagnes, elle contemplait le continent. Cette ville était enrobée d'une épaisse brume blanche alimentée par 51 642,5 cheminées – l'une n'étant qu'à moitiée construite. Dans ces vapeurs éthérées s'esquivaient avec un fréquent succès un essaim d'aéronefs.

Au centre de cette cité de pierre, un immense bâtiment attirait l'œil. Du haut de son portail, un millénaire lourd de connaissance contemplait les visiteurs, à travers ces écrasantes lettres au doré oublié: Université Arbélion. Sous-titré par la célèbre devise: La science commence là où la magie s'arrête.

Cette école abritait un ingénieux labyrinthe de corridores et de salles de cours avec des numérotations de différentes époques, se recouvrant parfois, se contredisant souvent. Au fond d’un immense couloir méandreux, une salle de cours –numéro 13.7b dans le 6ème système de numérotation– était entièrement tapissée et carrelée de cartes en tous genres. Dispersés dans les gradins, 40 étudiants écoutaient leur professeure psalmodier sans grande conviction ce que ses notes lui soufflaient, le tout en pointant approximativement les lieux susnommés, au hasard des cartes :

Le cours du jour parlera du tout début de l'Age Chaotique qui survient à la destruction de l'Age Dysnomique. Pendant cette ère de paix et de prospérité, le continent s'était uni sous le blason d'un seul drapeau, d'une seule nation. Mages, Artistes, Alchimistes, Artisans et bien d'autres travaillaient ensemble. C'était il y a 10 millénaires, l'Empire de Dysnomia, au sommet de sa gloir~, ne p~t ré~ister à~~~

Rangs après rangs, ces paroles se désagrégèrent, pour finalement aller se perdre dans une oreille du dernier rang. Là, ce qu'il restait du discours alla s'infuser dans les rêveries d'un endormi.

Son sommeil l'emporta loin, au cœur d'une lointaine ville dévastée, encerclée d'une plaine dont l'herbe fourbe était devenue noire, grimaçante et craquante. Flottant au-dessus, des nuages violets, sombres et déchirés d'éclairs et de feux crépitants ; le ciel éclairé avec fracas, le requiem qui se jouait en bas.

La guerre s'intensifia alors que le sang des morts nourrissait une jeune pousse noire, insignifiante. Le rêve accéléra, les années passèrent, les cadavres s'entassèrent et la petite plante grandissait peu à peu. Fait intéressant –mais découvert ô combien trop tard– ce végétal avait la capacité de transfuser les dernières pensées des morts, qui unanimement étaient : TUER !

D'année en année, les généraux élaborèrent des stratégies toujours plus vicieuses tandis que, sous leurs pieds, la tranquille herbe devint liane dans l'indifférence des combats. Puis des bourgeons apparurent, suivis de fleurs semblables à des lotus aux pétales couleur sang, irrigués par des veines noires menant à un cœur. Fait également découvert trop tard, elle pouvait broyer l'intelligence d'une personne de par son immense aura sanguinaire, fruit des milliers de vies vampirisées. Mais votre intellect n'était pas la seule chose à disparaître, votre sang aussi était comme attiré, magnétisé par cette fleur diabolique qui se délectait de chaque goutte.

Ainsi, l'improbable gagnante de cette guerre folle –dont l’unique motivation n'était plus que de venger ceux tombés au combat– fut Dame Nature, qui emmena avec elle tout espoir de voir l'Empire de Dysnomia se relever un jour.

Au milieu de la plaine, les lianes vinrent se tresser en un tronc noir. À son sommet, un immense lotus, pulsant d'une fréquence cardiaque, faisait rougeoyer l'air à proximité d'une soif de sang.

Cette plaine, tombeau d'un lugubre irréel, enveloppée de vapeurs sombres violacées, venait d'enterrer 87 ans, 18 mois, 40 jours et 36 heures de combats acharnés, à laquelle une page entière n'aurait pu dénombrer les victimes – un historien célèbre écrivit même à l'époque: «Fermez les yeux et imaginez une scène la plus horrible possible. Vous y êtes ? Eh bien, oubliez-la, car vous êtes encore très très loin du traumatisme et de l'horreur que fût cette guerre.»

Ce fut dans cette vision surnaturelle, bercée du silence des morts, que venant du plus profond des entrailles de cette terre marbrée de sang, retentit une voix grondante et dévastatrice:

Sieur Goupil ! Comment osez-vous rêver pendant mon cours. L'histoire de nos ancêtres vous barbe-t-elle tant ?

Le rêve se brisa, réveillant avec lui la réalité: un doigt inquisiteur, deux yeux sévères –et 121 autres curieux– louchaient sur le jeune homme siestant au dernier rang, attendant sa réponse .

Excusez-moi Madame Gertruche... mais j'ai entendu dire que cette histoire n'en était qu'une parmi tant d'autres... Selon une autre version, nos ancêtres auraient lamentablement perdu la guerre contre les Mages et se seraient réfugiés dans les montagnes où ils fondèrent notre pays... Honteux de leur défaite, ils auraient alors inventé ces contes... Comment peut-on vraiment savoir si votre histoire est authentique ?, improvisa 'Sieur Goupil'.

Son aspect, négligé d'un nœud papillon déséquilibré, ainsi que d'une absence totale de discipline capillaire, était bien à l'image de sa réponse. Pourtant, en scrutant le ciel bleu de ses iris, on pouvait voir une étoile dorée de malice, éclipsée par pupille. Ses beaux yeux étaient bien son meilleur atout.

Il n'y a pas lieu de se poser la question, seule la version officiellement admise est vraie. Toutes autres histoires ne sont que des mensonges véhiculés pour affaiblir notre glorieux pays.

Mais...

Voulez vous que j’envoie un pneumatik aux autorités pour leur transmettre votre question ?! Je suis certaine qu’ils seraient ravie d’entendre votre délit de négationnisme !

La sonnerie marteaupiqua la fin des cours de son DRIINNNNG, à vous rendre sourd.

Arsène fut le premier à quitter –s'enfuir– de l'Université, suivi de son amie Alésia.

Tu devrais dormir plus la nuit, ça t'éviterait de somnoler en classe et de faire enrager Madame Gertruche.

C'est vrai, mais je passe tout mon temps sur la création de ‘cette machine', son principe pourrait changer toute notre civilisation,...

Mais bien sûr, et moi demain je trouverai un nouveau remède. Sérieusement, si tu continues, tu pourrais en devenir malade ! Mais ne t'inquiète pas, je suis prête à t'offrir une consultation, ponctua-t-elle d'un grand sourire cruel.

À ces mots, Arsène fit un bond d'un mètre sur le côté, pris de peur.

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